L’entrée de Missak et Mélinée Manouchian au Panthéon a été l’occasion, pour le président de la République, d’honorer les « Français de préférence », ces femmes et ces hommes qui ont donné leur vie pour un pays qui n’était pas le leur.
Chronique paru dans la Revue Conflits n°52, dont le dossier est consacré à l’espace.
Ni Manouchian, ni 18 des 22 résistants de la MOI fusillés avec lui le 21 février 1944, et « panthéonisés » à ses côtés sous forme d’une plaque commémorative, n’avaient la nationalité française – sa veuve, Mélinée, décédée en 1989, l’avait obtenue en 1946 au titre de son action dans la Résistance et les quatre derniers membres étaient français de naissance ou par naturalisation.
Ce ne sont pas les premiers étrangers admis au Panthéon, cette ancienne église dédiée à sainte Geneviève, la patronne et protectrice de Paris ayant vécu au ve siècle, et transformée en temple de la reconnaissance patriotique par décision de l’Assemblée constituante en 1791. Avant les Manouchian, six étrangers avaient eu cet honneur, tous sous le Premier Empire, mais aucun n’était « mort pour la France », selon la formule utilisée pour les soldats tués au combat ; on pourrait, en jouant sur les mots, considérer que l’expression s’applique à Marie Curie, dont la mort prématurée (à 66 ans) n’est pas sans rapport avec ses travaux sur la radioactivité et le radium, pour la plus grande gloire de son pays d’adoption. Mais si Marie était née polonaise, elle était devenue française par son mariage avec Pierre Curie, donc un siècle avant son entrée au Panthéon avec son époux, en 1995.
En cette circonstance, nul n’a rappelé le titre d’un ouvrage de Paul Bonnecarrère (1925-1977), auteur manifestement oublié aujourd’hui comme bien des chantres des armées françaises du xxe siècle (Erwan Bergot, par exemple), coincés entre la honte de la débâcle de 1940 et l’opprobre obligatoire affecté par les nouvelles générations « mondialisées » aux guerres de décolonisation. Bonnecarrère choisit pour son livre de 1968, consacré à la Légion étrangère en Indochine, le titre Par le sang versé. Ce titre reprend lui-même les derniers mots d’un sonnet, intitulé Le Volontaire étranger, composé en 1920 en hommage aux étrangers engagés dans les armées françaises pendant la Première Guerre mondiale, et dont l’auteur, Pascal Bonetti (1884-1975), est encore plus oublié, bien que sa poésie ne soit pas exclusivement martiale et qu’il ait été récompensé deux fois par l’Académie française, en 1934 et en 1961.
La dernière phrase du poème de Bonetti, embrassant le dernier vers du premier tercet et l’ensemble du second, mérite d’être citée intégralement :
Qui sait si l’inconnu qui dort sous l’arche immense,
Mêlant sa gloire épique aux orgueils du passé,
N’est pas cet étranger devenu fils de France
Non par le sang reçu mais par le sang versé ?
Il faisait allusion au cercueil anonyme déposé dans une pile de l’Arc de triomphe à Paris le 11 novembre 1920. Pourquoi pas au Panthéon ? L’idée avait été lancée dès 1916, et reprise par la presse en 1920, à l’annonce de l’inhumation d’un soldat inconnu dans la cathédrale de Westminster, en hommage à tous les Britanniques tombés dans cette guerre industrielle, dont l’essentiel des pertes fut causé par l’artillerie, ce qui explique que plus de 40 % des morts restèrent non identifiés. Compte tenu de la précipitation – le Conseil des ministres en discute le 2 novembre, la Chambre vote la loi le 8 ! –, le cercueil choisi le 9 novembre à Verdun par Auguste Thin, un jeune engagé volontaire, parmi huit anonymes, venus des différents sites de batailles livrées en France, ne put être inhumé dans une tombe qui ne sera achevée qu’en janvier 1921 – depuis, les troupes ne peuvent plus défiler sous l’Arc.
Le soldat inconnu ne fit qu’une halte sur la montagne Sainte-Geneviève, avant de gagner les Champs Élysées. Car ce même jour était prévu de longue date le transfert au Panthéon du cœur de Léon Gambetta, un des pères fondateurs d’une IIIe République qui fêtait son cinquantenaire. Il fallait éviter une concurrence ou même une confusion entre les mémoires.
La Flamme du souvenir, quant à elle, fut allumée pour la première fois le 11 novembre 1923 par le ministre André Maginot, lui-même mutilé de guerre. Elle est depuis ranimée chaque soir à 18 h 30. La sonnerie aux morts n’a été composée qu’en 1931.
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