Agadez est redevenue le carrefour historique de la traite, depuis que le gouvernement du Niger a abrogé une loi qui criminalisait le transport de migrants.
Article paru dans la Revue Conflits n° 51.
Le site de l’Unesco présente pudiquement Agadez comme « un carrefour caravanier », un « centre d’échanges culturels transsaharien majeur ». On se demande bien quels types de marchandises pouvaient transiter par cette cité, quelle richesse les caravansérails venaient y commercer. Située à la lisière du Sahara, au sud du Niger actuel, Agadez fut créé au XVe siècle comme capitale du sultanat de l’Aïr. Composé de bâtiments en terre, le centre historique est dominé par un minaret de 27 mètres de hauteur, le plus haut jamais construit en terre crue. Si le tourisme fut une richesse locale, c’est désormais le trafic de migrants qui s’impose comme activité économique principal.
En novembre 2023, le gouvernement du Niger a abrogé la loi instaurée en 2015 qui criminalisait le transport de migrants. Il n’en fallait pas moins pour relancer les trafics et refaire d’Agadez le carrefour de la traite et la porte de l’Europe.
Des hommes essentiellement, venus de Côte d’Ivoire, du Nigeria, du Ghana, de Gambie. Toutes les routes conduisent à Agadez, pour converger vers la Libye, traverser la Méditerranée et atteindre l’Europe. Des routes parcourues de pick-up blanc Toyota hors d’âge, mais toujours en usage, jonchées des cadavres de ceux qui n’ont pas vu les rives de la Cyrénaïque. Ce sont des routes de rêves et de cauchemars, de trafics et d’argent. Ceux qui hébergent, ceux qui vendent la nourriture, ceux qui assurent la maintenance des voitures, ceux qui revendent les femmes… ils sont nombreux à vivre des trafics d’êtres humains ; le ruissellement de la traite fait vivre plusieurs familles. Comme au XVe siècle, la traite rapporte et comme au XVe siècle, elle emprunte les mêmes routes dans un axe nord / sud. Ce sont souvent, comme autrefois, les mêmes ethnies qui vendent et qui sont vendues. Si le Toyota a remplacé le dromadaire, rien n’a véritablement changé.
Soucieuse de démocratie, l’Union européenne, au lendemain du coup d’État réalisé à Niamey le 26 juillet 2023, décida de couper toute coopération avec le Niger et de tarir les aides financières qui, à défaut de développer le pays, profitaient aux personnes bien placées à Niamey. En représailles, la junte décida d’abroger la loi de 2015, fruit de la coopération avec l’UE. Depuis lors, les migrants repassent et les trafiquants s’enrichissent. Biélorussie, Turquie, Niger, ils sont nombreux à faire usage du chantage migratoire. Les coupeurs de routes reprennent possession des pistes de terre battue. Il n’y a pas de petits pauvres à voler. Téléphone portable, argent, véhicules sont pris et les migrants laissés sur le bord de la route. Ceux qui passent à Agadez finiront par arriver dans les centres des villes françaises. Entre les maisons de terre battue ocre et le ciel bleu du désert, ces routes sont rouges du sang et du fric qui alimentent les trafics.
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