Sur tous les théâtres d’opération, les armées de drones sont à l’action, modifiant en profondeur les structures de combat. Pour la France, il est urgent de disposer d’une filière de robotique militaire afin de tenir le choc du développement des drones.
Thierry Berthier
La guerre russo-ukrainienne, le conflit israélo-palestinien, la guerre civile du Myanmar (Birmanie), la guerre du Yémen, les opérations de harcèlement menées par les Houthis en mer Rouge, les combats entre narco-cartels mexicains et armée régulière, la potentielle future invasion de Taiwan par la Chine ont un dénominateur commun : la construction et l’engagement croissant d’une « armée des drones ». Celle-ci est employée en phase offensive pour percer les défenses ennemies et en phase défensive pour stopper la progression de colonnes de chars ou de blindés, pour figer un front ou pour frapper dans la profondeur. D’une manière générale, la robotique militaire aéroterrestre transforme le champ de bataille en un espace incompatible avec la vie du combattant humain, qu’il soit embarqué dans un équipage de char, de camion, de système d’artillerie ou de base radar. Les munitions téléopérées (MTO) ou drones kamikazes modifient l’art de la guerre. Elles participent à la construction d’une dissuasion technologique en complément de la dissuasion nucléaire.
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Le drone est partout
L’armée française est parfaitement consciente du rôle central des drones sur le champ de bataille et de la nécessité de constituer, au plus vite, une future armée des drones. Elle mène des expérimentations de haut niveau à l’image du 17e Groupe d’Artillerie de Biscarosse et de son laboratoire d’Innovations Drones qui réalise un travail fantastique [1]. La révolution de la robotique aéroterrestre est en marche et les armées sont disposées à en tirer tous les avantages au combat. Le principal défi réside dans la constitution d’une filière industrielle française du drone qui soit robuste, adaptative, scalable et la plus souveraine possible en minimisant les dépendances aux composants électroniques étrangers.
La base industrielle française de robotique militaire s’est structurée au fil des années, sans soutien externe, à la seule force de son innovation. Il existe une quinzaine de constructeurs de drones aériens sur le territoire national en dehors du leader européen et top2 mondial PARROT. De taille modeste (ce sont des startups), ces constructeurs vivent de la vente de leurs produits souvent très innovants et sont capables de rivaliser avec des concurrents internationaux très soutenus par leurs pays d’origine. C’est la différence essentielle entre notre base industrielle de robotique militaire qui évolue sans soutien étatique et les bases industrielles chinoises, russes, turques, iraniennes, américaines, israéliennes, indiennes qui disposent toutes de soutiens financiers et étatiques de très haut niveau. Il en est de même pour la base industrielle française de robotique terrestre qui compte cinq constructeurs dont l’un d’entre eux a atteint le statut de leader mondial des robots évoluant en environnement extrême (SHARK ROBOTICS). Là encore, la croissance de ces sociétés hyper innovantes a été réalisée sans aide externe, au rythme des ventes à l’international. Cette absence de soutien profite à la concurrence internationale et transforme le marché français en espace « Darwinien » où seuls les meilleurs survivent.
Trouver des financements
Concrètement, il est encore terriblement difficile de lever des fonds en France sur un projet de startup de robotique militaire (!). Les fonds d’investissement français sont, par principe, doublement réticents à soutenir le développement de produits « hardware » et encore plus réticents quand ces produits sont destinés au marché militaire… Cette aridité de l’investissement privé (et de la subvention nationale) affaiblit l’ensemble de la filière : Un ingénieur sortant de son école n’a objectivement aucun intérêt à se lancer dans un projet de startup de robotique militaire, car il sait, par avance, que les futures levées de fonds seront un parcours du combattant épuisant et sans issue favorable. Plus grave encore, une société ayant atteint un niveau international aura les mêmes difficultés à boucler un tour de table de croissance « français » d’une levée de fonds de série B ou C.
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Développer une filière
À ce jour, aucune initiative n’est parvenue à résoudre cette difficulté de financement souverain de la filière de robotique aéroterrestre. Par conséquent, les constructeurs français qui recherchent des investisseurs n’ont pas d’autre choix que de se tourner vers des fonds étrangers, européens, américains, chinois ou saoudiens. L’aridité du financement de Private Equity, l’aridité des subventions et de la commande nationale détruisent nativement l’ambition de souveraineté. L’instabilité d’un monde multipolaire et le retour de la guerre de haute intensité sur le sol européen nous obligent à casser cette dynamique d’évitement du financement de la robotique militaire. Il faut inciter fiscalement les banques d’affaires et les fonds d’investissement français à investir dans des dossiers de robotique militaire, tout en modifiant leurs chartes d’investissement socialement responsable. Nous devons retourner la situation et rendre « non éthique » l’évitement des projets militaires. L’État doit également se responsabiliser, prendre conscience de cette vulnérabilité en créant un fonds souverain national dédié aux drones aéroterrestres et navals qui permettra de soutenir la filière au même niveau que ce que font la Turquie, l’Inde, Israël, l’Iran, les deux Corées, et les trois acteurs dominants, Russie, Chine, États-Unis.
L’écosystème financier français sait soutenir ses startups d’intelligence artificielle générative avec des levées de fonds rapides et de très haut niveau. Il faut parvenir au même niveau de réactivité et de soutien pour la filière de robotique militaire, car lorsqu’il faudra combattre nos ennemis, ChatGPT ne sera d’aucune utilité face à un char ennemi, contrairement à un drone kamikaze conçu et produit en France [2].
[1] 17e GA Biscarosse – Groupe Innovations Drones :
https://theatrum-belli.com/linnovation-drone-au-17e-groupe-dartillerie/
[2] VELOCE 330 – EOS TECHNOLOGIE