Iran, trahisons, rêves politiques, Savonarole, Moyen Âge, aperçu des livres de la semaine
Rahmat Baniasadi, Shâhnâmeh : Mythes et légendes d’Iran, Le Cerf, 2024, 22€
Dans le contexte actuel marqué par une montée des tensions majeures entre la République islamique d’Iran et l’État d’Israël, cette publication du livre des rois vient à point nommé pour rappeler que l’Iran a développé une civilisation antéislamique particulièrement brillante.
Cette épopée monumentale est donc publiée sous une version simplifiée, ce qui la rend très accessible à un jeune public, mais elle mérite surtout beaucoup d’attention. Les mythes et légendes d’Iran portent le nom de Shahnameh, littéralement le livre des rois qui raconte l’histoire de la Perse ancienne avant l’islamisation. La création du monde n’est d’ailleurs pas très éloignée de ce que l’on peut trouver dans la genèse même si l’incarnation du bien, Haoura Mazda, créateur de la lumière s’oppose à l’esprit du mal, Ahriman, qui engendre les ténèbres et le mensonge.
La race humaine est une création de Ahura Mazda, tandis que les démons, les Dives, sont une création de Ahriman.
La première partie est consacrée à l’évocation de rois mythiques, Keyumars ou Jamshid. Le terrifiant roi démoniaque Zahhak, règne pendant 1000 ans, fait régner la terreur et la désolation avant de se voir littéralement greffé de serpents. Il finit par être renversé par une insurrection populaire dirigée par Fereydoun muni de sa masse d’armes à tête de taureau. Le culte du taureau se retrouve dans toutes les civilisations, comme incarnation de la force que l’on peut mettre au service du bien. La légende raconte que le roi aux serpents vit toujours au fond d’une grotte résistant à la mort tant que le mal perdure dans le monde.
On retrouve également dans la partie consacrée à Zal aux cheveux blancs, l’enfant abandonné, autre thème récurrent dans d’autres civilisations, élevé par un aigle. Dastan a donc été élevé par Simorgh qui lui enseigne la véritable liberté, celle du respect des autres et de la nature.
Le poète qui a compilé en près de 60 000 vers ces mythes et légendes de l’Iran ancien a voulu, d’une part, maintenir la permanence de la langue perse face à la progression de l’arabe, mais également rappeler, avec l’évocation du prophète iranien Zoroastre l’universalité de la nouvelle religion basée sur les trois principes du bien : la bonne parole, les bonnes actions et les bonnes pensées. Cet ouvrage illustré sur chacune des histoires par Farhad Djamshidi peut être lu ou raconté à un jeune public. Mais la valeur universelle de ces différents mythes que l’on peut qualifier de fondateurs peut susciter une réflexion plus élaborée. Au fil des différents récits et des exploits de ces rois légendaires, on constate que les grandes épopées des civilisations antérieures ont pu se retrouver dans les monothéismes qui se sont peu à peu imposés. Quelque part, face au rouleau compresseur du fondamentalisme islamique, il est bon de se souvenir que les zoroastriens portaient une vision de l’homme proche de l’universalité.
Bruno Modica
Agnès Delahaye, Aventuriers, pèlerins, puritains. Les Mythes fondateurs de l’Amérique, Passés composés, 2024, 21€.
En plongeant dans l’univers des premiers settlers anglais, l’auteur souhaite revenir aux sources des mythes fondateurs de l’Amérique, dont la réalité est plus complexe et plus nuancée que ce qu’en a retenu l’historiographie américaine et européenne. L’ouvrage est organisé selon les trois moments fondateurs du peuplement que sont Jamestown, avec John Smith, aventurier au service de la couronne britannique, Plymouth, avec les pèlerins du Mayflower, guidés par William Bradford et Edward Winslow, et la baie du Massachusetts, avec les puritains de la Compagnie de la même baie. Au plus près de l’expérience de ces premiers settlers, on comprend comment et pourquoi ils sont devenus des mythes, au sein d’un récit colonial digne des valeurs de la République et de la nation.
Jean-Louis Fournel et Jean-Claude Zancarini, Savonarole. L’arme de la parole, Passés composés, 2024, 24€.
Comment les Florentins ont-ils cru au caractère inspiré des propos du frère Jérôme Savonarole, célèbre prédicateur, dénonciateur des vices de son temps, connu pour avoir conduit une réforme théocratique dans la capitale toscane ? Dans cet ouvrage remarquablement documenté, on comprend que cela tient autant au charisme prophétique du dominicain qu’au contexte politique instable que connaît la République de Florence au XVe siècle.
Joël Blanchard, Philippe de Mézières. Un monde rêvé d’Orient en Occident, Passés composés, 2024, 19€.
Dans un court et passionnant ouvrage, l’auteur nous fait redécouvrir une figure oubliée de la fin des Croisades. Philippe de Mézières, considéré par Atiya – grand historien des Croisades – comme « le meilleur connaisseur de son temps de l’Orient et de l’Extrême-Orient », est un chevalier de la petite noblesse picarde. Pragmatique et réaliste, mais aussi empli d’un idéal mystique de foi et de chevalerie, il souhaite l’avènement d’un nouvel ordre de chevalerie qui ne verra jamais le jour. Soldat, écrivain, diplomate, conseiller des princes, des rois et des papes, il rêve d’une Europe unie dans une quête spirituelle commune : la reconquête des lieux saints.
Étienne Augris, Changer de camp. 14 volte-faces au XXe siècle, Novice, 2024, 21,90€.
« Les régimes passent, la France reste. Parfois en servant un régime avec ardeur, on peut trahir tous les intérêts de son pays, mais en servant celui-ci on est sûr de ne trahir que des intermittences. » Ainsi Talleyrand, homme de tous les gouvernements et de toutes les compromissions, décrivait-il le XIXe siècle. Le XXe n’a rien à envier à son aîné : il comporte son lot de décisions à prendre, de gré ou de force. La paix ou la guerre contre l’Allemagne, la Résistance ou la collaboration, la France avec ou sans l’Algérie, avec ou sans de Gaulle, la Guerre froide, la gauche, la droite, l’extrême gauche et l’extrême droite : tous les retournements son décrit dans ces quatorze histoires de « volte-faces » au XXe siècle, qui illustrent les moments de bascule de notre histoire collective.