La Nouvelle Librairie, en partenariat avec l’Observatoire du journalisme, a fait paraître dans sa collection Désintox une brochure de Rodolphe Cart sur La Menace néo-conservatrice qui pèse entre autres sur la France et l’Europe. Un texte à lire et à relire en cette période décisive pour l’avenir des relations euro-atlantiques.
Rodolphe Cart, La Menace néo-conservatrice. Une France et une Europe sous influence, 2024.
Qui sont ces fameux « faucons » et quel est leur agenda politique ? C’est à cette question que se propose de répondre l’auteur qui, dans un style limpide, dissèque ce mouvement venu des États-Unis et en partie responsable de la paralysie des dirigeants du Vieux Continent, la France ne faisant en rien exception. Du fait de son penchant pour la rébellion, la France est peut-être d’ailleurs une cible de choix aux yeux des néo-conservateurs américains. Un travail d’influence effectué sur plusieurs décennies, avec succès, si l’on en juge à la quantité d’experts en tout genre défilant sur les plateaux de télévision français pour se faire les perroquets de leurs donneurs d’ordre d’outre-Atlantique, notamment quand il est question du conflit russo-ukrainien.
Batailles des idées
Rodolphe Cart cite l’un d’entre eux, Bernard-Henri Lévy, qui ne se contente pas de faire écho à la politique US mais est fier de théoriser et de justifier son rôle, y voyant quelque chose ayant trait à l’essence de la gauche : « La vraie mémoire de la gauche, c’est l’internationalisme contre le non-interventionnisme. Le souci du monde contre le nationalisme. La générosité contre cette saloperie qu’est aujourd’hui comme hier, le souverainisme. C’est quoi, le souverainisme ? C’est l’idée que le droit n’existe pas ou qu’il est, plus exactement, sujet à la loi des frontières[1]. »
Mais l’auteur ne manque pas de rappeler que le néo-conservatisme, au départ surtout issu de mouvances trotskistes, glisse à droite, et assure désormais la stabilité des « deux flotteurs gauche et droit de l’extrême centre ». Aux États-Unis, on le retrouve aussi bien chez les Démocrates que chez les Républicains. En France, ces réseaux se sont emparés de quasiment tout l’échiquier politique.
La question Trump
Publié avant la victoire de Donald Trump en novembre, l’ouvrage pourrait paraître daté, mais en réalité son intérêt ne se voit là qu’augmenté. En effet, le second mandat de Trump sera plus que jamais l’occasion de dévoiler la complexité du pouvoir US. Trump s’est fait le chantre de la lutte contre l’État profond. L’on dit qu’il est déterminé à chasser les faucons des cercles de décision de la politique étrangère américaine. Est-ce toutefois aussi simple que cela ? L’on se souvient de sa défaite en 2020, largement due au travail de sape d’un appareil démocrate pour le coup plus adepte d’une mondialisation façon Davos que de la traditionnelle feuille de route néo-conservatrice.
À bien des égards, Trump est bien plus le représentant d’une politique américaine impériale. Mais son style de dealmaker et la fatigue des classes moyennes américaines font aussi de lui un dirigeant aux traits isolationnistes. Les grandes tensions que provoquera son mandat en diront long sur les ramifications du pouvoir US. L’on en saura rapidement encore plus sur ce terme de néo-conservatisme devenu un véritable épouvantail. Une chose paraît à ce stade assez certaine : Trump se montre moins attaché au maintien quoi qu’il en coûte de l’Europe sous protection américaine. Annoncer la fin de l’OTAN serait pour autant absurde, mais Trump sera de ce point de vue moins néo-conservateur que l’establishment démocrate actuel.
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Face à la Chine
Tout réside principalement dans les relations qu’il mettra en place avec la Chine. Car c’est sur la montée en puissance écrasante de la Chine, et l’émergence de l’Asie du Sud-Est en général, que le logiciel néo-conservateur a toujours buté. Celui-ci est très XXe siècle et aime manier l’injonction morale, et paraît bien démuni face au colosse chinois.
Que fera Trump concernant la Chine ? Ira-t-il à la confrontation commerciale sans concession ? Sur quelles conséquences géostratégiques cela peut-il déboucher ? L’agenda chinois est à cet égard clair : tout faire pour obtenir une place plus importante dans l’architecture du pouvoir mondial, que Pékin veut multipolaire, plus équilibré, et donc en réalité assez kissingérien. Il est peu probable que Trump cède facilement, mais on l’imagine mal s’adonner à une politique étrangère alliant agressivité militaire et ascendant moral (les deux mamelles du néo-conservatisme). Il naviguera probablement entre ces deux extrémités, d’un côté le réalisme kissingérien et de l’autre le néo-conservatisme, façonnant une stratégie sortant de la traditionnelle opposition américaine entre isolationnisme et interventionnisme.
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[1] LÉVY (Bernard-Henri), « La mémoire de la gauche, c’est le souci du monde contre cette saloperie qu’est le souverainisme », Libération, 3 février 2016