L’Allemagne connait une crise politique majeure qui voit la coalition d’Olaf Scholz voler en éclat. Le pays est aussi confronté à une crise de la dette et à une limitation de ses possibilités d’emprunts.
Article de Cédric Gemelh paru dans Gavekal. Traduction de Conflits
Lorsqu’il y a un an, la Cour constitutionnelle allemande a condamné le gouvernement d’Olaf Scholz pour ses pratiques comptables douteuses, elle a remis le « frein à l’endettement » du pays à l’ordre du jour politique. Elle a mis en évidence une contradiction entre la demande croissante du public pour davantage de dépenses publiques et le mécanisme d’austérité qu’il s’est lui-même imposé, qui limite le déficit structurel de l’Allemagne à -0,35 % du PIB.
À l’époque, j’avais avancé que ce processus pourrait se terminer par une décision du gouvernement : (i) réaffirmant le frein à l’endettement et réduisant les dépenses, (ii) maintenant le frein à l’endettement mais réévaluant ses priorités politiques, ou (iii) supprimant purement et simplement le frein à l’endettement.
Alors que l’Allemagne semblait se trouver dans le deuxième scénario au cours de l’année écoulée, des vents politiques changeants l’ont entraînée vers le troisième scénario. Les chances d’une telle issue ont augmenté la semaine dernière lorsque Friedrich Merz, le chef de l’Union chrétienne-démocrate et l’homme le plus susceptible d’être le prochain chancelier de l’Allemagne, a ouvert la porte à une réforme du mécanisme de frein à l’endettement de l’Allemagne, qui est peu enclin à dépenser.
Crise politique
La question est de savoir si les élections imminentes produiront un résultat politique permettant de modifier le plafond des dépenses déficitaires imposé par la Constitution. La barre est haute, car une telle réforme nécessite une majorité des deux tiers à la fois dans les chambres basse et haute du parlement allemand. D’après les sondages actuels, et compte tenu du seuil de 5 % que les partis politiques doivent franchir pour obtenir des députés à la chambre basse, une coalition composée de la CDU, des sociaux-démocrates et des Verts pourrait obtenir une telle majorité sur la base de leur part de voix prévue de 71 % (ils disposent déjà de 81 % des sièges à la chambre haute).
Cependant, la campagne n’a pas encore véritablement démarré et, à ce stade, les prédictions ne comptent pas pour grand-chose. Lors des élections de 2021, le nombre de personnes ayant déclaré aux instituts de sondage qu’elles voteraient pour le SPD est passé de 15 % à 25 % en l’espace d’un mois. Par ailleurs, si les petits partis comme les démocrates libres ou ceux de « gauche » dépassaient le seuil des 5 %, cela réduirait le nombre de délégués de la CDU, du SPD et des Verts et rendrait tout changement constitutionnel difficile.
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Le frein à l’endettement
Même si les conditions politiques permettent de desserrer le frein à l’endettement, ceux qui s’attendent à ce que l’Allemagne entre dans un paradis keynésien de nouveaux programmes gouvernementaux risquent d’être déçus. Les commentaires de M. Merz indiquent un changement progressif permettant une plus grande marge de manœuvre budgétaire pour les investissements financés par la dette.
Il est intéressant de noter qu’un groupe influent de « sages », composé d’experts économiques qui conseillent le gouvernement, vient de soumettre son rapport annuel dans lequel il expose ses vues sur la manière d’accroître la marge de manœuvre budgétaire dans le cadre des contraintes du frein à l’endettement. Il suggère de lier la marge de manœuvre autorisée par le frein au niveau global de la dette publique de l’Allemagne. La limite pourrait être fixée à -0,5 % du PIB lorsque le ratio dette/PIB est de 90 %, et passer à -1 % si le ratio est ramené à 60 %. Ce ratio devant s’établir à 62 % du PIB en 2024, cela libérerait 0,65 point de PIB par an pour de nouveaux investissements par rapport aux règles actuelles.
L’Allemagne face aux règles de l’UE
Une question plus importante est de savoir si l’assouplissement des contraintes budgétaires de l’Allemagne conduit à un assouplissement des règles budgétaires de l’Union européenne. La réponse courte est non, car ce cadre n’a été révisé que l’année dernière. Néanmoins, ces nouvelles règles n’ont pas encore été testées correctement, de sorte qu’un Berlin plus expansionniste pourrait assouplir la manière dont elles sont appliquées. En effet, ces règles laissent une plus grande place aux discussions bilatérales entre les États membres et la Commission européenne, ce qui permet à cette dernière de décider d’un traitement spécifique à chaque pays. Le Conseil européen doit approuver ces recommandations, et c’est là qu’un changement de position de l’Allemagne pourrait aider la Commission à gérer les niveaux de la dette publique afin de garantir davantage d’investissements publics dans toute l’UE.
Par conséquent, même si une révision radicale du frein constitutionnel allemand reste un objectif à long terme, un tel résultat n’est plus impensable. Cela crée un risque de hausse pour la croissance en Allemagne et dans l’ensemble de l’UE. Cela signifie également que les gouvernements européens pourraient émettre encore plus d’obligations, ce qui accentuera la pression à la hausse sur les rendements.
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