Contestations, scrutins suspendus ou au contraire, victoire nette de l’un ou l’autre des candidats : au lendemain du 5 novembre, démocrates et républicains auront toujours à gouverner une Amérique plus polarisée que jamais. Que le prochain leader de la plus grande puissance mondiale s’appelle Trump ou Harris, les Américains semblent avoir divorcé d’eux-mêmes.
Par Alexandre Mendel, depuis les États-Unis
Sur les marches du Capitole, lors de son discours d’investiture, en janvier 2021, Joe Biden avait promis de guérir les maux d’une Amérique divisée, sonnée par l’assaut donné deux semaines plus tôt par quelques supporters de Donald Trump surexcités, folkloriques et, pour certains d’entre eux, particulièrement violents. Son discours sonnait comme un serment d’unité : « Et donc, aujourd’hui, maintenant, en ce lieu, prenons un nouveau départ, tous ensemble. Recommençons à nous écouter les uns les autres. À nous entendre les uns les autres. À nous voir les uns les autres. À nous respecter les uns les autres. » Raté ! Le pays reste fracturé et les résultats de l’élection devraient confirmer ce que chacun perçoit sur ce territoire où vivent deux peuples côte à côte : il n’y a plus rien à se dire entre les républicains et les démocrates.
Les deux partis n’ayant jamais, dans l’histoire contemporaine américaine, été antagonistes. Il est loin le temps où John Kennedy appelait aimablement son prédécesseur Dwight Eisenhower pour lui demander conseil sur la crise des missiles ou celui où Ronald Reagan inaugurait la bibliothèque Jimmy-Carter à Atlanta en compagnie de ce dernier.
Songeons donc aux scénarios de l’après 5 novembre. Nous ne sommes pas un institut de sondages, mais, après avoir parcouru des milliers de kilomètres dans les États clés, voici trois hypothèses crédibles et leurs conséquences :
1ère hypothèse : le scrutin est serré et aucun candidat ne peut prononcer de discours de victoire rapidement au cours de la soirée électorale.
C’est le scénario le plus probable si l’on en croit les derniers sondages à deux semaines des élections. Sept États clés ne seront peut-être pas en mesure de donner leurs résultats avant plusieurs jours, voire plusieurs semaines en cas de contestation. Échaudés il y a quatre ans par des défaites qui se sont jouées parfois à quelques milliers de voix (on pense à la Géorgie et au Nevada), les républicains ont mobilisé plus de 200 000 scrutateurs dans les bureaux de vote des comtés où les victoires démocrates étaient étriquées. Chaque incident, chaque soupçon de tricherie pourrait donner lieu à une interruption du scrutin, voire à l’intervention de forces de l’ordre. On imagine l’ambiance… Et le carnage électoral et judiciaire qui s’en suivra.
Le pays semble pourtant s’être habitué et envisage cette perspective. Après tout, l’élection de 2000, entre George W. Bush et Al Gore, avait buté sur quelques centaines de voix en Floride (alors un État clé) et ce fut la Cour suprême qui donna la victoire au républicain.
On verra, cette année, qui des républicains ou des démocrates fera le plus preuve de patience. Trump pourrait se déclarer rapidement vainqueur, comme en 2020, sans que la totalité des bulletins n’ait été décomptée… Avec les conséquences qu’on peut imaginer si, finalement, la victoire était attribuée aux démocrates. Le scénario d’un remake du 6 janvier 2021, sous une autre forme, bien sûr, qu’un assaut donné au Capitole, pourrait hélas voir le jour. Même si l’Amérique semble être profondément fatiguée par ce cycle électoral qui dure en fait depuis huit ans.
2e hypothèse : Trump l’emporte et il n’y a pas de contestation du résultat.
Trump est toujours capable de rééditer sa victoire de 2016. Son retard dans les sondages portant sur le vote populaire est bien moindre qu’il y a huit ans contre Hillary Clinton, mais peu importe… Il lui suffit de remporter le collège électoral. Que Trump ne gagne pas dans les principales agglomérations américaines ne sera pas une surprise, mais une certitude. Sur les 25 plus grandes villes des États-Unis, seules trois sont dirigées par des républicains, Dallas (9e ville), Fort Worth, sa ville jumelle du Texas (15e ville) et Oklahoma City (23e ville). Ce sont les banlieues gigantesques et les comtés ruraux qui décideront du sort du pays. Jamais les mères de famille conduisant des monospaces (les suburban women) n’ont été aussi puissantes qu’aujourd’hui. Or le niveau d’inflation, l’inquiétude pour la sécurité des enfants, l’allergie à la théorie du genre enseignée dans certaines écoles publiques pourraient, malgré leur prévention contre les propos machistes de Trump, les faire voter pour Trump en masse.
