La France poursuit une action de diplomatie culturelle, qui passe notamment par la restitution de certaines œuvres d’art aux pays africains. Ce qui n’est pas sans se heurter à des difficultés juridiques et administratives.
Xavier Loro
« Je ne suis pas venu ici vous dire quelle est la politique africaine de la France comme d’aucuns le prétendent. Parce qu’il n’y a plus de politique africaine de la France ! Il y a une politique que nous pouvons conduire, il y a des amis, il y a des gens avec qui on est d’accord, d’autres non. Mais il y a surtout un continent que nous devons regarder en face. » Ce sont par ces mots, présents dans l’introduction de son discours de Ouagadougou du 28 novembre 2017, qu’Emmanuel Macron envisage la nouvelle relation entre l’État français et ses partenaires africains, sur un fond historique commun.
L’évolution de la diplomatie culturelle française, comprise comme l’utilisation de la culture et des arts à des fins d’influence, symbolisée par le discours de référence de Ouagadougou, connaît des évolutions. Car nous assistons bien à un changement de paradigme : la culture retrouve une place active dans le dispositif d’influence extérieure – loin des politiques de préservation de la francophonie et de diffusion antérieures. Cela s’explique par son inscription dans un retour des logiques de puissances que la loi de programmation militaire de 2023 a permis de mieux prendre en compte.
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L’origine de l’influence culturelle en Afrique de l’Ouest est donc à trouver dans la colonisation. Bâti à partir des possessions et comptoirs d’Ancien Régime et de l’époque révolutionnaire, l’Empire colonial français s’est progressivement structuré de la prise d’Alger en juillet 1830 aux indépendances des années 1950 et 1960.
Ainsi, l’actuelle diplomatie culturelle n’est que le prolongement de la « politique africaine de la France » établi à l’issue des indépendances. Mise en place par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE), elle repose sur deux outils d’élargissement de l’influence à l’international : premièrement, le rayonnement intellectuel et artistique français, et secondement, la structuration de filiales culturelles en coopération avec des acteurs locaux. Autrement dit, la diplomatie culturelle participe au soft power français en Afrique – notion qui caractérise cette manière douce d’imposer sa domination pour orienter favorablement le choix d’acteurs internationaux acquis à une sphère culturelle et cognitive donnée.
Ce soft power français semble toutefois bien en peine – ce que les retraits de troupes au Mali, au Burkina Faso et au Niger entre 2022 et 2023, semblent parfaitement illustrer. Toutefois, ces faits retentissants ne doivent pas masquer une réalité plus fine et nuancée : celle du sentiment anti-français. Trouvant sa source dans les premiers moments coloniaux et s’étant développé lorsque la France a elle-même enrayé le système françafricain dans les années 1990, il est une constante de notre politique en Afrique. Ce qui, d’ailleurs, n’entrave pas complètement l’action culturelle sur place, comme nous le prouve le chèque de 200 000 € établi pour la 13e édition des Rencontres de la photographie de Bamako, malgré son éviction du pays par la junte au pouvoir.
C’est donc contre ce sentiment de fond que la France doit lutter aujourd’hui, car il entrave ses stratégies d’influence. D’autant plus qu’il est exacerbé par des pouvoirs autoritaires qui y ont trouvé le bouc émissaire parfait à tous leurs problèmes. Sentiment aussi utilisé par des puissances étrangères pour menacer la France – et en particulier la Russie qui n’hésite pas à faire vibrer la corde sensible du panafricanisme, en passant par des influenceurs comme Nathalie Yamb et Kémi Semba.
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Pour faire face à ces nouveaux défis, plusieurs stratégies de diplomatie culturelle ont été mises en place. Même si on peut identifier trois orientations majeures (diffusion et formation par l’audiovisuel, logiques de restitutions de biens culturels et création d’entreprises culturelles et créatives), on peut affirmer qu’elles reposent toutes sur l’idée d’une nouvelle forme de coopération et d’égale implication des acteurs africains.
L’action diplomatique culturelle commence par les moyens de diffusion de cette culture. Pour cela, elle bénéficie du service France Médias Monde (FMM), qui comprend entre autres France 24 et Radio France internationale (RFI), et qui est en charge de la coordination de l’ensemble des stratégies hexagonales en matière de médias dans le monde. À lui seul, le groupe FMM était regardé ou écouté par 78,5 millions d’Africains en 2022. Ses filiales comme France 24 et RFI réunissaient respectivement 40 millions de téléspectateurs (1re chaîne d’information francophone d’Afrique) et 38,6 millions d’auditeurs de manière hebdomadaire. Ces chiffres se concrétisent aussi sur le terrain par un réseau extrêmement important, en partie structuré autour des clubs RFI (comme ceux de N’Djamena et Abéché, au Tchad).
Ces services et opérateurs diplomatiques ont récemment accéléré leurs campagnes d’éducation aux médias et à l’information. En effet, les événements récents de manipulations électorales ou d’exacerbation du ressentiment contre l’armée française par des actions de désinformation (dont l’exemple du charnier Gossi figure en cas d’école) mène le Quai d’Orsay à entreprendre de plus en plus de formations. Ces actions passent principalement par Canal France International (CFI), filiale de FMM en charge de l’accompagnement des médias dans le monde, et en particulier en Afrique et dans le monde arabe. CFI s’est lancé depuis 2022 dans une vaste campagne d’information sur la désinformation. Que ce soit avec Désinfox Tchad (juillet 2022 – mars 2024) qui a formé des journalistes ainsi que la Haute Autorité des médias et de l’audiovisuel tchadienne, ou le programme Désinfox jeunesse (débuté en octobre 2023 et prévu jusqu’en septembre 2025), ce sont près de 2 millions d’euros qui ont été déboursés dans ces projets.
