Alors que les deux pays traversaient une période de détente depuis l’élection de Félix Tshisekedi en 2019, la RDC et le Rwanda ont vu leurs relations se dégrader depuis 2022 avec la remontée en puissance du groupe armé M23. Aujourd’hui, Kigali et Kinshasa sont en quasi-état de guerre ouverte dans la région du Kivu, en bordure orientale de la RDC et limitrophe du Rwanda.
Pierre d’Herbès
L’impossible paix
Les deux pays ont convenu à l’été 2024 d’un cessez-le-feu. Cela alors que le M23, est parvenu à mettre en échec les forces armées congolaises, les FARDC. Depuis, les négociations de paix piétinent, malgré les efforts de l’Angola, dans le cadre du processus de Luanda ; mais aussi de la France, qui pensait pouvoir profiter du sommet de la francophonie, à Villers-Cotterêts, pour faire avancer les tractations de paix.
Problème, l’intransigeance du Président Félix Tshisekedi a fait capoter la médiation angolaise mi-septembre. Le Rwanda est en accord pour modérer son action sur le terrain, mais il ne le fera pas tant que les FARDC n’auront pas commencé à engager des opérations conjointes contre les FDLR, fondé par d’ex-génocidaires Hutus. Problème de calendrier donc, compliqué par le refus de la RDC de négocier directement avec le M23 qu’elle considère comme terroriste, cela malgré la position du président Emmanuel Macron qui appelait, lors du sommet de Villers-Cotterêts, à la reprise : « d’un processus politique avec le M23 et toutes les composantes politiques ». Or c’est bien là le nœud.
La posture du Président Tshisekedi traduit dans cette affaire une approche d’ordre international et sécuritaire, voire militaire. Pourtant, même si le M23 est soutenu par le Rwanda et assimilé à l’ethnie tutsie — celle du président Paul Kagamé – il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un groupe armé congolais comme le Kivu et l’Iturie en comptent des centaines d’autres.
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Un problème Congo-congolais
La RDC ne cherche-t-elle pas en fait à se dédouaner de ses responsabilités ? Comme le disait le chercheur Onesphore Sematumba en avril 2024 à l’International Crisis Group : “Il y a un déni de la responsabilité congolaise, et les politiques congolais cherchent des boucs émissaires faciles« . En réalité, le M23, comme les autres groupes armés, est parfaitement en mesure de s’auto-financer via plusieurs vecteurs : trafics de minerai, exploitation forestière, prélèvement de taxes illégales, banditisme, etc. Des ferments en forme de cercles vicieux qui précarisent la région en entretenant les leviers du chaos. C’est ainsi que l’action terroriste des ADF, en Iturie, ne diffère pas tant des standards de violence et de banditisme des acteurs locaux.
Plus grave, comme le décrivait en 2022 Thierry Vircoulon dans une étude parue dans l’IFRI, les trafics illégaux, notamment de minerais, sont parfaitement intégrés à la mondialisation. Par quels intermédiaires ? Celui des fameux “Big Men” issu des élites provinciales des deux Kivu et de l’Iturie. Enrichis pendant les guerres du Congo et ayant gravi les échelons politiques de la province jusqu’à Kinshasa, ils gardent des liens de clientèle avec les groupes armés locaux dont ils se servent pour favoriser leurs affaires. Bref, ils maintiennent un statuquo d’anarchie en arme.
L’impasse sécuritaire
La problématique est donc avant tout d’ordre politique, cela dans un des pays les plus corrompus du monde. Une donne qui rend caduc le tropisme sécuritaire choisit par Félix Tshisekedi. Une stratégie boiteuse et basée sur des FARDC déliquescentes. Les méthodes de ces dernières ne diffèrent d’ailleurs pas tant des groupes armés : exploitation illégale de l’or, violence sur les civils, alliance avec d’autres groupes armés, dont les FDLR, corruption, etc. Comment l’État congolais pourrait-il ramener l’ordre légal quand son armée est une partie du problème ?
Les FARDC sont par ailleurs peu opérationnelles et composées pour partie d’anciens groupes armés issus de processus DDR dysfonctionnels. Mal équipées, mal formées et mal encadrées, elles ne sont pas capables de s’imposer militairement. Une incompétence qui frise le criminel, comme le révèle le rapport de l’ONU paru en juillet 2024, avec des erreurs de tir en zone urbaine, l’établissement à proximité d’installations civiles, la tolérance des enfants-soldats dans les rangs des groupes armés alliés — les Wazalendos. Sans parler des attaques concertées contre les forces de la Monusco… Cette dernière évacue la région. Même contrainte dans ses actions, sa présence va laisser un vide qui ne sera que partiellement rempli par les forces des pays de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC).
En d’autres termes, le chaos sécuritaire s’auto-entretien sans que Kinshasa, à des milliers de kilomètres de là et séparée par une immense barrière forestière, ne puisse ou ne veuille, y faire grand-chose. Une aubaine, ou bien un risque, pour ses voisins ougandais, rwandais ou burundi dont le Kivu et l’Ituri constituent des extensions géographiques naturelles à leurs petits territoires enclavés et surpeuplés.
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