La question soumise au référendum qui s’est déroulé au Kazakhstan le 6 octobre 2024 portait sur la construction d’une centrale nucléaire. Pour comprendre les raisons qui ont poussé le gouvernement du président Tokaïev à organiser cette consultation, il faut prendre en compte plusieurs facteurs qui remontent plus ou moins loin dans le temps.
D’abord, du côté positif, il y a l’existence de considérables gisements d’uranium qui font du Kazakhstan l’un des producteurs majeurs de cette ressource, à partir du début timide de leur exploitation par l’Union soviétique au cours des années 1940[1], essentiellement à des fins militaires. Cette place éminente du pays dans le marché mondial de l’uranium, contribue à justifier la construction d’au moins une centrale nucléaire, permettant de résoudre tant des problèmes persistants d’approvisionnement électrique que d’assurer enfin une indépendance énergétique sur le moyen terme, à l’aide d’une énergie considérée comme « vertueuse » en rapport avec la problématique climatique réchauffiste qui domine le panorama international.
Bureau de vote dans une localité proche d’Astana, (photo : D. Dory).
L’héritage du polygone de Semipalatinsk
Ensuite, on ne saurait négliger un aspect hautement négatif qui a pesé dans les débats autour du référendum et le choix de certains votants. Il s’agit de l’héritage prégnant à la fois dans ses conséquences sanitaires durables et dans une mémoire traumatique du polygone de Semipalatinsk (au centre est du pays) où entre 1949 et 1991 (date de sa fermeture sur décision du président Nazarbaïev) l’Union soviétique a procédé à des essais nucléaires militaires aériens et souterrains. Il est donc justifié que, compte tenu de ces représentations négatives associées au nucléaire et qui expliquent sans doute une bonne part des réponses « Non », le gouvernement kazakh ait décidé de légitimer par la voie d’une consultation populaire un choix stratégique en la matière.
Un dernier élément contextuel à prendre en considération pour comprendre les débats et les enjeux du référendum concerne l’entreprise (ou le consortium) qui sera chargé de construire la future centrale nucléaire près du lac Balkhach au sud-est du pays. Au stade actuel des intentions, des sociétés russes et chinoises semblent favorites, mais d’autres entreprises (dont une française et une autre sud-coréenne) demeurent en lice. Cet aspect renvoie donc à des considérations de dépendance technologique de la plus haute importance, ainsi qu’à des enjeux de géopolitique de l’énergie dont les autorités kazakhes sont parfaitement conscientes.
Question d’enjeux économiques et stratégiques
Ces antécédents rendent compte de l’importance de ce référendum, et contribuent à expliquer ses résultats. En effet, le 7 octobre vers midi des résultats pratiquement définitifs furent annoncés. Le « Oui » l’emportait largement avec plus de 70% des votes, contre environ 26% de « Non ». Ce résultat au terme d’un processus électoral qui s’est déroulé, dans l’ensemble, dans des conditions d’organisation et de transparence satisfaisantes est incontestablement une victoire pour le gouvernement.
Mais, au-delà de la question nucléaire, il s’agira aussi pour les autorités kazakhes de procéder à une analyse approfondie des données que fournissent les résultats de ce référendum. En particulier les grandes disparités spatiales des taux de participation ne peuvent manquer d’attirer l’attention. Ainsi, alors que pour un taux national de participation de presque 64%, dans la grande majorité des régions administratives, le taux de participation est compris entre 60 et 70%. Ce chiffre tombe cependant à autour de 50% dans la capitale Astana, et n’atteint qu’un peu plus de 25% à Almaty, l’ancienne capitale du pays.
Tableau presque définitif concernant les taux de participation national et régionaux
Bien entendu, il est impossible d’interpréter ces disparités avec les données dont nous disposons. Elles permettent cependant d’engager une réflexion sur certains défis qui se profilent pour le Kazakhstan, et dont les autorités ont une claire conscience. Car la permanence de ce que l’on peut qualifier de « miracle Kazakh », à savoir la construction d’un pays solide et prospère, réunissant plus de 100 ethnies, enclavé et entouré de puissants voisins, dépend d’ajustements permanents, dont le référendum sur le nucléaire est le plus récent exemple. Et l’étude des succès internes et externes (notamment grâce à un excellent dispositif diplomatique) de ce pays mérite de faire l’objet d’un nombre croissant de recherches scientifiques, poursuivant de la sorte les avancées réalisées notamment dans Conflits au cours des dernières années.
[1] Voir : Antoine Mestrallet, « L’uranium, la réserve kazakhe », Conflits, NS N° 16, 2022, 45-47. L’ensemble de ce numéro constitue par ailleurs une excellente introduction à l’étude de Kazakhstan.