Cinéma et propagande : 1933-1945

1 août 2024

Temps de lecture : 9 minutes

Photo : OLYMPIA (GER 1938) DIRECTOR LENI RIEFENSTAHL ON THE CAMERA DOLLY WITH CAMERAMAN WALTER FRENTZ PICTURE FROM THE RONALD GRANT ARCHIVE OLYMPIA (GER 1938) DIRECTOR LENI RIEFENSTAHL ON THE CAMERA DOLLY WITH CAMERAMAN WALTER FRENTZ Date: 1938

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Cinéma et propagande : 1933-1945

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Le cinéma a toujours joué un rôle essentiel dans la propagande et la formation des populations. Retour sur quelques exemples historiques.

Le cinéma a toujours été le plus important vecteur de propagande, d’information et de désinformation en raison de son pouvoir d’attraction sur les spectateurs, du fait qu’il s’adresse à un très grand nombre (la « foule »), de sa capacité à raconter et à interpréter l’Histoire, à jouer sur les émotions et l’irrationnel, et à servir des causes politiques et idéologiques parfois à des fins d’endoctrinement.

D’autre part, en cas de guerre, c’est une source d’informations pour les « gens de l’arrière ». De ce fait, le cinéma devient également un vecteur de manipulation de l’opinion publique. Ce pouvoir de l’image au service de la propagande est particulièrement important et crucial pendant la période de 1933 et 1945. Nous prendrons 4 exemples significatifs : les États-Unis, l’Allemagne, l’Union soviétique et l’Italie en prenant les faits marquants de propagande complémentaires à la stratégie de guerre de chacun des 4 pays.

Les États-Unis

Au début des années 1940, tandis que la guerre est en train de prendre de l’importance en Europe, les studios d’Hollywood produisent principalement des films musicaux, des comédies, des mélodrames ou des westerns. Les grands studios gardent leur neutralité et amplifient à l’écran le même sentiment isolationniste que celui de leur public et de la politique officielle. Après l’attaque japonaise sur Pearl Harbor en 1941, le ton change et les studios deviennent favorables à la cause des Alliés en Europe et, bien sûr, de l’armée américaine en Asie, d’autant plus que la propagande patriotique est considérée comme rentable par Hollywood tout en servant d’instrument de politique nationale en unifiant le peuple autour d’une idéologie nationale pour légitimer un interventionnisme en Europe. Le général Marshall, chef d’état-major (l’initiateur du fameux plan Marshall ) cherche alors un cinéaste combatif et capable de persuader le plus grand nombre. Son choix se porte sur Frank Capra, qui est considéré comme l’un des génies de la comédie américaine et est alors au sommet de sa gloire artistique et populaire. Et Capra va se révéler comme un des maitres du film de propagande, avec Hitchcock, Ford, Wilder, Litvak.

Réalisée entre 1942 et 1945 par Frank Capra, Anatole Litvak et Anthony Veiller, la série Why We Fight est constituée de sept films de propagande : Prelude to War (1942), The Battle of Britain (1943), The Nazis Strike (1943), Divide and Conquer (1943), The Battle of Russia (1943), The Battle of China (1944) et War Comes to America (1944) (8). Une autre étape est franchie par l’industrie cinématographique avec la mise en forme fictionnelle des évènements internationaux et de leurs conséquences sur la société américaine. C’est le cas, car, sur 1700 films long métrage entre 1942 et 1945, plus de 500 furent des films de combat, développant le mythe du héros et le besoin de victoires, avec, entre autres réalisateurs Hathaway, Walsh, Lang (voir filmographie). Les studios Disney sont mis à contribution. Bugs Bunny est enrôlé pour être une des figures du patriotisme économique et encourager la population à souscrire des obligations de guerre. L’emblématique Donald Duck participe à cette propagande pour diaboliser l’ennemi et plus particulièrement dans un cartoon intitulé Der Fuehrer’s Face (1943), qui glorifie les valeurs démocratiques américaines en face du régime nazi.

L’Allemagne

Le film et la guerre entretiennent en Allemagne un lien de longue. La célèbre société UFA (Universum-Film AG) nait en 1917.

Le 23 octobre 1914, les premières actualités cinématographiques (Wochenschau) sont diffusées, juste après le début des hostilités.

