Nixon après le Watergate. Entretien avec Christophe Maillot

12 juillet 2024

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Photo : Nixon annonçant la publication des enregistrements du Watergate, 29 avril 1974. (C) Wikipedia

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Nixon après le Watergate. Entretien avec Christophe Maillot

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Président des États-Unis de 1969 à 1974, Richard Nixon fut contraint de démissionner après le scandale du Watergate. Si sa carrière politique fut brisée, il a su revenir sur le devant de la scène et ouvrir une nouvelle période de sa vie publique. Retour sur les années Nixon après la Maison-Blanche avec Christophe Maillot. 

Christophe Maillot est Directeur général des Services du Département de la Loire. Il vient de publier Nixon après le Watergate. Une résurrection (1074-1994).

Propos recueillis par Alban de Soos. 

Richard Nixon a eu une vie politique mouvementée. Il fut accusé de fraude fiscale et de détournement de fonds publics, notamment en 1952 pour l’utilisation des fonds de campagne. Pourtant, c’est en 1974 qu’il chute avec l’affaire du Watergate. Pourquoi cette affaire-là l’a-t-elle contraint à la démission ? 

Nixon est en fait un habitué des coups durs. Dès 1952 en effet, candidat à la Vice-Présidence sur le ticket l’unissant à Eisenhower, il est soupçonné de détournement des fonds de campagne. Son fameux Checkers Speech, plaidoyer pro domo à l’occasion duquel il prend la parole à la télévision, lui permet de s’en sortir brillamment. Autre coup dur, en 1955, lorsque le Président Eisenhower lui propose de quitter la Vice-Présidence, pour ne lui confier qu’un poste de Secrétaire, c’est-à-dire de ministre. Nixon ne se laisse pas faire, et restera donc bien Vice-Président au cours du second mandat présidentiel d’Eisenhower. Mais les coups les plus rudes qui lui sont portés restent bien sûr sa défaite face à Kennedy lors de la présidentielle de 1960, et sa déroute en 1962 lors des élections pour le poste de Gouverneur de Californie.

Rien de comparable néanmoins avec sa démission en 1974, un coup cette fois-ci fatal à sa vie politique. Une démission d’autant plus honteuse qu’à la suite de l’affaire du Watergate, Nixon reste encore, jusqu’à aujourd’hui, et ce depuis la fin du XVIIIe siècle et la création de la République américaine, le seul Président des États-Unis à avoir démissionné.

Comment cette affaire du Watergate a-t-elle pu le conduire à une telle décision ?

Il faut tout d’abord bien comprendre que le Watergate ne se résume pas seulement au cambriolage et à la pose de micros, dans l’immeuble du Watergate précisément, qui abritait à Washington le siège de campagne du Parti démocrate pour la présidentielle de 1972. 

L’affaire du Watergate s’accompagne en effet d’une démarche beaucoup plus large de manipulation et de déstabilisation au profit du candidat Nixon. Un candidat qui n’avait pourtant pas besoin de cela, puisque sa réélection en 1972 se solde par sa victoire écrasante dans 49 États sur 50 !

Dans cette affaire du Watergate, il est en tous les cas très difficile de discerner le vrai du faux. Et surtout de déterminer si, et comment, le Président Nixon aurait en fait lui-même, ou pas, initié toutes ces manœuvres, données des instructions, et suivi leur mise en œuvre.

Ce qui en fait conduit à sa démission c’est, de toute évidence, le great cover up. C’est-à-dire tout ce que le Président Nixon a entrepris pour que l’affaire ne remonte pas jusqu’à lui, et que la Maison-Blanche n’en sorte pas salie.

