<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Les ovnis sont parmi nous

24 juillet 2024

Temps de lecture : 7 minutes

Photo : L'ufologue Jason Gleaves, 52 ans, originaire de Chester, affirme que les faisceaux de lumière qui apparaissent sur les clichés montrent l'activité d'un OVNI qui survole un volcan actif au Japon en 1972. Après avoir analysé les images, Jason a conclu que des êtres venus d'un autre monde sont intéressés par la découverte des éléments naturels de la Terre, en particulier les volcans. Le spécialiste des OVNI a vu pour la première fois une soucoupe volante alors qu'il n'avait que sept ans et a consacré sa vie à l'analyse des observations.

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Les ovnis sont parmi nous

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La création en 2019 par le président Trump de la Space Force, sixième branche des forces armées américaines, conjuguée à l’officialisation du commandement de l’espace annoncée en France la même année, a remis au centre de l’attention la question déjà ancienne de la militarisation de l’espace et des menaces qui pouvaient en provenir ou s’y propager. 

Article paru dans la Revue Conflits n°52, dont le dossier est consacré à l’espace.

Après que le fameux traité de l’espace de 1967 eut adopté un équilibre subtil entre autorisation d’une certaine militarisation et interdiction de l’envoi d’armes de destruction massive, a émergé le besoin de réguler les problèmes spécifiques que posait la course aux armements que se livraient les États-Unis et l’Union soviétique dans le cadre de la guerre froide : c’est ainsi que fut ratifié le 26 mai 1972 le traité bilatéral SALT 1. Mais dans le sillage des négociations ayant conduit à sa signature fut également établi en 1971 un accord d’une dizaine de pages intitulé « Information réciproque sur les risques de lancement accidentel », reconnaissant que des objets inconnus présents dans l’espace aérien étaient susceptibles de constituer un risque de mise à feu involontaire et accidentelle ; c’était mutuellement admettre que l’espace pouvait être le théâtre d’« engins » étrangers aux connaissances techniques et militaires de l’époque, bref que des phénomènes spatiaux inconnus pouvaient interférer avec des installations humaines et engendrer de potentielles catastrophes contre lesquelles il s’agissait de se prémunir. 

La naissance des soucoupes volantes 

Mais que des phénomènes aériens étranges et inexpliqués fussent observés, cela était antérieur à la guerre froide et était connu au moins depuis la Seconde Guerre mondiale où des pilotes anglais de la RAF ainsi que leurs homologues allemands de la Luftwaffe avaient rapporté que de petites boules lumineuses, au cours des combats aériens des années 1943-1944, avaient accompagné de nombreux vols et évolué de concert avec les avions comme s’il s’agissait d’appareils espions des armées ennemies, chaque camp pensant être espionné par le camp adverse. Ces chasseurs fantômes, également appelés foo fighters, ont fait l’objet de plusieurs hypothèses, mais il est à ce jour exclu qu’ils aient été des armes ou des prototypes à disposition d’une des armées belligérantes. 

En outre, le 22 juin 1947, le pilote Kenneth Arnold, parti à la recherche d’un avion militaire disparu, observa en vol neuf formes lumineuses se déplaçant pour l’époque à une vitesse prodigieuse par des mouvements de ricochets ou de rebonds ; bien que K. Arnold évoquât un déplacement analogue à celui de cailloux ou d’une soucoupe (saucer) ricochant sur l’eau, la presse confondit la nature du déplacement avec la forme des supposés engins et forgea le désormais célèbre syntagme de « soucoupes volantes », ce qui était en flagrante contradiction avec le témoignage du pilote qui avait évoqué une forme arrondie à l’avant, mais triangulaire à l’arrière – excluant donc que ces phénomènes adoptassent la forme de soucoupes. 

La conquête des airs dont le xxe siècle peut s’enorgueillir s’est donc accompagnée de nombreuses observations de phénomènes étranges et anormaux, déroutant les pilotes et les états-majors, allant jusqu’à contraindre les États à en faire mention dans le cadre de la prévention des conflits nucléaires.

Le présent article n’a pas pour enjeu de produire un plaidoyer en faveur d’intelligences extraterrestres qui seraient à l’origine de ces phénomènes – ce qui serait, soit dit en passant, le comble de l’anthropomorphisme, puisqu’il s’agirait de penser ceux-ci analogiquement aux avions, c’est-à-dire comme des artefacts servant de véhicules à des êtres intelligents – mais il ambitionne de rappeler quelles ont été, sur le plan institutionnel, les principales initiatives destinées à observer et identifier la nature de ces phénomènes dans la seconde partie du xxe siècle et le premier quart du xxie. 

