<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Aide européenne à l’Afrique : la Cour des Comptes européenne dénonce une mauvaise gestion des fonds

29 septembre 2024

Temps de lecture : 4 minutes
Photo : Un camion, comme on en voit beaucoup sur les routes d'Afrique de l'Ouest, prend en charge des voyageurs le long d'une route dans le sud-ouest du Niger. (C) Wikipedia
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Aide européenne à l’Afrique : la Cour des Comptes européenne dénonce une mauvaise gestion des fonds

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Dans un rapport publié le 25 septembre 2024, la Cour des Comptes européenne déplore la mauvaise gestion des fonds d’aide au développement à l’Afrique. Projets mal ciblés, argent gaspillé, gabegie. La Cour révèle les dessous d’une belle idée.  

Retrouvez le rapport ici

Contexte et objectifs du FFU pour l’Afrique

Le Fonds Fiduciaire d’Urgence (FFU) pour l’Afrique a été créé en octobre 2015 en réponse à la crise migratoire. L’objectif principal du FFU est de remédier aux causes profondes de l’instabilité, des déplacements forcés et de la migration irrégulière en Afrique. Il couvre trois régions géographiques : le Sahel et le lac Tchad, la Corne de l’Afrique et l’Afrique du Nord, touchant ainsi 27 pays. Ce fonds, doté d’un budget de 5 milliards d’euros, vise à améliorer la stabilité, la gestion des migrations et les perspectives économiques, ainsi qu’à renforcer la résilience des communautés vulnérables.

État de la mise en œuvre

À la fin de 2023, 4,5 milliards d’euros avaient été engagés. Le rapport souligne qu’une partie des objectifs initiaux du FFU ont été atteints, notamment la livraison des réalisations prévues par les projets financés. Toutefois, il est très difficile de quantifier la portée de ces projets effectivement réalisés, notamment dans le temps. Un premier audit de la performance du FFU avait été effectué en 2018, et avait déjà soulevé ce problème, ainsi que le problème de ciblage des projets. Il apparaît que les recommandations formulées n’ont été que partiellement mises en œuvre.

Une stratégie de financement pas assez ciblée

Le rapport relève plusieurs problèmes structurels liés à l’application du FFU. En particulier, la stratégie de financement est jugée trop générale et insuffisamment ciblée, avec des choix de projets parfois inadéquats pour répondre aux priorités les plus urgentes. Les rapports de recherche, bien qu’utiles, n’ont pas suffisamment influé sur la sélection des projets financés, estimés trop nombreux par le rapport.

Le FFU a ainsi permis de mettre en œuvre de nombreux projets, comme la gestion des retours et la réintégration des migrants, ainsi que des actions en faveur de la stabilisation dans des pays en crise comme la Gambie et l’Éthiopie. Par exemple, un projet en Éthiopie visait à soutenir la réintégration durable de ressortissants éthiopiens de retour d’Europe. Toutefois, le flux migratoire principal de l’Éthiopie concerne les migrants se rendant en Arabie saoudite et non en Europe. Le projet, initialement centré sur les migrants de retour d’Europe, a dû être amendé pour inclure ceux de retour des États du Golfe. Moins de 10% du nombre visé de personnes de retour d’Europe ont finalement bénéficié d’une aide à la réintégration.

Les projets sont souvent lancés sans grand fondement scientifique. Un projet en Éthiopie a réussi à forer des puits grâce à une étude hydrologique précise réalisée lors d’un projet précédent. En revanche, dans un projet similaire au Kenya, l’absence d’une telle étude a entraîné l’échec du forage de deux trous de sonde. Cela souligne l’importance d’utiliser des données précises et des recherches scientifiques dans la planification des projets.

Un manque de suivi et d’évaluation des projets

Le système de suivi mis en place par le FFU, visant à collecter des informations sur les projets financés, est critiqué pour son manque de précision. Le rapport note que le peu de données disponibles ne permet pas de démontrer que le FFU parvient à traiter de manière durable les causes profondes de la migration irrégulière. Ainsi, les données sont insuffisantes pour démontrer le lien entre le soutien du FFU pour l’Afrique et la capacité des autorités libyennes en termes de gestion des frontières et des migrations.

Par exemple, un projet de station radio dans la région du Sahel, supposé encourager la jeunesse à s’exprimer et renforcer la gouvernance, s’est avéré principalement être utilisé pour diffuser de la musique. Ce projet, bien qu’approuvé au titre de l’amélioration de la gouvernance, n’a pas véritablement contribué à la prévention des conflits ou à des résultats concrets en termes de gouvernance.

On trouve dans le rapport des exemples de surdéclaration et de déclaration erronée du nombre de zones industrielles et d’infrastructures d’entreprises. De même, faute de contrôle, les aides sont souvent accordées plusieurs fois, et pour un résultat nul : après avoir reçu deux fois des poulets, des aliments, des médicaments et du matériel, dans le but de créer une entreprise, un bénéficiaire gambien, interrogé par les auteurs du rapport, avait tout vendu. Le rapport recense ainsi de nombreux exemples de projets non durables.

Bien que le FFU ait contribué à maintenir la migration comme une priorité politique majeure au sein de l’UE, les approches les plus efficaces pour réduire la migration irrégulière et les déplacements forcés n’ont pas été clairement identifiées, faute de suivi rigoureux.

Des risques pour les droits de l’homme sous-évalués

La question des droits de l’homme est centrale dans l’évaluation du FFU. Un projet pilote de suivi des droits de l’homme par un tiers a été lancé, mais le rapport critique l’absence de mécanismes rigoureux pour signaler et traiter les violations identifiées. En effet, il n’existe pas de procédure formelle de signalement et d’examen des cas présumés d’atteintes aux droits de l’homme. Le rapport a ainsi identifié de nombreux risques pour les droits de l’homme posés par la mise en œuvre de plusieurs activités en Libye.

Le respect du principe de « ne pas nuire » (la coopération au développement ne doit pas causer de dommages inacceptables ni d’atteintes aux droits de l’homme) a été incorporé dans certains projets depuis 2020, mais cette approche reste sous-évaluée, particulièrement en ce qui concerne les projets touchant des zones conflictuelles ou instables.

Recommandations

Sur la base de ces constats, la Cour des Comptes européenne formule quatre recommandations majeures afin de renforcer l’efficacité des futures actions de développement financées par l’UE dans ce cadre :

  1. Cibler davantage les zones géographiques et les bénéficiaires en fonction de preuves concrètes pour une meilleure allocation des ressources.
  2. Améliorer le système de gestion des connaissances du FFU en conservant l’ensemble des documents et rapports relatifs aux projets dans un répertoire central. Cela permettrait de diffuser les enseignements tirés pour les futures interventions.
  3. Renforcer les mécanismes de suivi et de gestion des risques pour les droits de l’homme afin d’atténuer les violations et d’assurer une meilleure transparence dans la prise de décision.
  4. Améliorer l’exactitude des informations sur les réalisations, en particulier en s’assurant que les données transmises par les responsables des projets sont vérifiées et complètes. Cela inclut des informations précises sur les bénéficiaires, la localisation des actions et l’équipement fourni.
À propos de l’auteur
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