Ce great cover up a été mis en évidence par les enregistrements auxquels le Président Nixon procédait à la Maison-Blanche et en particulier dans le Bureau ovale. Des enregistrements qui attestent sans l’ombre d’un doute la volonté qui a été la sienne de couvrir les faits, de soustraire la vérité à la connaissance de l’opinion publique et de la justice, en allant jusqu’à vouloir se servir des services secrets pour maintenir l’opacité. Ce sont ces obstructions à la justice, à la manifestation de la vérité, et ces mensonges, qui lui coûteront la Présidence, plus que les faits du Watergate en eux-mêmes.

Pourquoi Nixon a-t-il toujours refusé de reconnaître le Watergate, alors que d’autres présidents, comme Kennedy, ont également eu recours à des écoutes et à la surveillance de dizaines de journalistes et de personnalités politiques ?

Les enregistrements n’ont en effet pas été impulsés, ou voulus, par le seul Nixon. La pose des premiers mécanismes d’enregistrement, à l’insu des visiteurs de la Maison-Blanche et des participants aux rendez-vous et réunions, faut-il le rappeler, a été décidée par le Président Franklin Delano Roosevelt dans les années 1940. Une pratique reprise ensuite par les Présidents Truman et Eisenhower, et surtout par le Président Kennedy qui, d’un système assez artisanal, est passé à un système presque industriel d’écoutes systématiques. Ce qui nous vaut d’ailleurs aujourd’hui, pour la grande Histoire, d’avoir accès à beaucoup de ces enregistrements, et de suivre des échanges de portée historique, concernant par exemple la crise des missiles de Cuba en 1962.

Il reste que si Nixon n’est donc pas le seul à avoir procédé à des enregistrements, et que cela doit être mis à son crédit, lui s’est pour autant fait prendre. Il y a laissé son honneur et sa Présidence.

Le fait, pour atténuer sa faute, qu’il ait écrit après son départ de la Maison-Blanche qu’il n’était, au bout du compte, pas pire que les autres, et qu’un Kennedy, en plus des enregistrements de la Maison-Blanche, avait par exemple mis sur écoute Marylin Monroe ou Martin Luther King, ne change rien à l’affaire. Et ce d’autant que ces deux personnes n’ont évidemment pas été mises sur écoute et surveillées à l’initiative de Kennedy, mais du Directeur du FBI J. Edgar Hoover.

Pensez-vous que s’il avait reconnu ses erreurs, il aurait pu continuer à être président des États-Unis ?

Avec des « si », nous pourrions refaire l’Histoire. Mais si, effectivement, dès la révélation des faits, Nixon avait pris la parole, reconnu une faute de certains collaborateurs de son Comité de réélection et s’en était séparé, peut-être les choses auraient-elles tourné à son avantage.

Cela étant, il ne faut pas oublier que Nixon, depuis le Président Zachary Taylor en 1848 est le premier Président à avoir eu en face de lui une Chambre des Représentants et un Sénat d’un bord politique différent du sien. Beaucoup de membres du Congrès lui étaient hostiles, à commencer par le Sénateur Edward Kennedy, frère du Président assassiné. Si Nixon avait immédiatement fait acte de contrition et reconnu les faits, certains Parlementaires auraient donc, à n’en pas douter, songé à enclencher une procédure d’impeachment pour le destituer. Cela, Nixon ne pouvait évidemment pas l’ignorer, et c’est sans doute ce point qui l’a conduit à s’emmurer dans les mensonges et les dénégations.

Même après sa démission en 1974, Nixon éprouvera toujours les plus grandes peines à reconnaître ne serait-ce qu’une part de culpabilité. Lors de ses entretiens télévisés de 1977 avec le journaliste britannique David Frost, il dépeint ainsi le Watergate comme un simple malentendu, conteste qu’il y ait pu y avoir un great cover up, reconnait que jamais il n’aurait pu imaginer que les enregistrements ne puissent être livrés à la justice et donc à la connaissance du public. Il ajoute que, complètement absorbée par la guerre du Vietnam, la relation avec l’URSS ou encore l’ouverture sur la Chine, son attention était irrémédiablement attirée par d’autres sujets, qui l’ont détourné de l’affaire du Watergate. Au sujet duquel il ne consentira à ne reconnaître que des erreurs, jamais des fautes pleines et entières. Au sujet duquel néanmoins il finira par dire qu’il portera le poids du discrédit jusqu’à la fin de ses jours. Gardant en lui l’impression d’avoir, in fine, trahi la confiance du peuple américain.