Puis, à partir de 1933, en accord avec l’idéologie nationale-socialiste, les médias sont mis au service de la propagande et le cinéma devient un enjeu majeur de la guerre culturelle et un instrument pour influencer les populations sur le développement du programme mis en place par les nazis. La loi nationale-socialiste sur le cinéma (Lichtspielgesetz) est une des premières lois instaurées par les autorités et votées le 16 février 1934. Cette loi va autoriser le régime à régenter et organiser l’ensemble de la production cinématographique en fonction de ses intérêts, notamment sur le choix du sujet et sur son aspect formel. D’autre part, tous les scénarios sont contrôlés par un Reichsfilmdramaturg (censeur cinématographique du Reich) afin de vérifier leur conformité avec la doctrine nazie. Une fois le film terminé, il est soumis à un comité de censure issu du ministère de la Propagande. Cette stratégie et la vocation de l’industrie cinématographique allemande à devenir une « puissance mondiale » à la conquête du monde (Weltansschauung) est confirmée dans le discours de Josef Goebbels du 28 mars 1933. Celui-ci va lancer dès 1933 le triptyque fondateur de la cinématographie propagandiste nazie : SA Mann brand, de Franz Seitz, Hitlerjunge Quex (Le Jeune hitlérien) de Hans Steinhoff, Hans Westmar de Franz Wenzler.

Parmi les productions de la période nazie, on trouve un grand nombre de films mettant en scène des épisodes guerriers et permet parfois de présenter les héros allemands du passé comme des modèles (Bismarck ou Frédéric le Grand).Le directeur du Service cinématographique au ministère de la Propagande de Goebbels, Fritz Hippler, lui-même cinéaste, déclarait que comparé aux autres arts, le cinéma agit sur les émotions enfouies du spectateur et a ainsi « un effet pénétrant et durable » sur les masses.

Nathalie de Voghelaer relève, entre autres, une thématique récurrente dans l’art populaire prôné par le régime, particulièrement dans le cinéma : l’« idéologie nazie » (fusionnant la politique et l’art) en cohérence avec la politique du régime avec l’antibolchévisme et l’antisémitisme. On y ajoutera la grandeur du Reich millénaire.

Le cinéma allemand, qui a rivalisé avec l’industrie hollywoodienne jusqu’à l’avènement du cinéma parlant, se voit privé, avec l’avènement du régime nazi, de grandes personnalités parties à l’étranger, dont les réalisateurs Fritz Lang, Robert Wiene, Henrik Galeen ou, plus tard, Detlef Sierck (le futur Douglas Sirk), les acteurs Fritz Kortner, Peter Lorre, Conrad Veidt ou, plus tard, les actrices Brigitte Helm et Elisabeth Bergner. La loi du 6 juin 1933 interdit aux Allemands qui ne sont pas de « pure souche », de travailler dans l’industrie cinématographique. Le cinéma allemand est vite dominé par la figure de Leni Riefenstahl. Dès 1934, elle filme le congrès de Nuremberg dans Le Triomphe de la volonté (Triumph des Willens). Par la suite, elle filme les Jeux olympiques de 1936 à Berlin dans Les Dieux du stade (Olympia). Mais, à part quelques films phares, les films de pure propagande rencontrent peu de succès auprès des spectateurs. Cherchant à distiller le message nazi dans des films grand public, le régime va favoriser la réalisation de films à caractère historique tels que La Jeune Fille Jeanne (Das Mädchen Johanna) de Gustav Ucicky (1935), qui donne à voir sous les traits d’une Jeanne d’Arc guidant un peuple désespéré une allégorie d’Hitler, avec les Anglais comme ennemi commun. Ainsi, sur les 1350 longs-métrages produits entre 1933 et 1945, on compte 1200 divertissements.

L’Italie

La propagande est une des bases du régime fasciste et le culte de la personnalité de Benito Mussolini et de l’homme italien sont, bien entendu, mis en exergue cette propagande, en particulier, par le cinéma. Mais, dans un premier temps, il faut éduquer les masses, car l’Italie est devenue fasciste et la population l’a accepté tacitement.

La création de l’institut Luce (L’Unione per la cinematografia educativa) par Mussolini en 1924 est destinée à la production des Actualités (Cinegiornali) avec pour but de diffuser dans les actualités cinématographiques l’image de Mussolini dans toute l’Italie.

