<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La politique spatiale de la Chine

22 août 2024

Temps de lecture : 8 minutes

Photo : Représentation artistique de la station lors de sa configuration en novembre 2022. (C) Wikipedia

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La politique spatiale de la Chine

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Dès le début de la République populaire, la Chine a décidé de mettre en place une politique spatiale ambitieuse. La création en 1956 de la cinquième Académie de recherche de la défense nationale a donné le top départ.

Article paru dans la Revue Conflits n°52, dont le dossier est consacré à l’espace.

La politique spatiale de la Chine est définie et mise en œuvre par l’Administration spatiale nationale chinoise (CNSA). D’autres acteurs sont associés dans la prise de décisions, tels que SASTIND (Administration d’État pour la science, la technologie et l’industrie pour la défense nationale), l’Armée populaire de libération, et en particulier la Force de soutien stratégique. C’est cette dernière qui opère la plupart des systèmes spatiaux en Chine (centres de lancement, station de surveillance de l’espace…). D’autres acteurs jouent également un rôle important, tels que les industries d’État aérospatiales, CASC (China Aerospace Science and Technology Corporation) et CASIC (China Aerospace Science and Industry Corporation), ainsi que l’Académie chinoise des sciences et le monde universitaire plus largement.

La politique spatiale de la Chine vise à rattraper son retard en faisant progresser, aussi vite que possible et en relation étroite avec les plans quinquennaux, les capacités spatiales du pays dans divers domaines, notamment l’exploration spatiale, le développement technologique, la coopération internationale et les applications civiles et militaires.

Outre la satisfaction des besoins du développement industriel, la réussite dans le domaine spatial permettrait aussi d’accroître le prestige international de la Chine. C’est une question de fierté nationale.

La mise en place de cette politique a été impressionnante. En s’appuyant sur une dynamique endogène, la Chine, évoluant rigoureusement étape par étape, est devenue rapidement l’un des acteurs majeurs de l’exploration spatiale mondiale.

Rattrapage rapide et progrès fulgurants

Le rattrapage a été rapide. Le premier satellite chinois, Dong Fang Hong 1, a été mis en orbite en 1970. En 2020, elle était capable de lancer son propre système de navigation par satellite, Beidou, pour des applications civiles et militaires. En 2021, et pour la première fois, la Chine a été en tête des lancements spatiaux annuels (65) devant les États-Unis (45). Les progrès les plus significatifs ont été réalisés dans le cadre du projet 921 qui visait à développer les capacités de vol spatial habité. 

Ce projet a été divisé en trois phases de complexité croissante : 1/ réalisation de missions avec de courts séjours en orbite basse ; 2/ séjours à bord d’un laboratoire spatial (Tiangong 1 et 2 : « le Palais céleste »), réalisation de sorties extravéhiculaires, mise au point de procédures de rendez-vous et d’amarrage spatial ; 3/ séjours de longue durée à bord d’une station spatiale modulaire ravitaillée par un cargo spatial. Ces trois phases se sont achevées avec succès en temps et en heure. 

Le premier vol habité, Shenzhou 5, a eu lieu en 2003 avec le taïkonaute Yang Liwei à bord. La construction de la station s’appuie sur l’expérience acquise avec ses précurseurs, Tiangong 1 et Tiangong 2. Le module principal Tianhe (« Harmonie des cieux ») a été lancé en 2021, suivi de plusieurs missions avec et sans équipage et de deux autres modules de cabine de laboratoire Wentian (« Quête des cieux ») (juillet 2022) et Mengtian (« Rêver des cieux ») (octobre 2022).

Ainsi, la Chine devient le troisième pays de l’histoire à envoyer des astronautes dans l’espace et à construire une station spatiale.

Ambitions pour les prochaines années

Après avoir réussi à rattraper son retard, la Chine veut maintenant être une puissance pionnière.

Lune : La Chine a réalisé sa première mission lunaire, Chang’e 1, en 2007. Depuis lors, le programme Chang’e a poursuivi ses missions lunaires avec des atterrisseurs, des rovers et même des missions d’échantillonnage du sol lunaire. La Chine a annoncé récemment des plans concrets pour la construction d’une base lunaire permanente. La dépose de deux astronautes sur la Lune est visée pour 2029. L’objectif à terme est de disposer d’un avant-poste occupé de manière semi-permanente au pôle sud de la Lune.