À la suite de sa démission, et après une période de difficultés financières et de problèmes de santé, Nixon reprend des forces et décide d’utiliser sa plume pour redorer son image. Il critique alors la guerre du Vietnam et Kennedy. Pourquoi un tel acharnement contre ce dernier ? Était-ce réellement dans l’intérêt de Nixon, ou s’agissait-il simplement de vengeance et de jalousie électorale ?

Élus en même temps à la Chambre des Représentants en 1947, Kennedy et Nixon étaient amis, sans être pour autant intimes. Nixon dépeignait leur relation ainsi : « We are friends, but not close friends. » La campagne de 1960 a tout naturellement été fatale à cette relation d’estime réciproque.

Mais c’est vrai que jusqu’à sa mort en 1994, Nixon est resté littéralement obsédé par Kennedy. Un fantôme inatteignable, une ombre qui semblait le narguer encore et toujours.

Un Kennedy toujours proche du Capitole, alors que lui, Nixon, resterait toujours proche de la Roche tarpéienne. Le gendre idéal contre le bad guy. Le riche qui s’est fait aimer des pauvres, contre le pauvre qui s’est fait aimer des riches.

Alors même que le voile se déchire aujourd’hui sur les insuffisances de Kennedy et ses défauts, un Kennedy qui entretenait tout de même avec la vertu publique et la vertu privée des relations très particulières, on ne retient souvent que les bons côtés du personnage : héros de guerre, discours sur la conquête spatiale et lunaire, gagnant de la crise des missiles de Cuba, discours de Berlin, mort assassiné comme un jeune héros grec, etc.

Dans le même temps, Nixon ne se voit rappeler que le Vietnam, le Watergate, le Chili, son côté tricheur. Et comme si cela ne suffisait pas, il se verra accusé d’être alcoolique, d’avoir battu sa femme, d’être fou, d’avoir joué un rôle dans l’assassinat de Kennedy. Tout cela contre toute évidence, comme je le montre dans le livre, à l’occasion en particulier d’une analyse psychologique croisée des personnalités respectives de Kennedy et Nixon.

Mais sur le Vietnam justement ?

Dans les neuf livres que Nixon écrira après 1974, Nixon revient bien sûr longuement sur ce conflit. Et il se veut radical et catégorique. Oubliant qu’il fut tout de même Vice-Président d’Eisenhower qui portait en la matière une responsabilité, comme le démontreront les Pentagon Papers, Nixon accuse Kennedy d’être le principal responsable de la guerre du Vietnam, compte tenu de sa décision d’y avoir envoyé des conseillers militaires. Il accable donc JFK, tout en exonérant Eisenhower et Lyndon Johnson. Il ajoute d’ailleurs que le Président Kennedy, juste avant son assassinat, n’avait absolument pas l’intention de désengager les États-Unis du théâtre d’opérations. Pour Nixon, tout cela relève de la fable. Voilà pour le début de la guerre.

Pour la fin de la guerre, Nixon se veut encore plus brutal. Selon lui, les États-Unis n’ont pas perdu militairement la guerre, mais politiquement. Les choses ne se sont pas jouées dans les rizières ou dans la jungle, mais sur les campus, dans les salles de rédaction des grands journaux, au Congrès. En un mot, Nixon rend l’Amérique intellectuelle responsable du non-respect des Accords de Paris de janvier 1973, et à terme donc de la tragédie cambodgienne et de l’arrivée des Khmers rouges.