Au fronton de l’Institut figure cette phrase de Lénine « Le cinéma est l’arme la plus forte » que Mussolini reprendra par la suite : « La cinematografia è arma più forte« .  Le premier film de propagande fasciste, qui remonte à 1923, est Il grido dell’aquila de Mario Volpe. Le Duce contrôle toutes les images produites par le Luce. C’est en septembre 1934, grâce principalement à Luigi Freddi, chef de la Direction générale de la cinématographie, que se met en place en Italie, par le biais d’un sous-secrétariat d’État pour la Presse et la Propagande (Sottosegretariato di Stato per la Stampa e la Propaganda), qui deviendra en 1937 le « ministère de la Culture populaire » (Ministero della Cultura Popolare). une structure cinématographique qui se veut capable de concurrencer l’industrie hollywoodienne.Si le cinéma long-métrage de fiction n’a pas vraiment vocation à faire de la propagande, il doit néanmoins rappeler l’origine glorieuse de l’Italie fasciste à travers des films à grand spectacle (une spécialité italienne) comme Scipione l’Africano de Carmine Gallone ou Condottieri de Luis Trenker, tous deux sortis en 1937 ainsi que Camicia nera (1933) de Giovacchino Forziano qui pose le mythe de la Marche sur Rome et de l’influence fasciste. Parmi les 772 films produits en Italie entre 1930 et 1943, on peut classer comme films de propagande directe ou indirecte environ une centaine (voir brève filmographie).

Parmi les 772 films produits en Italie entre 1930 et 1943, on peut classer comme films de propagande directe ou indirecte environ une centaine. La propagande indirecte domine très nettement la propagande directe. Les films de propagande proprement dits exaltent les racines romaines, le fascisme, le colonialisme (au moment de l’invasion de l’Éthiopie) le militarisme, l’impérialisme, l’anticommunisme et le culte du chef. L’industrie cinématographique fasciste se dotera de lieux permettant la réalisation et le développement de films comme les studios Cinecittà, fondés à Rome en 1937 par Luigi Freddi et, même pendant la brève République sociale italienne dite République de Salo), est créé à Venise le Cinevillaggio, appelé également Cineisola, apparu en 1943 une structure pour la production cinématographique vue comme une alternative à Cinecittà abandonnée par les fascistes à cause du conflit. Enfin, un autre moteur du développement du cinéma fasciste est l’inauguration, en 1932, de la Mostra de Venise (Mostra internazionale d’arte cinematografica di Venezia) qui est le plus ancien festival de cinéma au monde et qui existe encore aujourd’hui !

Conclusion

Les 3 exemples ci-dessus montrent que la propagande est, avec la radio, un relais puissant de l’idéologie et de la manipulation des masses, pouvant aller jusqu’à alimenter la fabrique du consentement.

Les régimes cités, qu’ils soient démocratiques ou autoritaires, vont utiliser le cinéma comme véhicule de transmission de messages politiques, mais aussi, subliminalement, participer à la construction d’une identité nationale qui, en temps de guerre, est primordiale.

La production cinématographique entre pendant la 2e guerre mondiale est l’illustration presque parfaite du rôle du cinéma dans l’effort de guerre. Il faut soutenir les troupes, mobiliser et remobiliser l’opinion, distraire « l’arrière » en instillant l’idéologie dans des films de divertissement. Mais la propagande et le rôle du cinéma ne s’arrêtent pas après 1945. La Guerre froide et divers conflits plus récents sont l’illustration d’une forme nouvelle de propagande au cinéma avec de nouvelles techniques et l’adaptation de scénarios aux nouveaux types de guerres.

Encadré 1. Le Dictateur (1940) The Great Dictator Film de Charlie Chaplin

Charlie Chaplin, le premier, prend fait et cause contre le III° Reich avec cette caricature au vitriol du dictateur allemand.

Le film a été écrit en 1938, tourné en 1939 et est sorti sur les écrans en 1940. Il ne sort en France qu’en 1945. C’est une œuvre d’anticipation : le film est réalisé avant le début de la Seconde Guerre mondiale et, outre la répression politique et le racisme des nazis, Chaplin dénonce la volonté guerrière de Hitler : contrairement à

beaucoup de ses contemporains, le cinéaste est bien conscient que la volonté de domination militaire de Hitler ne se limitera pas à l’Autriche ni la Tchécoslovaquie (en particulier les Sudètes), mais menace la paix mondiale. Paradoxalement, le film fut accueilli froidement aux États-Unis (isolationnisme américain). Aujourd’hui, le film est considéré comme un chef-d’œuvre, mêlant la gravité et l’humour et montre le courage et la perspicacité dont Chaplin fit preuve à l’époque où Hitler se lançait à la conquête de l’Europe…

Encadré 2 : Condottieri (1937) de Luis Trenker

Le condottiere est une image emblématique du récit national italien et évoque la vaillance, le panache et le rayonnement de la Renaissance italienne, image qui ne pouvait convenir qu’à Benito Mussolini….