Mars : La planète rouge est également dans la ligne de mire. La Chine a déjà réalisé plusieurs missions dans ce sens, par exemple Tianwen 1, lancée en juillet 2020, qui est une mission complexe comprenant un orbiteur, un atterrisseur et un rover. En mai 2021, l’atterrisseur Zhurong, nommé d’après le dieu du Feu dans la mythologie chinoise, a réussi à atterrir sur Mars, devenant ainsi le deuxième rover fonctionnel après les rovers NASA. La Chine prévoit de rapporter des échantillons martiens pour le début des années 2030.

Pour pouvoir réaliser ces missions, la Chine développe des lanceurs plus puissants avec l’arrivée d’un lanceur partiellement réutilisable et d’une gamme de nouveaux lanceurs lourds.

La Chine a également commencé des missions d’exploration directe du Soleil depuis des orbites héliocentriques, telles que l’orbite de la Terre, ou des orbites autour de la Terre ou d’autres planètes à l’intérieur du système solaire. Une sonde non habitée sera envoyée en 2030 vers Jupiter. L’exploration des astéroïdes sera également lancée.

Cela vaut la peine de mentionner deux projets concernant les transports dans un avenir proche : le développement des fusées porteuses (2035) et la construction d’une navette à propulsion nucléaire (2040).

La Chine ne va pas ralentir ses pas dans l’exploration des nouvelles frontières. Elle dévoilerait en temps utile des plans pour le voyage de très longue durée au-delà du système solaire.

La dimension militaire

La Chine développe également des capacités dans le domaine militaire de l’espace. Elle a déployé une gamme de satellites à usage militaire, y compris des satellites de reconnaissance, de communication, de navigation et de surveillance. Ont été développées également des capacités antisatellites (ASAT), de surveillance et alerte des missiles hypersoniques, de véhicules spatiaux militaires. Bien que la Chine n’ait pas encore mis en place un commandement spatial militaire spécifique comme celui des États-Unis, elle a intégré les opérations spatiales dans ses forces armées et a renforcé ses capacités dans le domaine spatial, y compris pour des opérations militaires et de défense. Il est utile de mentionner la force de soutien stratégique de l’Armée populaire de libération (APL), qui comprend la force de missile balistique intercontinental (ICBM) et d’autres unités spécialisées dans les missiles et les opérations spatiales. 

La coopération internationale

La Chine collabore avec plusieurs pays et organisations dans le domaine spatial, bien que ses collaborations internationales puissent être plus limitées que celles d’autres grandes agences spatiales comme la NASA ou l’ESA. 

La Chine et la Russie ont établi une collaboration spatiale importante. Les deux pays ont travaillé ensemble sur des projets tels que le module orbital Tianhe, qui a été fondé sur des conceptions russes (Mir). 

La Chine a également des accords de coopération spatiale avec d’autres pays, tels que l’Inde, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et certains pays africains, pour des projets tels que le lancement de satellites, la formation de personnel spatial et la recherche scientifique. Dans le cadre du BRI, de nombreux lancements de satellite ont également eu lieu.

Les neufs premiers taïkonautes sur un timbre somalien de 2010.

Dans le cadre de projet de station lunaire ILRS (The International Lunar Research Station), la Chine a déjà conclu des accords avec la Russie, les Émirats arabes unis, le Pakistan et l’Asia-Pacific Space Cooperation (Turquie, Mongolie, Thaïlande, Pérou, Iran et Bangladesh). Les négociations sont en cours avec dix autres partenaires potentiels.

Bien que les relations entre la Chine et les États-Unis dans le domaine spatial soient généralement limitées en raison des sanctions américaines (par exemple, The Amendement Wolf adopté en 2011), il existe certaines collaborations bilatérales dans des domaines spécifiques tels que la science spatiale, l’exploration planétaire et la recherche sur la Lune.

La Chine a également coopéré avec l’Europe dans le domaine spatial, notamment dans le cadre du projet EarthCARE de l’ESA et dans des domaines tels que la recherche sur l’environnement spatial et la science des matériaux.

New Space (nouvelles frontières)

Le développement des initiatives commerciales privées dans le domaine spatial en Chine est un domaine relativement récent, mais en rapide expansion.

Start-up spatiales : Ces dernières années, de nombreuses start-up spatiales ont émergé en Chine, par exemple, iSpace, Shanghai Spacecom Satellite Technology (SSST) et Orienspace. Elles sont une centaine, couvrant un large éventail de domaines dans le cadre de partenariats public-privé, notamment le lancement et la fabrication de satellites, l’imagerie satellitaire, les services de données spatiales, les communications spatiales, l’intelligence artificielle, l’apprentissage automatique, l’internet des objets, la blockchain et d’autres technologies de pointe. Soutenues par des investissements importants, ces start-up spatiales jouent un rôle de plus en plus important dans la transformation et la croissance de l’industrie spatiale chinoise.

