October City, située à proximité du Caire, s’affirme comme un centre industriel clé pour l’Égypte. Grâce à des investissements massifs de constructeurs chinois, cette ville nouvelle devient un pilier de la production automobile en Égypte. Entre nouvelles usines, production locale et ambitions d’exportation, October City incarne la stratégie industrielle de l’Égypte.
Mi-janvier 2024, un événement marquant s’est déroulé à October City, une banlieue du Caire : l’inauguration d’une usine de la société chinoise Geely. Parmi les invités de marque figuraient Mostafa Madbouli, Premier ministre égyptien, et Song Yun, vice-président de Geely à l’international. Selon les annonces officielles, l’usine produira deux modèles : la Geely Coolray et la Geely Emgrand. Durant ses premières années, la production restera relativement modeste avec environ 30 000 véhicules par an, destinés principalement au marché égyptien.
La Chine en Égypte
Cette usine CKD (Completely Knocked Down) assemble des véhicules à partir de kits importés du pays d’origine du constructeur, permettant ainsi de réduire les coûts et de développer des emplois locaux. Les avantages de ce modèle sont importants. Réduction des coûts douaniers, les taxes d’importation sur des pièces détachées sont moins élevées que sur des produits finis, développement économique local, avec l’assemblage local favorise la création d’emplois et stimule le développement d’une main-d’œuvre qualifiée dans le pays hôte. Autres avantages, son adaptation aux marchés locaux pour répondre aux besoins ou réglementations spécifiques du marché local et enfin une entrée facilitée sur de nouveaux marchés, le constructeur n’étant pas obligé d’investir immédiatement dans une infrastructure complète de production. Cependant, ce mode de production a quelques inconvénients. Les usines CKD se concentrent généralement sur l’assemblage final, ce qui limite leur capacité à développer une chaîne d’approvisionnement locale pour les pièces détachées et limite la valeur ajoutée. Le modèle CKD maintient une forte dépendance envers le pays d’origine pour la fabrication des composants principaux.
Le modèle CKD est parfois comparé au modèle SKD (Semi Knocked Down) où le produit est partiellement assemblé avant d’être exporté. Par exemple, certaines parties du véhicule (comme le châssis) peuvent déjà être montées, et seules les étapes finales (comme l’installation du moteur ou des portes) sont effectuées localement. Le modèle CKD est donc plus complet en termes d’assemblage local, mais nécessite une infrastructure plus importante dans le pays hôte.
Quel modèle êtes-vous : CKD ou SKD ?
Le modèle CKD est une solution intermédiaire pour les constructeurs automobiles, entre la production 100 % locale (avec une chaîne d’approvisionnement complète) et l’importation directe de véhicules finis. Il joue un rôle clé dans la stratégie des multinationales pour conquérir des marchés émergents tout en stimulant l’économie locale et en respectant les réglementations commerciales. Pour le pays hôte, ces deux étapes permettent la création complète de l’écosystème (formation de main-d’œuvre qualifiée, sous-traitants) nécessaire à une industrie locale autonome. Et en Égypte, c’est à October City, avec ses usines et ses universités, que cet « hub » stratégique pour l’industrie automobile en Égypte et en Afrique du Nord s’est installé et se développe.
MG s’y met aussi
L’ouverture de l‘usine de Geely n’est donc pas un cas isolé. Fin décembre 2024, le géant chinois SAIC, propriétaire de MG, a annoncé un investissement massif de 135 millions de dollars pour construire une usine de production en Égypte. Située également à October City, cette nouvelle usine vise non seulement à répondre aux besoins locaux, mais aussi à exporter des véhicules vers d’autres pays africains, ce qui montre une stratégie ambitieuse de diversification. En novembre 2024, une autre inauguration a eu lieu dans cette même région, avec la marque EXCEED, un sous-label de Chery, qui a ouvert une nouvelle usine en présence de Kamal Al-Wazir, ministre égyptien de l’Industrie et du Commerce.
Par ailleurs, l’expansion chinoise dans le secteur automobile en Égypte se poursuit avec la société BAIC, qui a signé un accord pour établir une usine dédiée aux véhicules électriques à la périphérie du Caire.