C’était là la meilleure façon de régler ses comptes avec cette Amérique conformiste et bien-pensante, que Nixon vomissait. Une Amérique intellectuelle qui le lui rendait d’ailleurs bien, tant celle-ci n’acceptera jamais de voir Nixon à la Maison-Blanche. Un Nixon que cette Amérique des élites considérait comme un rustre, un intrus, un Président illégitime, qui n’avait pas les codes, l’éducation et ce que cette Amérique estime être les bonnes manières.

Et en agissant ainsi, il cherchait probablement à rabaisser les autres présidents pour rehausser sa propre image.

Effectivement, Nixon règle ses comptes en particulier avec JFK, mais aussi avec Eisenhower. Un Président avec qui Nixon avait entretenu des relations notoirement mauvaises.

Souvenons-nous qu’en 1960 Eisenhower, interrogé par la presse pour décliner les qualités qui, selon lui, étaient celles de Nixon, avait sollicité un délai de quelques jours pour répondre. Une ironie pour bien manifester le relatif mépris dans lequel il tenait Nixon, qui n’était pas digne selon lui de devenir Président et d’exercer les plus hautes fonctions.

Comment expliquer cette combativité de la part de Nixon ? Vous mentionnez notamment le rôle de son éducation et le fait qu’il a perdu deux frères très jeunes, ce qui l’a visiblement profondément marqué. Le rôle de sa femme ne doit pas être négligé non plus.

Les États-Unis sont très attachés au principe de Destinée manifeste. Un concept qui induit que la Nation américaine doit toujours nourrir un but ultime, poursuivre un objectif qui lui donne un sens. Cela explique largement la conquête de l’Ouest, puis la conquête spatiale et lunaire par exemple.

Mais ce qui est vrai pour la Nation l’est aussi pour l’individu américain qui se respecte. En d’autres termes : si j’arrête d’avancer, je tombe, et si je tombe, je dois me relever, sans renoncer. Nixon est l’archétype de ce caractère profond. La fameuse phrase de Francis Scott Fitzgerald, « There are no second acts in American lives », est un propos qui pour Nixon n’a pas de sens. Se laisser aller, laisser tomber, revient à se déshonorer.

Dans ce cadre, le fait que sa jeunesse se soit déroulée dans une relative modestie matérielle, que les dépenses de santé engendrées par les problèmes de ses frères lui aient définitivement coupé l’accès aux grandes universités de la Ivy League, joue naturellement un rôle prédominant. Car, cela, Nixon ne l’a jamais encaissé ni digéré. Ce qui explique ensuite beaucoup son acharnement, le fait qu’il ait toujours besoin d’un os à ronger, d’une personne à poursuivre de sa haine, d’un objectif à atteindre, quel qu’en soit le prix à payer. Rester un avocat de province en Californie, très peu pour lui donc ! Il n’y a que la Présidence qui soit susceptible de trouver grâce à ses yeux. Il y mettra toutes ses forces, toute son âme. Tous les moyens seront bons pour y parvenir.

Mais cette énergie implacable cache une vérité profondément enfouie : le sentiment de persécution et de paranoïa dont il semble être victime, son incapacité à se détendre et se reposer, à entretenir des relations normales avec ses semblables, provient tout naturellement de fragilités psychologiques et de fêlures affectives sur lesquelles je reviens longuement dans le livre.

Heureusement que sa femme, et ses deux filles l’ont profondément aimé. Elles ont été pour lui une bénédiction. Comme il a été pour elles d’ailleurs un bon père et un bon époux. Et ce même si sa femme souffrait de la politique, et aurait préféré voir son mari s’en éloigner.

On retrouve cette combativité présente dans l’esprit américain, ainsi que dans le caractère de Nixon. Une combativité décuplée après 1974 ?

