Christian Saint-Étienne, qui scrute avec acuité depuis de longues années l’horizon géoéconomique et géopolitique mondial, est persuadé au terme de son analyse fouillée des rapports sino-américains, qu’un conflit de haute intensité entre les États-Unis et la Chine est possible, bien qu’il soit parfaitement évitable.
Le type de conflit leader-challenger, dont l’histoire a connu de nombreux exemples (Athènes-Sparte, guerre du Péloponnèse, Grande-Bretagne-Allemagne, après la défaite française de 1870 ou les États-Unis et l’URSS entre 1945 et 1991), mainte fois analysé, n’a pas toujours donné lieu à un conflit global, comme le montre le dernier exemple. Nous pourrions aussi citer l’affrontement pacifique qui mit aux prises les États-Unis et la Grande-Bretagne à la fin du XIXe siècle afin de s’assurer la maîtrise de l’hémisphère occidental, que Londres céda, sans coup férir, à son ancienne colonie. Tout dépend donc des dimensions réelles du conflit et de la nature des protagonistes, car en cette matière éminente sensible et subjective, les approximations doivent être bannies. Dans le cas du duel en cours, qualifié par certains observateurs de nouvelle guerre de Cent Ans, qui n’a fait que débuter entre les États-Unis et la Chine s’agit-il d’une compétition pour s’assurer l’hégémonie sur le continent eurasiatique ou une hégémonie mondiale ? Certes le duopole américano-chinois est écrasant, leur PIB combiné pèsera environ 41,5% en 2025 du PIB mondial et 60% des dépenses militaires mondiales, ce qui veut dire si l’on estime que les deux protagonistes pèseront d’un poids à peu près égal- ce qui n’est nullement certain, au moins pour les dépenses militaires, que leur poids devrait atteindre le cinquième du total mondial.
Or Christian Saint-Étienne additionne leur potentiel, n’écrit-il pas qu’ils domineront totalement le monde numérique, les fintechs et l’intelligence artificielle, dont ils seront déjà tous deux les leaders mondiaux. Est-ce à dire que l’on assistera à un duopole, à un partage des marchés ne laissant la place à aucun autre concurrent potentiel, actuellement peu nombreux ? L’Europe, bien désunie, comme il ne cesse de le déplorer ou le Japon, toujours pas sorti de sa période de stagnation et en déclin démographique prononcé. Ce n’est pas du tout ce qu’il pense, au contraire, il est persuadé que chacun des Géants est lancé dans une course à la domination mondiale et que le risque de conflit mondial sera maximum en 2022-2023. À titre purement pédagogique il en fixe même le déclenchée le 27 septembre 2022, à 22 heures et se livre à un beau Kriegspiel énumérant les différentes frappes et contre frappes, qui se traduiront en définitive par 415 millions de morts en Chine, ce qui poussera la Russie à obliger les deux protagonistes à s’arrêter. Peu importe de savoir si tous ces échanges nucléaires sur le Japon, Taiwan, la Californie et bien ailleurs n’auront pas rendu la vie sur terre tout simplement impossible du fait de l’hiver nucléaire et des retombées radioactives qui se seront dispersée, dans tous les endroits de la planète de l’Himalaya au Sahara, de l’île de Pâques à Madère ! À voir ce qu’a produit le seul incident de Tchernobyl, qu’on se rende compte des retombées produites par des centaines de missiles.
Mais le propos de l’auteur dépasse ces scénarios, dont les états-majors du monde entier jugeront de la crédibilité. En Européen convaincu de longue date, lui qui n’a cessé de plaider pour la constitution d’un noyau dur de quinze pays européens au sein de l’UE, il déplore fortement l’attitude de Donald Trump qui consiste à infliger des humiliations aux alliés séculaires de l’Amérique. Seule une Alliance des Nations libres, constituées de ce noyau dur E15, des États-Unis, de la Grande-Bretagne, post Brexit, de l’Australie, du Japon, de la Corée du Sud et de l’Inde, auquel la Russie pourra être associée selon son comportement. Magnifique plan, mais prend-il en compte les réalités, car elles seules comptent, comme ne cessait de la rappeler le général de Gaulle. Chacun appréciera à sa guise les raisonnements, les évaluations et les projections de l’auteur dont le mérite est d’insister sur l’instabilité du monde et les dangers qui nous attendent. Il est convaincu que les États, comme les gladiateurs de Hobbes, vivent constamment dans une lutte permanente de tous contre tous. C’est en grande partie vrai, mais la vie internationale, si complexe et si mouvante, est loin de se résumer à ce seul postulat. Si Donald Trump renverse par-dessus bord soixante-dix ans de coopération et de multilatéralisme, il ne peut à lui tout seul les anéantir et revenir en arrière aux années 1920-1930. Il en est de même de l’affrontement sino-américain.
Christian Saint-Etienne, Trump et Xi Jinping, les apprentis sorciers. Vers un conflit mondial, L’Observatoire, 2019, 248 pages.