Un pays plus fracturé que jamais où toute entente semble impossible
Idem pour les minorités ethniques : les Latinos et les Noirs n’ont jamais été aussi nombreux, depuis cinquante ans, à vouloir voter républicain, s’affranchissant ainsi de la tutelle démocrate faite de bons sentiments, de subventions et d’aides sociales.
Hypothèse dans l’hypothèse : à la surprise générale, et justement aidée par une vague sans précédent de votes de minorités (les plus affectées par l’inflation) des grandes villes, Trump remporte le vote populaire et le collège électoral… Ce serait un coup très dur porté au Parti démocrate dont la forme actuelle est partagée entre un centrisme qui n’est plus tenable, entre l’extrême gauche qui n’a rien à envier à LFI en termes de radicalité politique et une aile droite, représentée par Biden, qui ne pèse plus rien.
Imaginons un scénario inverse de 2020 : Trump l’emporte dans plusieurs États clés, mais sa victoire est étriquée. Au point qu’elle n’est que de quelques grands électeurs (sur les 270 qu’il faut obtenir) … La gauche radicale – faite des antifas, des pro-Palestine et des ex-BLM (Black lives matter) – pourraient très bien manifester dans les grandes villes pendant plusieurs semaines.
Cette éventualité est très sérieusement évaluée par le FBI qui craint autant, sinon plus encore, les actions de l’extrême gauche que celles des milices de droite.
Seule une victoire claire, large, et donc incontestable de Trump, garantirait la paix dans les rues américaines.
3e hypothèse : Kamala Harris l’emporte. La droite conteste ou assume la défaite.
Les sondages ne se sont peut-être pas trompés. Et même pourraient avoir surestimé le vote Trump, exagérant l’importance de cette majorité silencieuse (pour reprendre une expression qu’on doit à Richard Nixon) qu’ils avaient justement sous-estimée en 2016. Soit la victoire est nette et il paraîtra difficile pour les républicains de nier : il ne restera pas grand-chose du Trumpisme… Quoiqu’il arrive, Trump a assuré que ce serait sa dernière campagne : il aura 82 ans en 2028. Si la vice-présidente gagne et obtient plus de voix que Donald Trump ce sera la huitième fois, au cours des neuf dernières élections présidentielles, que les démocrates remportent le vote populaire : un record et surtout une humiliation pour les républicains. Si la victoire de Kamala Harris est au contraire aussi étriquée que l’était celle de Biden dans certains États, le sentiment de vol, de fraudes, l’emportera sur celui de la défaite… Et ce sera reparti pour un tour, sans doute un tour d’honneur, devant les tribunaux de chaque État où les scrutins seront contestés.
Ce qui est certain
En tout état de cause, la polarisation des deux camps qui ont migré chacun, en à peine une dizaine d’années, vers les bords extérieurs du spectre politique subsistera. Le recentrage est une chimère sur des sujets aussi délicats que l’immigration, la mondialisation et le wokisme. Les relations entre Trump et les démocrates ont toujours été exécrables. Elles le resteront et il y a fort à parier que ses adversaires politiques, même réduits en nombre au Congrès, multiplieront les actions judiciaires, les accusations de collusion avec la Russie et les commissions d’enquête.
Les électeurs ont migré vers les bords extrêmes de la politique
Trump, battu, disparaîtra comme potentiel président. Le Parti républicain héritera des thèmes qui ont fait sa fortune politique. Qui pour incarner – alors que le GOP est façonné à l’image de son leader –ses idées ? JD Vance est une possibilité. DeSantis, très conservateur, et assez absent de la campagne, n’a pas injurié l’avenir en soutenant Trump tout en se laissant la possibilité de personnifier un parti qui ne reviendra pas de sitôt à ses amours néoconservatrices.