Nixon va quitter la vie politique en 1974. Il n’y reviendra plus : les sondages, les soirées électorales, les campagnes, c’est bien fini. Des amis lui conseillent de reprendre un poste à la Chambre des Représentants, ou au Sénat, voire de Gouverneur d’un État. Mais Nixon ferme la porte à toutes ces sollicitations.

Quitter la vie politique ne signifie néanmoins pas qu’il va quitter la vie publique. Car en la matière, Nixon fera rapidement son grand retour.

Il avait d’ailleurs annoncé dès son discours de démission le 8 août 1974, véritable discours de politique générale qui ne dit pas son nom, les deux objectifs qui ne cesseront jamais d’être les siens : travailler sans relâche à l’unité du peuple américain, et promouvoir la paix et la liberté dans le monde.

Par ses livres, qui sont très largement dédiés à la géopolitique et aux relations internationales, et par ses déplacements dans le monde, il y aura ainsi incontestablement chez Nixon une volonté, sans relâche, de s’imposer comme un sage. Le Président Bill Clinton ne s’y trompera pas, et sollicitera souvent ses conseils avisés.

Ce qui conduira d’ailleurs ce même Clinton, en 1994, à prononcer l’éloge funèbre de Richard Nixon, et ce en présence de tous les anciens Présidents américains encore en vie à ce moment : Gerald Ford, Jimmy Carter, Ronald Reagan, et George Bush père. Une sacrée performance pour un Nixon parti en 1974 sous les injures et les quolibets. Un Nixon complètement banni d’une société américaine qui, pour mieux purger ses propres démons, avait alors trouvé en lui une victime expiatoire, pour ne pas dire un bouc émissaire idéal.

Son expertise en relations intérieures et extérieures a-t-elle joué un rôle majeur dans sa réhabilitation ?

On ne peut sans doute pas totalement parler de réhabilitation. Nixon, à force d’abnégation après 1974, est en revanche peut-être parvenu à redorer suffisamment son blason pour se voir accorder un statut d’homme respectable, voire d’homme d’État.

Le fait qu’il n’ait pas démantelé, en qualité de Président, l’État providence tel qu’induit par le New Deal de Roosevelt et la Great Society de Johnson n’y est pas pour rien.

De même, sa capacité à conceptualiser les relations internationales, à lire l’actualité avec intelligence et discernement, et à anticiper certains événements est indiscutable, et constitue un point d’explication pour le relatif retour en grâce dont il bénéficiera dans l’inconscient collectif américain.

Oui, justement, c’est une observation intéressante. En tant qu’universitaire français, j’ai souvent entendu parler de Kissinger, mais beaucoup moins de Nixon en tant qu’expert en relations internationales. Pourtant, comme vous l’avez mentionné dans votre livre, Nixon a, dans une certaine mesure, anticipé les idées de Huntington sur le choc des civilisations, notamment en ce qui concerne l’islam. C’est un aspect de Nixon que je n’avais pas pleinement réalisé.

En effet, Richard Nixon n’était pas un adepte des théories de Francis Fukuyama sur la fin de l’Histoire, même si ces théories ressortent des philosophies hégéliennes de l’Histoire, très complexe à appréhender. Cela étant, et à gros traits, Nixon est plus proche de la logique du choc des civilisations de Samuel P. Huntington.

La grande affaire de Nixon, faut-il d’ailleurs le rappeler, c’est l’URSS, et sa hantise, un conflit nucléaire. Il se méfie à ce titre autant des faucons, les va-en-guerre qui risquent par leurs excès de déclencher un conflit, que des colombes, qui par leur angélisme récusent les risques bien réels de déflagrations si l’on n’y prête garde. L’objectif de Nixon consiste donc à sortir du monde bipolaire de la Guerre froide opposant USA à l’URSS, pour privilégier un monde davantage multipolaire. D’où ses efforts pour promouvoir le dégel avec l’URSS de Brejnev, l’ouverture sur la Chine de Mao. Ou son souhait de voir les États européens financer davantage l’OTAN. De même, il portera un regard positif sur l’émergence du Japon comme grande puissance économique, et à terme politique.