Prévue pour couvrir une superficie de 120 000 mètres carrés, cette usine devrait être opérationnelle d’ici 2025 et produire dès 2026 environ 20 000 véhicules électriques par an, avec une part significative destinée à l’exportation. En parallèle, BYD, un autre géant chinois, est également en discussions pour établir une usine locale de véhicules hybrides.
Le succès de cette transformation repose également sur un soutien actif du gouvernement égyptien. Le programme AIDP (Automotive Industry Development Program), lancé en 2022, vise à faire de l’Égypte un centre régional de production automobile. Parmi les mesures phares figurent des exonérations fiscales, des subventions énergétiques pour les industries, et des incitations pour les constructeurs souhaitant exporter depuis l’Égypte.
En outre, le gouvernement a annoncé des subventions pour encourager les consommateurs égyptiens à acheter des véhicules électriques produits localement. Ces initiatives s’inscrivent dans une stratégie à long terme visant à réduire la dépendance aux importations tout en positionnant l’Égypte comme un acteur clé dans la transition énergétique mondiale.
Une longue tradition automobile
L’Égypte a une longue tradition dans l’industrie automobile. Celle-ci a pris son essor en 1961 avec la signature d’un accord de licence entre le gouvernement égyptien et le constructeur italien Fiat. Cet accord a marqué une étape cruciale dans la modernisation industrielle du pays, permettant à l’Égypte de produire localement des véhicules Fiat et de poser les bases d’une industrie automobile nationale.
Fiat a joué un rôle essentiel dans ce processus en transférant non seulement des technologies, mais également des compétences industrielles. L’entreprise a fourni à l’Égypte les outils, les plans et les savoir-faire nécessaires pour établir une chaîne d’assemblage local. Ce transfert de technologie a permis la formation d’une main-d’œuvre qualifiée, capable de répondre aux exigences de la production automobile. Les usines mises en place ont non seulement répondu aux besoins du marché local, mais ont également contribué à la création d’emplois et à la dynamisation de l’économie.
Les modèles produits sous licence Fiat en Égypte ont connu un succès notable. Ces véhicules, souvent robustes et abordables, étaient parfaitement adaptés aux attentes des consommateurs égyptiens. Conscients des spécificités du pays, les ingénieurs ont modifié certains modèles pour les rendre plus résistants aux conditions désertiques. Ainsi, ces voitures ont été conçues pour supporter les températures élevées et les infrastructures routières limitées, offrant aux conducteurs égyptiens des véhicules fiables dans un environnement exigeant.
Parmi les modèles les plus populaires produits en Égypte, on retrouve la Fiat 128, la Fiat 125, la Fiat 124 et la Fiat 1100, chacun occupant une place particulière dans le paysage automobile égyptien.
La Fiat 128, introduite en Égypte dans les années 1970, a rapidement gagné en popularité grâce à sa fiabilité et à sa simplicité mécanique. Cette voiture compacte était idéale pour les besoins de la classe moyenne émergente, combinant accessibilité, performances et facilité d’entretien. La Fiat 125, un modèle plus spacieux et confortable, a également marqué son époque, étant particulièrement prisée par les familles et les professionnels recherchant une voiture à la fois élégante et robuste.
Un autre modèle emblématique, la Fiat 124, était connu pour sa solidité et sa capacité à affronter les routes souvent inégales d’Égypte. Ce modèle, qui a également servi de base pour la création de la Lada 2101 en Union soviétique, a été légèrement adapté pour résister aux conditions locales, notamment aux températures élevées et à la poussière omniprésente.
Enfin, la Fiat 1100, bien que produite à une échelle plus limitée, a également trouvé sa place sur le marché grâce à son design compact et à son efficacité.
Ces modèles n’étaient pas de simples répliques des véhicules produits en Italie. Ils ont été adaptés pour répondre aux besoins spécifiques du marché égyptien, prenant en compte les défis environnementaux et infrastructurels du pays. Les ingénieurs ont modifié certains aspects techniques pour renforcer la durabilité des voitures dans des conditions climatiques souvent extrêmes, faisant de ces véhicules des choix fiables pour les consommateurs locaux.