Tourisme spatial : Le tourisme spatial en Chine en est encore à ses débuts, mais il existe un intérêt croissant pour cette industrie, tant au niveau des entreprises que du public. Avec le développement continu des technologies spatiales et des infrastructures, ainsi que l’ouverture progressive du marché spatial chinois, ce tourisme pourrait devenir une réalité dans un avenir relativement proche.

Une méthode à la chinoise

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Le programme spatial chinois se distingue par plusieurs spécificités dans sa méthode de développement, son organisation et sa gestion des ressources humaines. 

Planification à long terme : La Chine adopte une approche méthodique et à long terme pour le développement de ses capacités spatiales. Il élabore des plans quinquennaux et décennaux pour définir ses objectifs avec des étapes intermédiaires clairement définies. Ces plans sont étroitement alignés avec ses plans quinquennaux nationaux.

L’implémentation rigoureuse et approche progressive : La Chine ne se contente pas d’élaborer des plans. Leur implémentation est immédiate, progressant étape par étape et de façon rigoureuse et disciplinée, vers des objectifs. Le projet 921 en est un parfait exemple.

Coordination gouvernementale : Le programme spatial chinois est étroitement supervisé et coordonné par le gouvernement central, en particulier par l’Agence nationale de l’espace de Chine (CNSA). La CNSA est responsable de la planification, de la mise en œuvre et de la gestion globale du programme spatial, en collaboration avec d’autres ministères et institutions gouvernementales.

Investissement massif dans la recherche et le développement : La Chine investit massivement dans la recherche et le développement technologique fondamentaux pour soutenir son programme spatial. 

Collaboration entre le secteur public et privé : La Chine encourage également la participation du secteur privé et des entreprises commerciales dans certaines initiatives spatiales. Cela inclut des partenariats public-privé pour le développement de technologies spatiales, la fourniture de services spatiaux et la promotion de l’innovation dans l’industrie spatiale.

Recrutement et formation des talents : La Chine accorde une grande importance au recrutement, à la formation et à l’emploi des jeunes talents. Nous avons vu un nombre important de jeunes ingénieurs sur les postes de lourdes responsabilités, par exemple, Huang Cong, 31 ans, concepteur en chef du système d’attitude de la série de lanceurs Longue Marche CZ5, et Wang Xiang, 39 ans, commandant en chef du système de laboratoire spatial.

Sécurité et contrôle des technologies sensibles : La Chine accorde une grande importance à la sécurité et au contrôle des technologies spatiales sensibles. Des mesures strictes sont mises en place pour protéger les secrets industriels, prévenir les fuites de technologies sensibles et garantir la sûreté des opérations spatiales. Habituellement, la Chine livre très rarement des informations sur la part militaire de son programme spatial.

Cette démarche peut être caractérisée comme whole nation approach, impliquant une mobilisation totale, systémique et constante à l’échelle du pays. Ce mouvement intense et durable est alimenté par un puissant désir de retrouver sa place d’antan dans le monde.

Les perspectives 

La réussite spatiale chinoise bouleverse totalement les équilibres issus de l’après-guerre froide entre les États-Unis, la Russie et l’Europe. Cela rend nerveux surtout les Américains qui craignent d’être dépassés d’ici 2045.  

Pour l’heure, le programme spatial chinois se concentre principalement sur des missions à l’intérieur du système solaire. En parallèle, la Chine a clairement exprimé son ambition de se développer, en tant que puissance pionnière, pour explorer des destinations plus lointaines.

« Qui tiendra l’espace tiendra la Terre » est peut-être une affirmation exagérée. En même temps, la Chine est convaincue qu’une place dans le peloton de tête dans la course aux étoiles l’aiderait à avoir voix au chapitre dans les discussions relatives à l’établissement de l’ordre spatial. L’espace ne devrait pas devenir un théâtre de compétition sauvage entre les grandes puissances. Le dialogue et les coopérations seront absolument nécessaires afin d’avoir une coexistence pacifique dans l’espace.

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Photo : Représentation artistique de la station lors de sa configuration en novembre 2022. (C) Wikipedia

À propos de l’auteur
Alex Wang

Alex Wang

Titulaire de deux doctorats (philosophie et ingénierie) et familier des domaines clés de la NTIC, Alex Wang est ancien cadre dirigeant d’une entreprise high tech du CAC 40. Il est également un observateur attentif des évolutions géopolitiques et écologiques.

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