Ce qui frappe dans la diversité des entreprises en la matière est la prégnance de l’approche militaire et du pilotage des recherches par les différentes armées de l’air. Ainsi, dès 1947 aux États-Unis, et dans le sillage de la toute récente US Air Force (autonomisée en septembre 1947), voit le jour le projet Sign constitué d’experts initialement très sceptiques sur le sujet, qui donnera lieu à deux rapports assez contrastés : un officiel publié le 10 décembre 1948, intitulé Estimation of the Situation, et un secret, portant le même nom, rédigé la même année mais publié en 1956 et désavoué puis détruit en 1960 par les autorités. Défendant l’hypothèse d’une origine extraterrestre des ovnis les plus mystérieux, ce rapport secret semble avoir été motivé par un cas précis, celui du 24 juillet 1948 où deux pilotes très expérimentés auraient observé des phénomènes impossibles au-dessus de l’Alabama, ce qui aurait induit l’abandon du scepticisme initial parmi les membres du projet. Mais celui-ci fut dissous en 1949 et immédiatement remplacé par le projet Grudge, toujours placé sous l’égide de la US Air Force. Après plusieurs péripéties, sous l’impulsion du capitaine Ruppelt et se maintenant dans le cadre du projet Grudge, fut initié le très fameux Blue Book dont la publication en 1955 conclut à l’extrême rareté des cas inexpliqués et à l’absence de preuves d’une science ou d’une technologie inconnue à l’origine de ces phénomènes. 

À peu près au même moment, la France était confrontée à une vague d’observations de phénomènes étranges en 1954 et c’est dans le bureau de Pierre Mendès-France, président du Conseil, que se trouvèrent réunis la même année durant deux heures l’ancien ministre de la Défense, Emmanuel Temple, et plusieurs de ses secrétaires d’État. Fut décidée la création d’une commission secrète, placée sous l’égide de l’état-major de l’armée de l’air, dont le nom fut la SEMOC, Section d’étude des mystérieux objets célestes. Faute de moyens et d’organisation efficace destinée à recueillir les témoignages, la commission s’éteignit rapidement. Mais en 1974, ce fut encore un ministre de la Défense, Robert Galley, qui évoqua publiquement la question des ovnis sur France Inter au micro de Jean-Claude Bourret. 

Phénomène aérien non identifié

Un détail apparaît à cette occasion, à savoir la difficulté de nommer les phénomènes en question ; on sait que l’acronyme ovni signifie « objet volant non identifié », et est le strict équivalent de l’UFO signifiant unidentified flying object. L’acronyme a été contesté, car, derrière son apparente prudence, il parle tout de même d’« objet », ce qui semble constituer un plaidoyer implicite en faveur de la matérialité de ces phénomènes, ce que reconduit d’ailleurs l’idée de « mystérieux objets célestes ». Aujourd’hui est préférée à la notion d’objet celle de phénomène, le terme d’ovni ayant tendance à laisser la place à celui de PAN, (phénomène aérien non identifié), tout comme celui d’UFO s’efface derrière celui d’UAP (unidentified aerial phenomena).

Si le phénomène a en effet pour définition d’apparaître, il ne présuppose pas la nature de ce qui apparaît, et ne véhicule pas l’idée de matérialité.

Si nous revenons à l’approche militaire desdits PAN, nous constatons que c’est encore à la demande de la US Air Force que fut initié en 1966 le rapport Condon – du nom du physicien qui dirigea la commission – et bien qu’il fût mené dans le cadre de l’université du Colorado, il fut étroitement surveillé par l’armée de l’air ; Condon publia en 1968, avec son équipe, un rapport étrange dont les conclusions – sceptiques – semblaient contredire le contenu analytique des cas. Une polémique s’ensuivit, bien des lecteurs faisant remarquer que le rapport mentionnait plus de 15 % de cas strictement inexpliqués, ce qui rendait incompréhensible la conclusion niant l’existence des phénomènes étudiés. Le NICAP, Comité national d’enquête sur les phénomènes aériens, en proposa une réfutation argumentée en 1969.