Au-delà du risque nucléaire, Nixon a également parfaitement anticipé le choc possible entre les civilisations, et les risques générés par une montée en puissance du terrorisme international.

Vous évoquez de potentielles erreurs de jugement, Nixon n’a-t-il pas été un peu dur au sujet de Gorbatchev ? 

Effectivement, pour Nixon, Khrouchtchev ou Brejnev présentaient un avantage : avec eux, les choses étaient claires, on savait à quoi s’en tenir.

Sur Gorbatchev, Nixon sera par contre beaucoup plus violent : en un mot, nous dit-il, ne vous fiez pas aux côtés sympathiques, souriants, et rondouillards du personnage. En d’autres termes, Gorbatchev n’est pas un partenaire, mais un adversaire. Derrière les faux-fuyants de la Glasnost, derrière les faux-semblants de la Perestroïka, Gorbatchev reste pour Nixon un homme de l’appareil d’État soviétique, un apparatchik du Parti communiste, qui ne se convertira jamais ni à la démocratie politique pluraliste à l’occidentale ni à l’économie de marché. On ne peut pas lui faire confiance.

A-t-il manqué de clairvoyance et de discernement sur Gorbatchev ? Peut-être, et même sans doute. Alors même qu’ils se sont rencontrés à plusieurs reprises, Nixon n’a jamais vu en lui qu’un menteur et un manipulateur. Omettant les qualités indéniables de Gorbatchev qui, en ouvrant l’Est à une ère nouvelle, aura directement contribué à faire tomber le Mur de Berlin et à dissoudre l’Union soviétique. Et ce quand bien même Gorbatchev n’eut sans doute pas l’intention d’aller si vite et si loin, n’ayant manifestement pas réussi à maîtriser et à canaliser des événements qui ont fini par emporter tout le système.

Le fait que certains historiens appréhendent parfois Gorbatchev comme un Kennedy soviétique explique peut-être le jugement sévère de Nixon, en s’inscrivant dans le ressentiment psychologique en partie inconscient qu’il nourrissait à l’égard de JFK. On ne le saura jamais.

Sur la longue histoire de l’URSS, Nixon est pourtant souvent très pertinent.

Dans l’émission télévisée Inside Washington accordée en 1992, Nixon fait en effet preuve, pour ne citer que cet exemple, d’un exceptionnel esprit d’anticipation. Il rappelle en effet la continuité qui existe entre autoritarisme tsariste et communisme soviétique, et pressent qu’une nouvelle forme d’autoritarisme émergera des ruines de l’URSS. En d’autres termes, Nixon avait pressenti l’arrivée d’un Poutine. De même, il jugeait la perspective d’une confrontation entre Russie et Ukraine tout à fait inéluctable. Les événements vont lui donner raison.

Dans votre livre, vous abordez la relation entre Trump et Nixon. Cependant, vous expliquez pourquoi cette comparaison n’est pas nécessairement pertinente. Pourquoi ce positionnement ? 

Comparer les Présidents entre eux est un sport national aux États-Unis. On compare ainsi souvent JFK à Lincoln, sous prétexte qu’ils ont été tous les deux assassinés ou, de façon plus anecdotique, parce que l’assistante de Lincoln se prénommait Kennedy, alors que celle de Kennedy s’appelait Lincoln !

De façon plus sérieuse, Joe Biden est souvent rapproché de Franklin Delano Roosevelt, les politiques d’investissements publics du premier entrant en résonance avec le New Deal de son lointain prédécesseur.

Aujourd’hui, c’est au tour de Trump d’être comparé, à Nixon, en l’occurrence. Il faut dire que les deux hommes se connaissaient et ont entretenu une correspondance dans les années 80. Une lettre de 1987 de Nixon à Trump mérite d’ailleurs d’être citée. Il y écrit que Pat, son épouse, ayant vu Trump dans une émission télévisée, pensait que ce dernier présentait toutes les qualités pour devenir un jour Président. Nul doute que Trump a été flatté de la missive.

