<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Rheinmetall AG, géant européen de la défense

26 décembre 2024

Temps de lecture : 3 minutes

Photo : Le chancelier allemand Olaf Scholz, accompagné du PDG de Rheinmetall, Armin Papperger, lors d'une visite d'une chaîne de production dans une usine de l'entreprise, 2024//SIPA/ 2402121420

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Rheinmetall AG, géant européen de la défense

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Héritier d’un Konzern de la Ruhr, Rheinmetall est dès l’origine (1889) un fabricant de canons et de munitions. Il a épousé l’histoire de l’Allemagne et surmonté toutes les crises pour être aujourd’hui un géant européen de la défense.

Article paru dans la Revue Conflits n°54, dont le dossier est consacré aux ONG, bras armés des États.

Jean-Marc Holz

Le contexte géopolitique a bien changé : la guerre en Ukraine et la Zeitwende – ce tournant historique de la politique de défense annoncé par le chancelier Olaf Scholz – ont relancé la course aux armements. Héritier d’un Konzern de la Ruhr, Rheinmetall est dès l’origine (1889) un fabricant de canons et de munitions[1]. Prompt à innover et à enrichir une gamme de produits aujourd’hui très large pour les armées de terre, il a épousé le destin chaotique de l’Allemagne depuis la fin du xixe siècle et surmonté de multiples crises où alternent croissance, brutal repli puis renaissance dans les après-guerres, lors des réarmements de 1921 et 1955. Depuis, le groupe, resté à l’écart des fabrications prestigieuses (avions de chasse, sous-marins) se consacre à l’armement terrestre (79,2 % des ventes) dont il ambitionne de devenir un des leaders mondiaux[2]. Depuis plus d’un siècle, sa stratégie n’a guère changé. Elle mêle croissance organique solide (seuls 33,3 % des bénéfices sont versés aux actionnaires, le reste est réinvesti ou provisionné), endettement faible, croissance externe et coopérations pour stabiliser et compléter la filière, enfin production diversifiée : fabrications civiles (locomotives jadis, équipements automobiles aujourd’hui), et surtout, production de canons de tous types et tous calibres (canons du Leopard, vendu à 3 600 exemplaires dans le monde, obusiers, canons de marine, etc.) et les munitions correspondantes (des grenades aux obus-flèches), segment très rentable (marge : 23 %) aujourd’hui d’importance critique.

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Depuis le rachat de la fabrique de Sömmerda (Thuringe) en 1901, RM a pris le contrôle de nombreux fabricants de poudres et d’explosifs, dont l’espagnol Expal en 2023. À cela s’ajoutent des systèmes de protection, des drones de reconnaissance, des véhicules blindés (transport de troupe, véhicules spéciaux de génie…) et depuis 2022 le prototype Panther KF 51, son premier char de combat, entièrement fabriqué sur fonds propres, sans oublier les services (digitalisation du fantassin, hôpitaux de campagne, maintenance, formation…). Cette logique de couteau suisse présente l’avantage pour les clients étrangers de pouvoir négocier des packs complets d’équipements pour leurs forces terrestres. Exportant aujourd’hui 76,7 % de sa production, RM tend à se recentrer sur le marché domestique (12 Md€ de commandes fédérales en juin 2024) et les pays de l’OTAN pour contourner le veto suisse aux livraisons à l’Ukraine et s’affranchir des aléas géopolitiques des marchés sensibles (Moyen-Orient, Asie).

Le groupe conforte son ancrage territorial en Allemagne et se redéploie en Europe centrale et orientale : quatre usines en Hongrie, autant en Ukraine, accords de coproduction (Roumanie), nouveaux débouchés (Lituanie). La firme poursuit un lobbying actif auprès du Bundestag (300 députés sont issus de circonscriptions où travaillent ses 11 000 employés allemands), exploitant la porosité entre sphère politique et milieux d’affaires pour recruter des personnalités politiques de premier plan[3]. Elle s’investit de plus en plus dans les techniques de pointe : absente des recherches sur le canon électromagnétique, elle s’intègre avec Skyranger 30 au programme de bouclier européen lancé par Berlin – sans la France –, signe un partenariat clé avec Lockheed Martin pour construire en Allemagne, dans sa nouvelle usine de Weeze, les pièces centrales du fuselage du F-35. Et surtout, ne pouvant rester à l’écart du programme franco-allemand MGCS (« char du futur ») piloté par KNDS[4], pour remplacer vers 2040 le Leclerc et le Leopard, dont elle fournit le canon, la firme s’invite en 2019 dans le projet, quitte à le déstabiliser, pour conserver le segment rentable du futur canon. Son calibre reste à définir : RM propose Rh-130 mm, la France poussant le concept ASCALON (140 mm). En attendant, Rheinmetall s’allie à Leonardo (juillet 2024) pour vendre à l’Italie 200 Panther KF 51 ; posant ainsi le Rh 130 comme standard en Europe/OTAN, rendu incontournable pour le MGCS, RM supplanterait KNDS… L’Europe de la défense, un long fleuve tranquille ?

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[1] Sous le nom : Rheinische Metalwaaren- und Maschinenfabrik AG (à Dortmund, Ruhr westphalienne ).

[2] 19e groupe mondial de l’armement, 7,176 Md € de chiffre d’affaires (2023), 28 054 salariés (dont 4 422 en RD), 167 sites dans 28 pays (à titre de comparaison : KNDS : 3,3 Mds €, 9491 salariés).

[3] Trois anciens ministres (D. Niebel, F-J Jung, K.Sunder) et trois universitaires, entre 2014 et 2022.

[4] KNDS groupe franco-allemand, issu de la fusion en 2015 du bavarois Kraus-Maffei-Wegmann (50%) et du français Nexter Systems (50%). MGCS : Main Ground Combat System : futur char de combat principal, intégrant de multiples innovations.

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À propos de l’auteur
Jean-Marc Holz

Jean-Marc Holz

Jean-Marc Holz est agrégé de géographie, docteur ès sciences économiques, docteur d'Etat ès lettres. Il a enseigné aux universités de Franche-Comté (Besançon) et de Perpignan, comme professeur des universités.

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