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Toutefois, si l’audiovisuel français est un vecteur particulièrement important pour la diplomatie culturelle, il reste largement sous-employé et sous-financé par rapport à ses concurrents étrangers. Son budget pour 2023 n’a été que de 263 millions d’euros, ce qui est largement inférieur à celui de la BBC World Service (386 millions d’euros en 2022) et de l’USA Global Media – Voice of America (813 millions d’euros en 2022). D’autant plus que ces relais médiatiques sont souvent les premières cibles des États les plus hostiles à la France (suspension de RFI au Burkina Faso en décembre 2023 à la suite du coup d’État), ce qui limite la capacité française à retrouver son influence.
Autre action, et non des moindres : la restitution d’un certain nombre de biens culturels africains. Comme le président de la République l’affirmait à Ouagadougou en 2017, « le premier remède c’est la culture, dans ce domaine, je ne peux pas accepter qu’une large part du patrimoine culturel de plusieurs pays africains soit en France. […] Le patrimoine africain doit être mis en valeur à Paris, mais aussi à Dakar, à Lagos, à Cotonou, ce sera une de mes priorités ». Il avait d’ailleurs permis la restitution, à la suite de son discours, de 26 œuvres saisies par l’armée française lors de la prise du Bénin, en 1892.
Concernant pour l’instant très peu d’œuvres (du fait d’un blocage législatif), le rapport établi par Bénédicte Savoy et Felwine Sarr pour le compte de l’État (novembre 2018) parle de près de 90 000 œuvres qui pourraient être concernées par un processus de restitution. Toutefois, les cas précédents témoignent de difficultés pour arriver à ces résultats – les objets sont bien souvent protégés par les règles d’imprescriptibilité et d’inaliénabilité du domaine public qui font obstacle aux restitutions. Les rares exemples de ces dernières décennies n’ont été possibles que par l’utilisation de lois d’exception, qui permirent par exemple la restitution à l’Afrique du Sud de la « Vénus hottentote » (dépouille de Saartjie Baartman), en 2022.
Mais outre les questions légales, la restitution de biens n’est pas forcément corrélée avec une amélioration des relations diplomatiques et culturelles. En ce sens, l’exemple de la remise du premier manuscrit royal coréen de la dynastie Joseon à Séoul (sous forme d’un dépôt), dans le but de se rapprocher de la Corée du Sud pour lui proposer Alstom comme prestataire pour la réalisation de son réseau TGV, a été un échec (ce qui explique que malgré sa promesse, François Mitterrand n’enverra pas le reste des manuscrits).
Enfin, et c’est peut-être là que l’action de l’État est la plus importante, par le développement des industries culturelles et créatives (ICC). Cette politique est d’autant plus intéressante qu’elle coïncide entièrement avec des intérêts économiques assumés par les agents de l’État. Il ne s’agit alors plus d’imposer depuis Paris des projets, mais bien d’envisager une approche plus horizontale des relations, dans une logique de co-construction. Ce qui est possible grâce à la participation de l’Agence française de développement (AFD) ou encore de Business France. Au cœur de la politique transformationnelle en Afrique, elles sont vues comme une priorité par l’Élysée qui est à l’origine du forum ICC qui s’est tenu à Paris du 6 au 8 octobre 2023.
Cela est particulièrement visible par la participation d’opérateurs français dans des événements culturels locaux. Parmi ces opérateurs, on trouve en particulier l’Institut français, établissement public qui met en œuvre la politique culturelle extérieure de la France, sous la direction des ministères des Affaires étrangères et de la Culture. Plusieurs exemples récents en témoignent, comme la Biennale de la danse en Afrique, qui devrait se tenir entre 2025 et 2026, et dont il se charge de trouver le pays africain qui accueillera l’événement.
Mais cela peut aussi avoir lieu en France. Outre la saison Africa2000, qui a permis la tenue de 1 500 événements dans 210 villes françaises en 2010, c’est le cas pour l’exposition du musée du Quai Branly – Jacques Chirac, consacrée aux chefferies camerounaises (« Sur la route des chefferies du Cameroun. Du visible à l’invisible »). Présentée du 5 avril au 17 juillet 2022, elle révolutionne le fonctionnement du musée et des expositions occidentales d’art africain. Plutôt que d’exposer des chefs-d’œuvre d’art africain sous l’autorité d’un commissariat d’exposition composé de conservateurs du musée, le choix a plutôt été fait de laisser la main à l’association La Route du Cameroun pour dresser une géographie de la cinquantaine de chefferies de la région de Grassfield. Cette approche témoigne donc bien de cette nouvelle volonté d’association qui peut exister par le prisme culturel entre l’Afrique de l’Ouest et la France.
Ainsi, la diplomatie culturelle française a-t-elle évolué au gré des changements d’approches de la politique extérieure et des modifications de perception de la présence sur place. Évolution claire, mais qui n’en finit pas de s’empêtrer dans des problèmes qui semblent insolubles. Que ce soient des entraves légales ou institutionnelles, comme la multiplication du glacis d’acteurs que génère le regroupement de l’action de plusieurs ministères, la France a encore de nombreux obstacles à supprimer pour être à la hauteur du discours de Ouagadougou.