L’un des principaux points de friction entre les états-Unis et la Chine en Asie est le Pakistan. Depuis son indépendance en 1947, le pays sud-asiatique a su entretenir des liens de proximité avec les deux puissances, qui ont évolué au gré des intérêts de chacun. Où en est-il aujourd’hui ?
Les États-Unis et la Chine ont établi des liens avec le Pakistan dès les premières années de son indépendance (14 août 1947). Leurs intérêts y ont parfois convergé: en 1969-1971, le Pakistan était médiateur des discussions secrètes entre les deux pays et contribua à une certaine normalisation de leurs relations, symbolisée par la visite de Nixon à Pékin en 1972. Au cours des années 1980, Américains et Chinois contribuent à l’effort de guerre contre les Soviétiques en Afghanistan en faisant du Pakistan la pièce maîtresse de cette stratégie de containment. Enfin, la «Guerre contre le terrorisme» de l’après-11 septembre place Washington et Pékin sur un terrain d’entente: le Pakistan (en particulier les zones tribales du nord-ouest) doit cesser d’être une base arrière du terrorisme international. D’ailleurs Chine et États-Unis sont respectivement le premier et le deuxième fournisseur d’armement au Pakistan. L’aide militaire américaine au pays passa de 9 millions de dollars dans les trois années précédant le 11 septembre à 4,2 milliards au cours des trois années suivant les attentats.
L’allié de deux pays ennemis
La relation privilégiée entre le Pakistan et les États-Unis se met en place dans les années 1952-1953, par l’action de l’ambassadeur pakistanais à Washington, Ali Bogra, qui convainc Eisenhower de l’anticommunisme de son pays dont l’armée serait la seule à pouvoir contrecarrer l’expansionnisme soviétique dans la région. Le Secrétaire d’État John Dulles suivra cette ligne, en soutenant le Pakistan face à l’Inde de Nehru dont il se méfiait. Le Pakistan rejoindra l’OTASE (équivalent asiatique de l’OTAN) et en 1958 fut créée près de Peshawar une base secrète d’avions espions U2, chargés de missions d’observation du territoire soviétique. L’intervention soviétique en Afghanistan fait du Pakistan un allié indispensable de Washington dans sa lutte d’influence globale contre Moscou. Le rapprochement entre Islamabad et Pékin intervient en 1956, par la signature du traité d’amitié Chine-Pakistan et se renforce en 1962, après la guerre sino-indienne. La méfiance partagée à l’égard de leur voisin indien pousse les deux pays à coopérer dans les domaines militaire et économique. Le Pakistan met fin au contentieux sino-pakistanais au sujet du Cachemire en cédant la vallée de Saksgam à Pékin. La Chine, quant à elle, procure au Pakistan de l’armement et des équipements nucléaires. Le Pakistan présente ainsi l’originalité d’être l’ami de deux ennemis dans les années 1950 et 1960. Mais ces dernières années ont vu les relations entre le Pakistan et chacun des deux pays évoluer dans des directions opposées. Washington, bien qu’y étant toujours très impliqué et souhaitant y maintenir son influence, fait marche arrière sur certains projets: le National Defense Authorization Act publié en 2017 fait état de la restriction de l’aide militaire au Pakistan et du blocage de la vente de sept F-16 à Islamabad. Côté pakistanais, la méfiance est de mise: l’assaut des Navy SEALS contre Oussama Ben Laden en 2011 et l’affaire Raymond Davis (un sous-traitant de la CIA ayant tué deux agents des services de renseignement pakistanais) n’ont pas contribué à entretenir un climat de confiance. Islamabad reproche aux ÉtatsUnis de ne pas prendre suffisamment en compte son statut de victime de la guerre contre le terrorisme (depuis 2004 le Pakistan a subi 70000 pertes humaines civiles et militaires, et 60 milliards de dollars de pertes financières directes et indirectes), il proteste contre les accusations américaines de «double jeu» face aux terroristes, en particulier en Afghanistan. Il est vrai qu’Islamabad applique dans ce pays une politique de profondeur stratégique, en entretenant des liens avec certaines franges du mouvement taliban afghan qui lui sont favorables. De son côté Washington fait les comptes et estime qu’il y a plus d’intérêt à se rapprocher de Dehli, dont le poids démographique et économique surpasse celui de son voisin.
Renforcement des liens avec la Chine
Face au relatif refroidissement américano-pakistanais, les relations d’Islamabad avec la Chine sont au beau fixe et continuent de se resserrer. Pékin considère son voisin, «ami quoi qu’il arrive» (all-weather friend), comme un acteur de premier plan dans ses ambitions stratégiques. Il importe tout d’abord que le Pakistan ne tombe pas dans le chaos car il est frontalier de la région chinoise du Xinjiang où une frange de la minorité ouïghoure est animée de velléités séparatistes et a déjà utilisé les zones tribales pakistanaises comme base arrière. La position géographique du pays en fait également un chaînon indispensable du grand projet chinois «One Belt One Road» également appelé «Nouvelle Route de la Soie». La partie pakistanaise de ce projet, le CPEC (China-Pakistan Economic Corridor), contribuera à relier l’ouest de la Chine et l’Asie centrale aux mers chaudes du golfe Persique par un dense réseau d’infrastructures routières et énergétiques (les investissements chinois du CPEC dépassent les 50 milliards de dollars). Le port en eaux profondes de Gwadar, construit sur la côte baloutche à l’aide d’investissements chinois, est l’un des points les plus importants de ce corridor économique. Islamabad perçoit la Chine comme un contrepoids à son puissant voisin indien et à la domination américaine, en même temps qu’un soutien à son développement économique et à la stabilisation de sa situation politique interne.
Le rapprochement américano-indien
Craignant de voir une hégémonie chinoise s’installer dans toute l’Asie, Washington a entrepris de se rapprocher de Delhi dans les domaines économique et sécuritaire. La visite du Premier ministre indien Narendra Modi à Washington le 26 juin 2017 a réaffirmé le statut de «Partenaire majeur de la Défense» de l’Inde vis-à-vis des États-Unis et a été l’occasion d’élargir la coopération bilatérale à de nombreux domaines. Washington, par la voix de son Secrétaire à la Défense Mattis, appuie d’ailleurs les revendications indiennes contre le Corridor économique chinois au Pakistan qui passerait par des territoires revendiqués par l’Inde, les «territoires du Nord». Cette politique indienne entre en écho avec les idées de Nixon, qui estimait qu’un rapprochement avec le Pakistan ne rapporterait pas tant que cela et préférait déjà se tourner vers l’Inde – sans grand succès à l’époque. Le Pakistan tente quant à lui de tirer profit de ses relations avec les deux pays qui lui permettent la sanctuarisation de son territoire contre son voisin indien en lui procurant de l’armement et en l’aidant à développer ses infrastructures. La rivalité sino-américaine, exploitée par certains acteurs régionaux, ne devrait pas aboutir à un conflit ouvert. Il est important de rappeler que l’Inde, alliée des États-Unis, est également le premier partenaire commercial de la Chine et qu’elle est engagée à ses côtés dans plusieurs organisations régionales (Banque asiatique de développement pour les infrastructures, Organisation de Coopération de Shanghai – à laquelle le Pakistan a adhéré en même temps que l’Inde). La course à l’hégémonie en Asie est une stratégie à long terme qui devra tenir compte d’acteurs rusés comme le Pakistan, qui joue avant tout sa propre partition.