La paix est un souhait, la guerre est un fait. Éditorial du Hors-Série n°1 (hiver 2014)

30 novembre 2014

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Vladimir Poutine avec Alexei Miller, PDG de Gazprom, en août 2017. SIPA, AP22085939_000002

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La paix est un souhait, la guerre est un fait. Éditorial du Hors-Série n°1 (hiver 2014)

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Comme celle de géopolitique, et pour des raisons comparables, la notion de guerre économique est longtemps restée taboue après la Seconde Guerre mondiale. Elle renvoyait au protectionnisme des années 1930, elle était rendue responsable de la durée de la crise, elle était soupçonnée d’avoir contribué à l’éclatement du conflit. La situation s’est à peine améliorée. C’est que l’idée de guerre économique s’inscrit en faux contre les idées libérales qui se sont imposées dans le monde.

Depuis l’élaboration de la théorie des avantages comparatifs, le libéralisme part de l’idée que l’échange permet à chaque pays de se procurer au mieux ce dont il a besoin. En plus de rendre la guerre difficile à cause des liens commerciaux par lesquels il entrave les nations, le « doux commerce » la rendrait inutile puisqu’il permet à chaque pays d’atteindre le seuil de prospérité le plus élevé possible.

Nous sommes en guerre économique. N° spécial d'hiver 2014

Nous sommes en guerre économique. N° spécial d’hiver 2014

La réalité est bien différente. Depuis le XIXème siècle, les entreprises réclament que l’État intervienne en leur faveur dans la défense comme dans l’attaque, pour être protégées, pour être subventionnées, pour se faire ouvrir des marchés. « [La bourgeoisie] abat toutes les murailles de Chine et contraint à capituler les barbares ayant la haine la plus opiniâtre de l’étranger » se réjouissait Marx dans Le Manifeste du Parti Communiste. Mais qui fournit les canons, qui signe l’acte de capitulation ? Les libéraux réclamaient la « porte ouverte » dans l’Empire du Milieu. Qui a enfoncé la porte à coups de pied ? Pour que règne la paix par le commerce, il fallait imposer le commerce par la guerre.

Chers amis libéraux, bienvenue dans le monde des réalités. Les chefs d’entreprise, qui sont l’objet de vos attentions, ne croient pas en vos discours sur ce sujet car eux sont confrontés à la compétition plus ou moins loyale de leurs concurrents.

Une fois les portes ouvertes, encore faut-il que toutes les nations respectent les règles de l’échange « loyal ». Sinon c’est le « dumping social », le « dumping fiscal », le « dumping environnemental » que certains États rendent possibles en adoptant des réglementations minimales et en réduisant les impôts et les cotisations sociales (quand elles existent !). Faute de gouvernement mondial (ce qui risque de perdurer un certain temps…), c’est aux États-nations de faire respecter un minimum de règles, de protéger leurs économies, de mieux les armer pour qu’elles partent à l’assaut de territoires nouveaux. C’est cela la guerre économique et il suffit qu’un seul État la déclare pour que tous soient entraînés dans le tourbillon. Les philosophes des Lumières écrivaient en une époque où les économies étaient peu ouvertes ; on peut leur pardonner de ne pas avoir prévu toutes ces évolutions. Ce n’est pas une raison pour croire aux utopies des XVIIIème et XIXème siècles.

Chers amis libéraux, bienvenue dans le monde des réalités. Les chefs d’entreprise, qui sont l’objet de vos attentions, ne croient pas en vos discours sur ce sujet car eux sont confrontés à la compétition plus ou moins loyale de leurs concurrents. Les États-Unis, que vous donnez volontiers en exemple et qui se prétendent le pays le plus libéral du monde, se conduisent, dans ce domaine et dans bien d’autres, comme le plus guerrier de tous. Et, en fin de compte, ne prônez-vous pas la libre concurrence qui permet aux meilleurs de l’emporter et provoque la disparition des perdants ? D’un côté vous dites « Vive la paix par le commerce », de l’autre vous vous exclamez « Malheur aux vaincus de la compétition ». N’y a-t-il pas un risque de contradiction ?

C’est donc le libéralisme qui est pris en tenailles entre les aspirations pacifistes du « doux commerce » et la pratique belliqueuse des entreprises. D’autant plus qu’un pacifisme outrancier conduit à désarmer et, finalement, donne raison aux agresseurs. Voyez les hésitations de la Commission européenne face au dumping chinois : un froncement de sourcils, une phrase menaçante, et elle se contente d’un accord a minima. Ne sentez-vous pas souffler l’esprit de Munich ? Les Américains n’ont pas de ces pudeurs, ou de ces naïvetés.

Pour sortir de votre contradiction, méditez donc la phrase d’Oswald Spengler placée en exergue de cet article et avec laquelle, au fond, vous êtes parfaitement d’accord. « La paix est un souhait, la guerre est un fait ». Et, si vous voulez vraiment la paix des échanges, préparez la guerre économique.

Pascal Gauchon

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Notes

La phrase du titre est d’Oswald Spengler.

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[colored_box bgColor= »#f7c101″ textColor= »#222222″]« Nous sommes en guerre économique » Hors-Série n°1 – hiver 2014. Avec David Colle, Raffi Duymedjian, Pascal Gauchon, Christian Harbulot, Jean-Marc Huissoud, Alain Juillet, Hervé Juvin, Apoli Bertrand Kameni, Denis Kessler, Frédéric Laupies, Pascal Lorot, Olivier de Maison Rouge, Frédéric Munier, Michel Nazet, Bernard Quirin, Bruno Racouchot, Frédéric Raynal, David Simonnet, Olivier Zajec. Actuellement en kiosque.[/colored_box]

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Photo : Vladimir Poutine avec Alexei Miller, PDG de Gazprom, en août 2017. SIPA, AP22085939_000002

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