La Suède n’a pas connu de conflits armés directs depuis près de deux siècles. Pourtant, le pays se remilitarise rapidement aujourd’hui. Abandonnée par l’armée à la fin de la Guerre froide, l’île de Gotland, sous souveraineté suédoise, est le symbole le plus marquant de cette remilitarisation. Des centaines de soldats suédois réinvestissent progressivement ce lieu hautement stratégique. Ces manœuvres s’inscrivent sur fond de tension entre Russes et Occidentaux.
Rétablissement du service militaire
Le 6 juin 2018, l’armée suédoise a rappelé 22 000 réservistes avec l’objectif de tester la mobilisation de cette force d’appoint. Ce type d’exercice n’avait pas eu lieu depuis 1975. En mars 2017, le gouvernement a également donné son feu vert pour le retour du service militaire, sept ans après l’avoir supprimé. Chaque année, 13 000 jeunes (femmes et hommes) seront sélectionnés pour onze mois de service. Ces deux décisions sont une réponse assumée du gouvernement face aux « agissements de la Russie ». Depuis l’annexion de la Crimée en 2014 par des troupes russes, la Suède craint que la Russie n’use d’une stratégie similaire en mer Baltique, via son enclave de Kaliningrad. Les mouvements d’un sous-marin non-identifié en 2014, près des côtes suédoises, a été un des premiers signaux qui a incité le gouvernement suédois à réagir.
Gotland, l’atout géographique de la Suède
Si la Suède n’a pas connu de conflits depuis 200 ans, le Royaume s’est opposé à la Russie dans de nombreuses guerres. En 1808, Moscou avait annexé l’île de Gotland avant d’en être chassé quelques semaines plus tard, lors de la guerre de Finlande, le dernier conflit qui a opposé la Russie à la Suède. Cette île, qui jouait un rôle central pendant la guerre froide, est aujourd’hui encore d’une importance stratégique majeure pour Stockholm. Peuplée de 57 000 habitants, l’île a continué d’abriter une caserne, finalement fermée en 2005. Pourtant, depuis l’été 2017, les militaires sont de retour. On compterait aujourd’hui 300 soldats stationnés en permanence sur l’île.
« Pour des raisons purement géostratégiques, quand on contrôle Gotland, on contrôle toute la Baltique », analyse Barbara Kunz, chercheuse à l’Institut français des relations internationales (IFRI). Cette île est en effet située au milieu de la mer Baltique, non loin de l’enclave russe de Kaliningrad. Dès lors, la remilitarisation de ce territoire a été une des raisons principales qui a conduit la Suède à augmenter son budget militaire, après des années de désinvestissement. Dans un texte adopté en 2015 par le parlement suédois, 1,1 milliards d’euros répartis sur cinq ans ont été alloués au secteur de la défense avec un budget annuel de 4,1 milliards d’euros, soit 1% du PIB.
La Russie, une menace réelle ?
Pour Jean Radvanyi, professeur de géographie de la Russie à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), la Baltique est, depuis le XVIe siècle, une priorité pour la Russie. Cette mer est perçue comme une fenêtre économique sur l’Europe. Néanmoins, selon lui, « la Russie n’a absolument pas pour projet d’envahir Gotland. Des personnes et des lobbys mettent en avant ce risque pour mobiliser l’opinion publique dans un esprit russophobe. On parle davantage des manœuvres militaires russes dans la région que de la militarisation massive des États Baltes par l’OTAN. Qui est tout aussi dangereuse ».
Si la Suède prend autant de précaution, c’est aussi parce qu’elle sait qu’elle ne pourra pas forcément compter sur ses alliés occidentaux le jour d’une hypothétique invasion de Gotland. Elle n’est en effet pas membre de l’OTAN. Les Suédois pensent qu’une adhésion à l’organisation atlantiste ne ferait qu’envenimer les tensions avec le voisin russe. Stockholm préfère donc conserver un rôle de pays « neutre », déjà occupé pendant la Guerre froide.
Cela signifie cependant qu’en cas d’attaque par un pays tiers, les pays membres de l’OTAN ne sont pas obligés de venir en aide à la Suède.
Néanmoins, d’après la chercheuse Barbara Kunz, le thème d’une possible annexion de Gotland par la Russie n’est pas central dans la vie politique suédoise à l’approche des élections législatives de septembre prochain. Cela ne signifie pourtant pas que la Suède ne prépare pas ses citoyens à une éventuelle crise. Début juin, le gouvernement a distribué 14,8 millions de livrets expliquant comment réagir en cas « de crise, de catastrophe naturelle, de cyber-attaque ou de guerre ».
Pablo Menguy
Source : Les Yeux du Monde