À Barcelone, France et Espagne tentent de se rabibocher autour d’un traité d’amitié

21 janvier 2023

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Pedro Sanchez à une réunion du Conseil européen, le 20 février 2020, Auteurs : SIPA, Numéro de reportage : 00946009_000072.

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À Barcelone, France et Espagne tentent de se rabibocher autour d’un traité d’amitié

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Peu commenté en France, le traité d’amitié signé avec l’Espagne fait pourtant la Une de tous les journaux Outre-Pyrénées. Pour Madrid, l’enjeu est d’importance car les points de friction et de désaccord sont nombreux avec Paris.

19 janvier 2023, Barcelone (Espagne). Préparé depuis des mois, le Sommet franco-espagnol qui se tient dans la capitale catalane mobilise une dizaine de ministres et secrétaires d’État de chaque côté ainsi qu’une foule de journalistes. Il faut dire que l’enjeu est immense puisque Paris et Madrid s’apprêtent à signer une série d’accords, dont un traité d’amitié et de coopération couvrant de nombreux domaines.

Une réunion de toute première importance

Le président du gouvernement espagnol, le socialiste Pedro Sánchez, fait office d’hôte pour le président de la République française, Emmanuel Macron. Les deux hommes se connaissent et s’apprécient visiblement. Le chef de l’exécutif de notre voisin ibérique jouit d’une réputation de social-démocrate modéré à l’échelle européenne et entretient de nombreux points d’accord avec la France. C’est ce qu’ont déjà pu constater tous les observateurs lors du précédent Sommet franco-espagnol, qui s’était tenu en 2021 à Montauban.

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Pedro Sánchez a d’ailleurs l’habitude de recevoir en grande pompe des responsables politiques étrangers. En juin 2022, il avait concocté un programme de choix à l’occasion du sommet de l’OTAN, qui avait lieu à Madrid : musée du Prado, palais royal de La Granja, palais royal d’Orient, etc. Cette fois-ci, à Barcelone, il conduit Emmanuel Macron au Musée national d’Art de Catalogne (situé sur la colline de Montjuic, en surplomb de la place d’Espagne), où se déroulent la cérémonie de signature et la conférence de presse. Il lui fait également visiter le musée Picasso de la cité catalane, alors que les deux pays commémorent conjointement cette année le cinquantième anniversaire du décès du célèbre peintre.

Le choix de Barcelone par les autorités espagnoles ne tient pas du hasard. Le président du gouvernement cherche à montrer que la situation s’est normalisée sur place après des années de bras de fer séparatiste. Les formations indépendantistes de gauche, indispensables à la stabilité de son cabinet, sont désormais ses interlocutrices dans le cadre d’une « table de dialogue » visant à résoudre les différends entre exécutif central et Généralité de Catalogne.

Malgré tout, il doit faire face à une manifestation sécessionniste sur la place d’Espagne en ce 19 janvier – même si le succès n’est guère au rendez-vous avec quelques milliers de participants seulement. De son côté, Emmanuel Macron est contraint de répondre aux questions des journalistes français dépêchés outre-Pyrénées concernant la journée de grève contre sa réforme des retraites. Il se défend de mépriser les partenaires sociaux, expliquant que le Sommet franco-espagnol était prévu de longue date et que c’est l’Espagne qui en gère l’agenda.

Des points de friction

Le président de la République française n’a probablement pas envie de provoquer une nouvelle brouille diplomatique entre Paris et Madrid, à la suite de nombreux mois de tensions. Ces querelles font peu la une des médias chez nous, mais sont en revanche omniprésentes dans les journaux, à la radio et à la télévision en Espagne.

Notre voisin pyrénéen, désireux d’exporter son surplus de gaz (il en achète massivement à de nombreux pays), veut mettre en œuvre le gazoduc MidCat, qui doit relier Hostalrich (Catalogne) à la France et prolonger ainsi le réseau gazier qui débute à Almería (Andalousie). L’Allemagne, qui a besoin de nouveaux fournisseurs dans le cadre du conflit entre Russie et Ukraine, soutient l’idée. Pourtant, Emmanuel Macron n’en veut pas et obtient d’ailleurs une annulation pure et simple de l’infrastructure. En échange, il négocie avec Pedro Sánchez et le Premier ministre portugais, António Costa, la construction d’un hydrogénoduc « vert » entre Barcelone et Marseille, le H2Med (d’abord nommé BarMar).

La crise énergétique en Europe et les problèmes rencontrés par les centrales nucléaires françaises ont, de fait, placé l’Espagne dans une situation d’exportatrice nette d’électricité et de gaz vis-à-vis de la France. Ces débats sont donc plus que jamais d’actualité.

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Néanmoins, les disputes bilatérales ne s’arrêtent pas là. Le refus de SNCF Réseau de laisser circuler sur nos voies de chemin de fer les TGV espagnols suscitent de nombreuses critiques chez nos amis ibériques. De même, la fermeture de huit points de passage transfrontaliers secondaires dans les Pyrénées (décidée par Paris sans l’aval de Madrid au nom de la lutte contre les trafics, le terrorisme et l’immigration illégale) heurte beaucoup.

Deux dirigeants sur l’échiquier européen

Le traité d’amitié franco-espagnole doit donc être l’occasion d’une réconciliation et, pour la France, d’une diversification de ses alliés au sein de l’Union européenne. Emmanuel Macron a pris ses distances avec l’Italie (avec laquelle il a pourtant signé un accord du même genre en 2021) depuis l’élection de Giorgia Meloni à la tête du Conseil des ministres. De même, le courant passe mal avec le chancelier allemand Olaf Scholz.

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Pour Pedro Sánchez aussi, le défi est de taille. De nombreuses thématiques sont abordées dans le traité qu’il paraphe : politique étrangère, sécurité, culture, instruction publique, monde agricole, défense, relance de l’Union européenne, justice, etc. Cependant, à ses yeux, le plus important est de remettre son pays au centre du jeu sur le continent.

Au demeurant, les commentateurs espagnols ne s’y trompent pas et c’est ce qui explique qu’ils décrivent bien plus l’événement que les nôtres. Porte d’accès de l’Espagne vers l’Europe, la France est aussi un partenaire commercial et diplomatique majeur. Notre voisin ibérique entend bien profiter des dissensions entre Paris, Berlin et Rome pour s’affirmer sur la scène européenne et, pourquoi pas, y prendre la place de l’Italie.

Très à l’aise au sein des instances communautaires, le président du gouvernement espagnol sait aussi qu’il va pouvoir briller durant six mois cette année. L’Espagne, en effet, occupe la présidence tournante du Conseil de l’UE au second semestre 2023 et les préparatifs à ce sujet battent déjà leur plein outre-Pyrénées.

Il s’agira peut-être d’un baroud d’honneur pour Pedro Sánchez, qui devra retourner aux urnes en novembre ou décembre, dans le cadre d’élections générales. Depuis plusieurs mois, les sondages ne sont pas favorables à la coalition de gauche hétéroclite qu’il dirige. Ce traité d’amitié serait-il un moyen pour lui de laisser une trace dans l’histoire contemporaine de l’Espagne ?

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À propos de l’auteur
Nicolas Klein

Nicolas Klein

Nicolas Klein est agrégé d'espagnol et ancien élève de l'ENS Lyon. Il est professeur en classes préparatoires. Il est l'auteur de Rupture de ban - L'Espagne face à la crise (Perspectives libres, 2017) et de la traduction d'Al-Andalus: l'invention d'un mythe - La réalité historique de l'Espagne des trois cultures, de Serafín Fanjul (L'Artilleur, 2017).

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