Les Fiat 128, la Fiat 124 et, dans une moindre mesure, la Fiat 1100, ont été largement utilisés comme taxis en Égypte. Ces véhicules étaient appréciés pour leur fiabilité dans des conditions souvent difficiles, comme les routes poussiéreuses et les embouteillages chroniques des grandes villes. La Fiat 128, en particulier, est devenue un choix emblématique pour les taxis. Compacte et économique, elle offrait suffisamment d’espace pour transporter des passagers et leurs bagages, tout en étant facile à entretenir, ce qui réduisait les coûts pour les chauffeurs.
L’initiative de Fiat en Égypte – comme celle autour de la Lada en Europe de l’Est – a marqué le début d’une coopération industrielle qui allait influencer durablement le développement économique du pays. La production locale de véhicules a contribué à renforcer la souveraineté industrielle de l’Égypte tout en posant les bases d’une industrie automobile nationale. Ce partenariat a également permis au pays d’affirmer sa volonté de modernisation, en s’appuyant sur des entreprises internationales pour accélérer son développement.
Le succès des modèles produits sous licence Fiat témoigne de l’efficacité de cette coopération. Ces voitures, emblématiques de leur époque, ont durablement marqué le paysage automobile égyptien, tout en illustrant l’importance du transfert de technologie et des partenariats internationaux dans la transformation industrielle des nations en développement. Ainsi, l’histoire de Fiat en Égypte reste un exemple frappant de la manière dont un projet industriel peut façonner le développement d’un pays et répondre aux besoins spécifiques de sa population.
Les Chinois ont remplacé les Européens
Dans les années 1970, après la guerre du Kippour, le président Anouar El-Sadate voulait élargir et renforcer le secteur. Il a donc introduit des réformes économiques, dont la politique ODEP (Open Door Economic Policy), qui visait à attirer des investissements étrangers. Cette initiative a permis à des constructeurs comme Mercedes-Benz, Jeep et General Motors d’ouvrir des usines en Égypte. Cependant, l’élan de l’industrie automobile égyptienne a été brutalement interrompu en 2011 avec la chute du régime de Hosni Moubarak. De nombreux constructeurs occidentaux ont suspendu leurs activités, laissant l’industrie locale en déclin. Et ce sont les constructeurs chinois qui l’ont remplacé.
L’exemple du Maroc
Si l’Égypte fait des efforts significatifs pour relancer son industrie automobile, le Maroc représente un modèle déjà bien établi en Afrique. Le Maroc est aujourd’hui considéré comme un leader continental dans le secteur automobile grâce à des investissements massifs et à une stratégie claire mise en place depuis plusieurs décennies. Avec des constructeurs comme Renault et Stellantis (anciennement PSA Peugeot-Citroën), le Maroc produit plus de 400 000 véhicules par an, destinés à la fois au marché local et à l’exportation vers l’Europe et l’Afrique.
À Tanger, l’usine Renault-Nissan est l’un des plus grands sites de production automobile en Afrique, équipée de technologies modernes et alimentée en énergie renouvelable, ce qui renforce l’engagement du Maroc en matière de développement durable.
L’une des principales différences réside dans les infrastructures et les politiques incitatives. Le Maroc a mis en place une politique industrielle agressive, avec des zones franches comme Tanger Med, offrant des avantages fiscaux et douaniers aux investisseurs. Par ailleurs, le pays est plus avancé sur le chemin de l’augmentation de la valeur ajoutée et a développé une chaîne d’approvisionnement locale robuste, intégrant des centaines de fournisseurs de pièces détachées. En revanche, l’industrie égyptienne reste encore dépendante de l’importation de composants, bien que des efforts soient en cours pour développer une chaîne d’approvisionnement locale.
Sur le plan des véhicules électriques, le Maroc semble également avoir pris une longueur d’avance avec l’intégration de modèles électriques dans ses lignes de production et un projet ambitieux de développement de batteries à partir des ressources locales en cobalt. En comparaison, l’Égypte est encore au stade de l’installation de nouvelles usines de véhicules électriques, avec des prévisions de production relativement modestes.
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