Ce film, réalisé par Luis Trenker, originaire du Tyrol est un bon exemple du film de propagande en qu’il montre de la fascination exercée par ces capitaines de la Renaissance sur l’idéologie fasciste, leur exaltation dans la propagande du régime, le culte du chef dans l’identification de la personne du Duce à leur modèle.

Ce condottierismo du régime se diffusait à travers l’école, la littérature, les arts visuels, les monuments, mais majoritairement dans le cinéma. Entre 1930 et 1943 furent produits vingt-et-un films portant sur le Moyen Âge et la Renaissance, où les condottieri étaient les héros reconnus et encensés. La transposition fasciste des condottieres et les valeurs qu’ils représentaient (courage, sacrifice, culte du chef, nationalisme) étaient ainsi projetés sur les écrans du cinéma, «l’arma più forte» (l’arme la plus forte), comme l’avait défini Mussolini lui-même.

Pour aller plus loin :

Viotte (M.) La guerre d’Hollywood : 1939-1945. Propagande, patriotisme et cinéma Éditions de la Martinière, 2013.

Gili (J.-A.), L’Italie de Mussolini et son cinéma, Éditions Henri Veyrier, Paris, 1985.

De Voghelaer N. Le cinéma allemand sous Hitler  L’Harmattan 2001.

Iacono D.Les Condottieri dans le cinéma de propagande fasciste 2021

Práticas da História. Journal on Theory, Historiography and Uses of the Past

Filmographie (non limitative)

Italie

Chemises noires (1933) Chemises noires  Giovacchino Forzano

La vieille garde (1934) Vecchia guardia  Alessandro Blasetti

L’escadron blanc (1936)  Augusto Genina

Condottieri (1937) Luis Trenker

Scipion l’Africain (1937) Scipione l’africano  Carmine Gallone

Luciano Serra pilote (1938) Luciano Serra pilota Goffredo Alessandrini.

Giacomo l’idealiste (1942) Giacomo l’idealista  Alberto Lattuada

Brillant réalisateur italien et futur maitre du néoréalisme, Roberto Rossellini débute sa carrière pendant la Seconde Guerre mondiale. Ami de Vittorio Mussolini, fils du Duce, il tourne alors une « trilogie fasciste » :

Le navire blanc (1941) La nave bianca

Un pilote revient (1942) Un pilota ritorna

L’homme à la croix (1943) L’uomo dalla croce

États-Unis

Alfred Hitchcock.

Correspondant 17 (1940) Foreign Correspondent

Cinquième Colonne (1942) Saboteur

Lifeboat (1944)

Les enchainés (1946) Notorious

Fritz Lang.

Chasse à l’homme (1941) Man Hunt

Les bourreaux meurent aussi (1943) Hangmen Also Die

Espions sur la Tamise (1944) Ministry of Fear

Cape et Poignard (1946) Cloak and Dagger

Allemagne

La réalisatrice emblématique de la période nazie est Hélène (dite Leni) Riefenstahl (1902-2003). De 1932 à 1944, elle va réaliser 8 films et documentaires.

La lumière bleue (1932) Das blaue Licht.

La victoire de la foi (1933) Der Sieg des Glaubes.

Le triomphe de la volonté (1935) Triumph des Willens.

Jour de la liberté (1935) Tag des Freiheit.

Les Dieux du stade (1938) Olympia.

Partie 1 : Fest der Völker.

Partie 2 : Fest des Schönheit.

S.A Mann brand (1933) Franz Seitz,

Hitlerjunge Quex (1933) Le Jeune hitlérien Hans Steinhoff.

Hans Westmar (1933) Franz Wenzler.

Le juif Süss (1940) Jud Süss  Veit Harlan.

Retour au foyer (1941) Heimkehr  Gustav Ucicky.

Kolberg (1944)  Veit Harlan.

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À propos de l’auteur
Alain Bogé

Alain Bogé

Enseignant en Géopolitique et Relations Internationales. HEIP Hautes Etudes Internationales et Politiques - Lyon. Czech University of Life Sciences-Dpt Economy - Prag (Czech Republic). Burgundy School of Business-BSB - Dijon-Lyon. European Business School-EBS - Paris.
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