Des Jeux olympiques de 1936 à la Coupe du monde de football de 2018, les grands événements sportifs ont toujours été au centre de l’histoire des nations et des drames du siècle.
Professeur de géopolitique en classes préparatoires au lycée Michel Montaigne de Bordeaux
En août 1936, Jesse Owens, Adolf Hitler et le monde entier se retrouvaient à Berlin trois ans seulement avant l’invasion de la Pologne marquant le début de la Seconde guerre mondiale. En juillet 2018, la France remportait sa deuxième étoile à Moscou un peu plus de trois ans avant l’invasion de l’Ukraine par les troupes de Vladimir Poutine. Dans un cas, on connait la suite, dans l’autre, pas tout à fait… mais les deux événements se ressemblent-ils vraiment ?
Le rôle des événements sportifs
Ils se ressemblent car c’est à une Allemagne et à une Russie qui ne sont pas encore en rupture avec l’ordre mondial que l’on attribue les Jeux de 1936 et la Coupe du Monde 2018. En 1931, c’est la très démocratique Allemagne de Weimar qui obtient l’organisation des Jeux. Les femmes y ont notamment le droit de vote alors qu’elles doivent attendre 1944 en France. Lorsqu’elle obtient l’organisation de la Coupe du monde en 2010, la Russie n’a pas encore franchi le Rubicon et Vladimir Poutine est considéré comme fréquentable par le monde occidental qui imagine encore pouvoir le détacher de la Chine.
Il faut cependant voir qu’Allemagne comme Russie ont alors déjà marqué des signes de révisionnismes. L’Allemagne de Weimar reconstruit son armée en dépit du traité de Versailles avec le soutien de l’URSS. La Russie de Poutine a quant à elle déjà envahi une partie de la Géorgie en 2008. Classiquement dans les périodes de transition géopolitique, des années 1930 à notre époque, les Etats émergents, voire réémergents dans les cas allemand et russe, en quête de reconnaissance internationale, courent après l’organisation d’hyperévénements. C’est l’usage du sport power. Autre fait classique de ces périodes, la dérive politique vers l’autoritarisme et la guerre. L’Allemagne et la Russie poutinienne rompent en effet en quelques années avec l’ordre mondial peu après l’attribution de ces hyperévénements sportifs qui les positionnent au centre de l’attention planétaire. Les Jeux de 1936 se tiennent dans une Allemagne devenue hitlérienne en 1933. Elle opprime sa population juive et a remilitarisé la Rhénanie en violation du traité de Versailles. Elle l’a fait en mars 1936, donc juste avant les Jeux et menace la France en laissant « Strasbourg sous les canons allemands » selon la formule du Président du Conseil Albert Sarrault. Côté russe, c’est en 2014, juste après la clôture des Jeux d’hiver de Sotchi que la Crimée est annexée et qu’une guerre hybride, menée sous le manteau, commence au Donbass.
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La question du boycott
1936 et 2018 se ressemblent aussi car le boycott est envisagé dans les deux cas sans qu’on aille jusqu’au bout. Concernant l’Allemagne nazie, c’est la discrimination à l’encontre des Juifs qui amène certains pays à l’envisager. Le Comité olympique américain envoie une commission d’enquête à Berlin chargée d’un rapport sur la situation des Juifs dans le pays. C’est sous la pression du fameux Avery Brundage, président du Comité olympique des Etats-Unis ouvertement antisémite et qui obtiendra peu après pour son entreprise le chantier de l’ambassade d’Allemagne à Washington, que le pays décide finalement de participer. Brundage sera récompensé d’un siège au CIO qui lui est attribué pendant les Jeux… avant d’être couronné de la présidence de l’institution lausannoise quelques années plus tard.
La question du poids démesuré des organisations internationales sportives est ici posée, avec celle de la corruption de leurs dirigeants. On voit que le problème est né avec l’histoire de ces hyperévénements dès les premiers temps de la mondialisation. La participation du Japon qui a envahi la Mandchourie chinoise n’est par ailleurs pas soulevée. Tintin avait pourtant été envoyé par Hergé sur les lieux dans le Lotus bleu qui paraît en 1936. Concernant la Coupe du monde 2018, seuls le Royaume-Uni et l’Islande boycottent diplomatiquement la compétition, n’envoyant pas de représentation officielle. Un vaste système de corruption a été depuis mis au jour au sein de la FIFA concernant les attributions des coupes 2018 et 2022. En dépit du viol des droits de l’Homme et du droit international par les deux Etats organisateurs, les deux époques ont donc accepté de participer aux compétitions qu’ils organisaient.
1936 et 2018 sont-ils donc des Munichs sportifs ? La conférence de Munich de septembre 1938 est un abandon qui répond avec différentes motivations au souci d’éviter la guerre ou de la repousser. La peur de la guerre et l’impréparation à la livrer sont partagées par les deux époques. Néanmoins, l’attribution ou la participation à une compétition sportive ne sont pas comparables à une capitulation territoriale au détriment d’un allié comme la Tchécoslovaquie l’était pour la France. Refuser de participer à une compétition sportive, même organisée par un fasciste, n’entraine par ailleurs pas de risque de guerre… Personne n’a craint cette conséquence ni en 1936 ni en 2018, qui sont en fait plutôt des moments de triomphe à la fois de la manipulation des démocraties par des tyrans menteurs et corrupteurs ; ainsi que d’un aveuglement géopolitique des chancelleries et des opinions qui privilégient une pensée de la continuité. Un vain espoir d’intégration diplomatique a sans doute également existé dans les deux cas.
La Coupe du monde 2018 ne ressemble cependant à nos Jeux de 1936 que jusqu’à un certain point. En effet, alors que 1939 débute par une invasion de la Tchécoslovaquie qui laisse les grandes puissances européennes sans réaction, nous aidons aujourd’hui l’Ukraine et rompons peu à peu les liens nous unissant à la Russie. Nous ne sommes donc pas nécessairement à la veille de 1940, mais plutôt replongés dans une année 1939 qui se passerait cette fois-ci un peu plus mal pour le camp fasciste. Les Jeux de 1940, prévus à Tokyo, n’ont pas eu lieu pour cause guerre mondiale alors que ceux de Paris vont bien se tenir cet été… dans des conditions qui méritent toute notre attention concernant la participation des athlètes russes. En 1938, la France avait été l’hôte de la troisième édition de la coupe du Monde football sur fond de bruit de bottes qui avait vu triompher l’Homme italien de Mussolini, vêtu de noir lors de son match contre notre pays au stade Vélodrome. L’Autriche avait abandonné les phases finales pour fusionner avec l’Allemagne du fait de l’Anschluss… Les temps ont changé donc, mais l’avenir étant ce que nous en faisons, la volupté de l’analogie ne doit pas nous faire oublier qu’ils sont tout aussi incertains.
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