Conflits a pu s’entretenir avec deux combattants du Hezbollah. Le premier, Ahmad, fait partie des unités cyber et le second, Zolfikar, est membre de l’une des unités d’élite du parti chiite. Ils sont tous les deux mobilisés et participent aux combats contre Israël. Pour des raisons de sécurité, leur identité et leur grade ne seront pas dévoilés. Ils nous offrent un aperçu de la situation et comment le Hezbollah a pu encaisser le choc par une intervention directe de l’Iran.
Le 30 septembre dernier, l’armée israélienne lance son offensive terrestre au Liban pour repousser le Hezbollah de la frontière et pour mettre fin aux tirs de roquettes[1]. Celle-ci s’inscrit dans une longue campagne de bombardements et d’assassinats ciblés qui a démarré au lendemain du massacre du 7 octobre 2023. Le Hezbollah, allié du Hamas, avait participé en lançant des roquettes sur l’État hébreu. Alors que le gros des opérations est terminé dans la bande de Gaza, Tsahal a redirigé ses forces en direction de son ennemie du nord.
« Nous avons été choqués par les premières attaques »
Les Israéliens ont surpris par la férocité et la précision de leurs frappes sur les infrastructures et les membres du Hezbollah. Ils ont frappé un nombre important de dépôt d’armes et surtout, ils ont réussi à éliminer quasiment tous les cadres politico-militaires du parti allant jusqu’à tuer son leader et fondateur Hassan Nasrallah. « Nous avons traversé des moments difficiles en première ligne, surtout après l’assassinat du premier et du deuxième commandement. Nous avons été désorientés pendant un certain temps, et le front vacillait. Et oui, nous avons été choqués par les premières attaques, car nous ne nous y attendions pas[2] » confie Zolfikar. Il poursuit en expliquant que ces assassinats ont engendré une importante crise à l’intérieur de l’appareil du parti. Le vide a mené à des tensions entre les commandants d’unités.
Chacun vise à obtenir une promotion, à maintenir ou à renforcer sa position tout en nuisant, si possible, aux autres candidats. Premiers témoins de ces affrontements fratricides, les combattants expriment ouvertement leurs mécontentements vis-à-vis de leurs supérieurs. Le manque de leadership a eu un impact majeur sur la situation militaire sur le terrain, entrainant beaucoup de pertes. Ces incidents ont eu pour effets de démoraliser les hommes et d’augmenter les désertions. Zolfikar a été témoin de ces événements : « Je ne vais pas le nier, et c’est quelque chose que j’ai constaté moi-même : j’ai vu des combattants quitter les lignes de front, j’en ai vu se disputer avec leurs commandants. Tout cela s’est produit. Mais après avoir encaissé les premiers coups et nos pertes, en particulier parmi les dirigeants, et avec l’aide des Iraniens, nous avons pu nous relever et continuer à nous battre. »
« Sans l’Iran, le Hezbollah n’existerait plus aujourd’hui »
L’Iran reste le garant de la survie du Hezbollah. L’alliance de Téhéran et du Hezbollah s’inscrit dans une stratégie plus large de résistance régionale, incluant des acteurs comme le Hamas et d’autres groupes affiliés. Ce réseau, souvent qualifié d’« axe de la résistance », a pour objectif de contrer les ambitions israéliennes et américaines dans la région pour y promouvoir ceux de l’Iran. Comme l’explique Ahmad « L’Iran n’est pas notre seul allié. Le Hamas est à nos côtés. Nous sommes dans la même tranchée. Ils nous aident quand c’est nécessaire et ils sont toujours prêts à nous soutenir si besoin. Ils continueront à être notre allié stratégique et feront toujours partie de l’axe de la résistance. »
Après les pertes initiales, engendrées par les opérations israéliennes, l’intervention rapide des conseillers iraniens, principalement issus du corps des gardiens de la révolution, a permis de combler le vide laissé par les commandants assassinés. Ces officiers ont aidé à reconstruire une structure de commandement fonctionnelle, tout en insufflant une nouvelle dynamique morale au sein des rangs du Hezbollah. Pour Zolfikar : « Sans l’Iran, le Hezbollah n’existerait plus aujourd’hui ». En plus de fournir des armes et du matériel, l’Iran a mis en place une rationalisation des opérations, afin d’économiser les ressources du Hezbollah. En effet, contrairement à la guerre de 2006, le parti chiite n’a pas lancé la mobilisation générale. Sur le front, Zolfikar explique que les cadres iraniens ont mis en place un système de rotation. Une unité passe une semaine à dix jours en première ligne avant d’être relevée et de passer une semaine à l’arrière. Il est clair que Téhéran se prépare à une guerre prolongée au Sud Liban. « À ma connaissance, ils ont mis en place une direction plus pratique, de manière que la résistance continue quoi qu’il arrive. » commente Zolfikar. Selon lui, il n’est pas le seul à partager cette opinion.
Les autres combattants estiment que les Iraniens font de bons commandants. Cela aurait eu pour effet d’augmenter le moral des troupes et de faire revenir une partie des déserteurs. Cependant le soutien iranien ne se limite pas à l’aspect militaire. Téhéran fournit également un appui financier substantiel, qui permet au Hezbollah de continuer à soutenir ses bases populaires, même en temps de guerre, comme dans la vallée de la Bekaa qu’Ahmad considère comme « le réservoir humain du Hezbollah. »
Cependant malgré la prise en charge des populations par le Hezbollah — soutenu en partie avec de l’argent iranien — de plus en plus de voix s’élève contre le parti chiite comme l’avoue Zolfikar : « Personne ne peut nier que les gens sont fatigués de la guerre, et personne ne peut nier que certaines personnes se sont retournées contre le Hezbollah. Certains nous accusent d’avoir amené les Israéliens au Liban et nous reprochent beaucoup de choses. Parfois, j’entends cela même de la part de membres de ma propre famille, et c’est quelque chose de normal en tant de guerres. » Il semblerait que la base populaire du Hezbollah commence à s’effriter.
L’Iran se prépare donc à une guerre d’usure au Sud Liban. Cependant, Téhéran semble vouloir éviter l’escalade, mais il pourrait être poussé à répondre en cas d’attaque directe sur son territoire, comme le souhaite le gouvernement israélien de Benjamin Netanyahu. Pour une attaque d’envergure sur l’Iran, Tsahal a besoin de l’accord et du soutien militaire des États-Unis. Malgré les échanges de tirs de contrôlés entre Tel-Aviv et Téhéran, la Maison-Blanche a su maintenir la pression sur les belligérants pour éviter un embrasement régional. Alors que Donald Trump, en campagne électorale, avait appelé « à bombarder les infrastructures nucléaires de l’Iran »[3]. Ainsi, il est raisonnable de penser que le conflit au Sud Liban restera de la même intensité, au moins jusqu’au 20 janvier 2025, date de l’investiture de Donald Trump pour son second mandat.
[1] https://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/2024-10-01/israel-annonce-avoir-lance-une-offensive-terrestre-dans-le-sud-du-liban.php.
[2] Entretiens réalisés en octobre 2024.
[3] https://www.newsweek.com/donald-trump-says-israel-should-hit-irans-nuclear-first-1964268