Nixon et Trump finissent par se rencontrer en 1989, à Houston au Texas. C’est John Connally qui les présente l’un à l’autre. Qui est John Connally ? C’est tout simplement l’ancien Gouverneur démocrate du Texas qui, passé ensuite au Parti républicain, était devenu le Secrétaire au Trésor de Nixon. Ce qu’il faut retenir pour la grande Histoire, c’est que l’intéressé, en sa qualité de Gouverneur du Texas en 1963, était assis dans la limousine juste devant le Président Kennedy lors de son assassinat à Dallas.

C’est en cette qualité, souvenons-nous, qu’il est censé avoir été touché par la fameuse, très controversée et prétendue balle magique, qui transperça le Président pour finir, après une trajectoire rocambolesque, dans le corps de Connally. Théorie de la balle magique qui avait été inventée par un jeune juriste de la Commission Warren, Arlen Specter, devenu plus tard Sénateur de Pennsylvanie. Commission Warren qui, heureusement, verra ses conclusions battues en brèche dans les années 70 par la Commission Church, du Sénat, et la Commission Stokes, de la Chambre des Représentants.

Ce n’est en tous les cas pas la moindre des ironies de l’histoire de voir Nixon et Trump se rencontrer sous l’égide bienveillante de Connally.

Cela étant, Trump et Nixon méritent-ils d’être comparés, voire rapprochés ?

Le fait qu’ils se soient manifestement appréciés ne justifie en aucun cas de les confondre. Certes, leur détestation des élites, leur volonté partagée de parler au nom de la majorité silencieuse, de représenter les sans voix, les dégradés, les oubliés, tout cela les rapproche. De même que leur conception très personnelle du respect des institutions, notamment judiciaires…

Cela étant, il convient de rappeler que si Trump figure, avec Andrew Johnson en 1868 et Bill Clinton en 1998, dans la liste des trois Présidents ayant fait l’objet d’une procédure d’impeachment, Trump en ayant de surcroit deux à son actif en 2019 et 2021, Nixon a eu lui le mérite de démissionner avant que la procédure ne soit enclenchée.

De plus, Nixon présente des qualités de conceptualisation, et de compréhension des enjeux, notamment internationaux, très supérieures.

Enfin, ne passons pas sous silence deux choses. En 1960, Nixon a reconnu, sans sourciller, sa défaite face à Kennedy, alors même qu’il avait toutes les raisons de penser que des fraudes avaient été commises, notamment dans l’Illinois et au Texas. Nixon ira même, en sa qualité de Vice-Président et donc ès-qualités de Président du Sénat, à proclamer les résultats en janvier 1961. Ce qui le distingue tout de même d’un Trump qui, en 2020 et depuis, n’a jamais reconnu sa défaite face à Biden. Et il ira même, semble-t-il, jusqu’à jouer un rôle dans l’assaut contre le Congrès le 6 janvier 2021.

Autre différence : en 1968, lorsque Nixon revient et est élu Président, il affiche sa volonté, même feinte, de rassembler. Trump affiche davantage en 2024 une volonté de se venger.

Trump n’est donc pas Nixon et Nixon n’est pas Trump.

Ce sont pourtant des battants tous les deux ?

Cela les rapproche. Cela en fait des vrais Américains. Nous verrons de ce point de vue si Trump renouvelle l’exploit de Grover Cleveland, Président de 1885 à 1889 qui, ayant perdu face à Benjamin Harrisson à l’issue de son premier mandat, était revenu en 1892 pour battre ce dernier. Un Grover Cleveland qui, comme Nixon longtemps après lui, et peut-être Trump en novembre prochain, n’aura jamais laissé tomber, et aura su signer un retour gagnant.

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