Un peu plus tard, en 1977, et de l’autre côté de l’Atlantique, à la suite de l’incident de Petrozavodsk où les habitants observèrent une sorte de méduse géante et lumineuse s’élevant sans fin vers le ciel, l’Union soviétique créa un programme de recherche sur la nature et la provenance des ovnis du nom de Setka, placé lui aussi sous les ordres du ministère de la Défense. Dirigé par Boris Sokolov, il fut maintenu jusqu’à l’effondrement de l’URSS. 

Bien plus récemment, c’est encore selon une approche militaire que se trouve traitée la question. En effet, lorsque fut rendue publique le 16 décembre 2017 l’existence d’un programme américain destiné à analyser les éventuelles menaces aérospatiales d’origine inconnue, chacun put découvrir que, de 2007 à au moins 2012, avait existé un organisme portant le nom d’AATIP, acronyme d’Advanced Aerospace Threat Identification Program, voulu par le département de la défense. L’UAP Task Force, qui lui a succédé, s’est quant à elle concentrée sur des cas exclusivement liés à des observations militaires menées de 2004 à 2021 et essentiellement issues de la marine américaine. Sur la base de ces données, un rapport émanant du Pentagone a été publié le 25 juin 2021, mais une grande partie de ce dernier, classée secret défense, n’a été communiquée qu’aux commissions de défense du Congrès américain. 

À la suite du rapport de 2021 du Pentagone concluant à un manque de moyens permettant d’investiguer les cas inexpliqués, fut créée en juillet 2022 l’AARO (All-Domain Anomaly Resolution Office), dépendant lui aussi du département de la défense, dont le directeur, Sean Kirkpatrick, démissionna avec fracas dès novembre 2023. Cette démission aussi soudaine qu’inattendue est peut-être due au témoignage quelque peu sensationnaliste de David Grusch qui, devant le Congrès et sous serment, annonça le 5 juin 2023 que les États-Unis finançaient depuis de nombreuses années des programmes de récupérations d’ovnis et même de leurs pilotes, le tout dans une optique de rétro-ingénierie destinée à en tirer le plus grand profit scientifique et technologique. Tout en reconnaissant n’avoir rien vu de ses propres yeux, D. Grusch, qui est aussi membre des services de renseignements américains, adopta un ton affirmatif, certifiant que les « appareils » récupérés n’étaient pas d’origine humaine. Depuis, Sean Kirkpatrick a fait savoir qu’il désapprouvait de tels propos qu’il jugeait tout aussi faux qu’inutilement complotistes, craignant peut-être que l’écho médiatique rencontré par l’audition du colonel ne perturbât les recherches de son propre organisme. 

Les ovnis et nous

Il ne faudrait pas conclure de cette rapide approche que seules existent des institutions militaires en charge des questions ufologiques, et il est bon de rappeler l’existence d’initiatives privées, comme celles de Robert Bigelow, milliardaire ayant créé en 1995 le NIDS (National Institute for Discovery Science) et finançant généreusement le MUFON (Mutual UFO Network), ou encore d’organismes publics, mais non militaires comme le GEIPAN français (Groupe d’études et d’informations sur les phénomènes aérospatiaux non expliqués) qui dépend du CNES (Centre national d’études spatiales) et non du ministère des Armées. À cela s’ajoute bien sûr la voix de nombreux scientifiques souhaitant réviser les conclusions du rapport Condon ainsi que l’ont récemment exprimé Ravi Kopparapu et Jacob Haqq-Misra dans un article paru dans Science. 

Toutefois, la prépondérance de l’approche militaire au sein des questions ufologiques demeure incontestable et se révèle profondément ambivalente. D’une part, la fiabilité des observations dont disposent les armées du monde entier crée une légitimité de fait pour faire de ces dernières des acteurs de premier ordre dans l’analyse du phénomène ; mais, d’autre part, les visées d’une démarche militaire sont intrinsèquement réductrices, car naturellement amenées à se demander si les PAN constituent une menace pour la sécurité nationale et s’il convient de s’en protéger. Or, face à de telles énigmes, une approche plus large, ne préjugeant pas de la perspective sous laquelle il faudrait les aborder, serait assurément féconde et porteuse, mais elle reste sans aucun doute à construire. 

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À propos de l’auteur
Thibaut Gress

Thibaut Gress

Thibaut Gress. Agrégé et docteur en philosophie. Spécialiste de l’âge classique, il a publié de nombreux livres consacrés à Descartes ainsi qu’une édition des œuvres philosophiques complètes de Spinoza.

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