Comment devient-on femme de djihadiste ? Par adhésion à la cause suivie par les maris ou par fidélité amoureuse ? Romain Sèze a mené l’enquête.
Romain Sèze : Se sacrifier pour la cause, trajectoires de femmes djihadistes. CNRS éditions – 12 septembre 2024.
Le tourbillon informationnel qui est devenu la règle empêche malheureusement de prendre la mesure sur des mouvements de fonds qui affectent les sociétés. Le temps des grandes actions terroristes, téléguidées de l’extérieur par Al Qaïda où l’État islamique semble passé, du moins pour l’instant, et il ne reste que des actes isolés, une sorte de djihadisme « de basse intensité ».
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Pour autant, il ne faut certes pas baisser la garde. Et il faut supposer que les services de renseignements des grandes puissances restent vigilants devant ces mouvements de fond qui peuvent traverser nos sociétés. Gilles Kepel a largement développé cette idée de djihadisme d’atmosphère ; on me permettra de parler également de djihadisme à bas bruit. Au vu de la situation au Moyen-Orient il y aura nécessairement des retombées en Europe.
Les femmes qui représentent 25 % des personnes incarcérées en France pour faits de terrorisme islamiste jouent un rôle absolument essentiel dans la diffusion de cette idéologie mortifère. L’examen des différents cas abordés dans cet ouvrage permet de comprendre quels sont les ressorts de cette radicalisation.
Radicalisation à bas bruit
Selon les situations la radicalisation intervient dans des situations de tension familiale, parfois avec un père absent, ou une mère démissionnaire. Cet engagement dans l’islam radical peut être précédé par une période de vie que l’on qualifierait de « dissolue », et le rigorisme viendrait réparer les fautes commises dans la vie antérieure.
La rencontre amoureuse peut également conduire à cette évolution, le nouveau petit ami devenant très clairement une sorte de guide spirituel. On retrouve également dans les contacts avec d’autres « re – converties » ou « néo – converties », en fonction de leur origine culturelle, un sentiment d’appartenance très clairement communautaire, qui peut apparaître comme rassurant, même s’il peut également exclure.
Le port du voile s’inscrit dans une volonté d’affirmation, spirituelle probablement, mais également comme une recherche d’apaisement. Le voile sert à mettre une barrière contre les comportements « déplacés » des hommes, mais également à affirmer un statut, celui de la « bonne personne », bonne musulmane évidemment.
Si l’attractivité de l’islam radical pour les hommes s’exerce facilement vers des garçons qui ont pu avoir des conduites à risques, avec pour 40 % d’entre eux des antécédents judiciaires, ce n’est pas le cas pour les femmes. Cela 3 % d’entre elles ont des antécédents judiciaires, et le modèle que l’on recherche n’est pas forcément celui du guerrier, pour des raisons de rôle genré, mais celui de bonne épouse et de bonne mère assignée un rôle spécifique.
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L’attractivité pour l’islam radical touche en général des femmes qui peuvent être déscolarisées précocement, même si de façon moyenne leur niveau d’études pour celles qui sont incarcérées pour faits de terrorisme et en moyenne plus élevée que pour les délinquantes de droit commun. Pour autant, celles que l’on pourrait qualifier de recruteuses, engagées dans le prosélytisme, peuvent disposer d’un capital culturel plus élevé.
Une fragilité intrinsèque
La volonté d’émancipation du foyer parental, en utilisant le mariage, y compris précoce. Il permet de mener une vie autonome, des lors que le conjoint exerce une activité qui permet de faire vivre les nouveaux ménages. Cet épanouissement familial, avec un statut d’épouse respectable, peut constituer un ressort puissant vers un l’enfermement communautaire.
Les facteurs économiques peuvent jouer un rôle dans la recherche de l’indépendance par rapport à la famille, mais pas seulement. Le cas de Charlotte, héritière plutôt favorisée, peut d’ailleurs surprendre. Entre une vie sociale favorisée, avec sorties et dépenses vestimentaires, et adhésion progressive un islam rigoriste, cela peut évidemment surprendre. Dans la pratique on peut rencontrer la recherche du conjoint « respectable », pieux musulman, même si la déception peut apparaître par la suite. Cela est le cas pour Samira et Charlotte qui sont au final plutôt déçues par leur prince charmant.
Cela permet à ces femmes de s’émanciper dans une certaine mesure en choisissant une forme de radicalité dans les comportements, notamment le voile intégral, favorisée par des lectures d’inspiration salafiste.
La recherche de l’Oumma
La question du départ vers la Syrie est évidemment essentielle, même si dans de nombreuses situations, la réalisation n’est pas forcément acquise.
L’entrée dans le djihadisme passe majoritairement par le canal d’Internet, avec des contacts qui deviennent de plus en plus intensifs avec des recruteurs des organisations terroristes. Les trajectoires militantes sont également liées à des rencontres amoureuses, et l’on assiste au fur et à mesure à la mise en place d’une forme d’emprise. Pour autant, même lorsque les liens amoureux se distendent, cela n’empêche pas la poursuite du cheminement vers l’islam radical, y compris le départ vers les territoires où l’État islamique était dominant.
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Dans le cas particulier d’Élise, on note que progressivement son conjoint aurait tendance à se détacher de l’idéologie islamiste, tandis que pour sa part, par le jeu des réseaux sociaux et des forums, elle s’engage davantage. L’objectif pour ces femmes et de trouver une communauté, une famille, un groupe de gens qui pensent comme elles, avec la construction d’une certaine normalité, celle de la famille idéale sous les drapeaux de Daech.
Avec l’effondrement de l’État islamique, est venu pour ses nombreuses femmes radicalisées, le temps des épreuves. Selon cette étude, surtout pour les veuves des martyrs, les femmes trouvent une certaine légitimité dans leur statut. Lorsqu’elles sont détenues, en fonction des efforts de réinsertion et de déradicalisation, il peut y avoir une sortie de cette spirale mortifère, mais elle semble globalement fragile. La question des enfants joue évidemment un rôle central, même si l’on peut constater que c’est surtout la famille d’origine, parfois dysfonctionnelle, qui reprend la main.
Au bilan, cet ouvrage s’appuie sur de nombreuses enquêtes et entretiens, qui montrent des trajectoires multiples, mais peut-être pas de façon suffisamment linéaire pour que l’on puisse établir une sorte de typologie de cette radicalisation au féminin. Malgré le titre, la notion de sacrifice n’apparaît pas vraiment, au-delà de l’acceptation d’une soumission, celle de la femme a une cause, avant même que ne s’impose la domination des hommes.