Le retour de la « Grande idée ». Éditorial du n°16

4 janvier 2018

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Le retour de la « Grande idée ». Éditorial du n°16

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Au « grand dessein » atlantiste proposé par Kennedy en 1962, le général de Gaulle avait opposé ce que les historiens ont qualifié de « grande idée »: constituer un axe franco-allemand aussi autonome que possible face aux États-Unis, en faire le moteur de la construction européenne, assurer ainsi à la France le rôle de leader politique de la Communauté, l’Allemagne paraissant disqualifiée à cause de ses responsabilités dans la guerre et de sa défaite finale en 1945. Ce projet s’articulait avec la volonté de redonner à la France le rang mondial qu’elle méritait aux yeux du général.

Que le président Macron soit tenté de l’imiter, rien d’étonnant: n’a-t-il pas fait figurer sur son portrait officiel les Mémoires de guerre ? Il faut lui rendre grâce : son style renoue avec la tradition présidentielle et rompt avec la trivialité de ses prédécesseurs, sauf quand il s’exprime au Burkina Faso…

« Constituer un axe franco-allemand aussi autonome que possible face aux États-Unis, en faire le moteur de la construction européenne, assurer ainsi à la France le rôle de leader politique de la Communauté… »

Conflits n°16

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Bien sûr la grande idée de Macron n’est pas celle du général. Il prône une Europe intégrée et non une France souveraine ; mais comme de Gaulle il pense que la France doit être au premier rang dans le continent. Il reçoit Trump et en même temps Poutine, façon de renouer avec le refus gaullien des blocs. Mais il croit la France trop petite pour tenir son rang dans le monde et il reporte ses espoirs sur l’Union européenne. « Une des forces du mitterrandisme a été de récupérer subtilement la politique de grandeur gaulliste en la reportant sur l’Europe » analysait Marcel Gaucher (1). L’ambition de De Gaulle rabotée par le scepticisme de Mitterrand. Et, comme ces deux anciens présidents, Macron estime que son succès dépend des relations entretenues avec l’Allemagne.

Sa vision ambitieuse, son goût du verbe qui le rapproche encore de De Gaulle et le semi-succès qu’il a obtenu sur la réforme du travail détaché ont suffi pour que le Time du 9 novembre le proclame, en couverture, « prochain leader de l’Europe », titre assorti de quelques réserves il est vrai. Cette prévision se nourrit aussi de l’effacement d’Angela Merkel après les élections législatives de septembre dernier. À l’heure où ces lignes sont écrites, nul ne sait comment les choses vont tourner : la coalition « Jamaïque» (Union CDU-CSU, libéraux et verts) semble avoir échoué, une « grande coalition» avec le SPD revient en force mais, si elle voit le jour, elle risque d’être bancale, le résultat de nouvelles élections, auxquelles les grands partis ne tiennent pas, est incertain. Une seule chose est sûre : Angela Merkel sera profondément affaiblie et la voix de l’Allemagne peu audible, au moins pour de nombreux mois.

Voilà le paradoxe. Le recul de Merkel propulse Macron au premier plan. Mais seul, ce qui compromet ses projets pour l’Europe. Qui d’autre ? Macron a rudoyé les pays de l’Est, Pologne et Hongrie, deux pays dont la République tchèque et l’Autriche se sont rapproché à l’occasion des dernières élections. Les prochaines législatives italiennes devraient voir le succès soit des populistes du Mouvement Cinq étoiles, soit de l’union des droites menée par Berlusconi où figure la Ligue du Nord alliée du Front national. L’Espagne n’est pas sortie de la crise provoquée par l’indépendantisme catalan. Macron peut à juste titre poser au défenseur d’une « grande idée », européenne en l’occurrence. Mais il est trop isolé pour mener à bien ce projet, comme l’avait été de Gaulle en son temps.

Ce qui fait la force de Macron, ce qui explique que les regards des européistes se tournent vers lui, est aussi ce qui fait sa faiblesse, le risque d’un « trou d’air » allemand alors que son projet dépend du soutien de Berlin. S’il échoue, il se vérifiera que l’Allemagne n’est pas pour la France un partenaire politique si fiable que l’avaient cru de Gaulle et Mitterrand. De même que la France n’apparaît toujours pas comme un partenaire économique fiable aux yeux des Allemands. Une autre réalité qui entrave la grande idée européenne de Macron.

Pascal Gauchon

1. Interview dans L’Expansion, mars 2004.
2. Lorsqu’il ratifie le traité de l’Élysée en juin 1963, le Bundestag le fait précéder d’un préambule qui insiste sur la primauté de l’alliance atlantique, l’inverse de ce qu’il signifiait pour de Gaulle.

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