Un colis contenant une poudre suspecte, une personne soupçonnée d’avoir la maladie d’Ebola, un attentat biologique… Les sapeurs-pompiers doivent être préparés à de tels risques biologiques atypiques.
Morgan Meyer, Mines Paris – PSL
Mais contrairement aux risques biologiques courants, comme la grippe saisonnière (qui peut être dangereuse, mais pour laquelle des vaccins et des traitements existent), les risques biologiques atypiques sont rares. Comment, alors, se préparer à de tels risques – qu’ils soient naturels, volontaires ou accidentels ?
Se former aux risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques
Se préparer et s’entraîner pour faire face à un acte de bioterrorisme ou à un cas d’Ebola ne va pas de soi. Au niveau gouvernemental, le plan Biotox, qui fait partie du plan Vigipirate, définit les actions à mener dans le cas d’une suspicion ou d’un acte de bioterrorisme (mesures sanitaires, prévention, surveillance, alerte, etc.).
Pour se préparer concrètement au risque biologique, les pompiers peuvent se former aux risques « NRBC » (les risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques). Toutefois, le risque biologique est actuellement défini comme une sous-catégorie du risque chimique dans ces formations. « Le risque biologique […] ne fait pas l’objet de formations dédiées » explique un groupe de pompiers dans un article récent.
Dans cette publication, les pompiers estiment que malgré leurs formations, il y a toujours un « manque de connaissances […] corrélé à la difficulté de perception du risque et à l’absence de doctrines ». Ceci rend difficile l’identification d’un risque biologique.
Un projet franco-allemand incluant scientifiques et pompiers
Comment peut-on détecter la présence d’un virus ou d’une bactérie ? Comment décontaminer des surfaces potentiellement contaminées par ces derniers ? Comment rendre opérationnels sur le terrain les gestes et procédures à suivre pour faire face au risque biologique ?
Ces questions sont au cœur d’un vaste projet franco-allemand intitulé Mesures de décontamination visant à restaurer les installations et l’environnement après une libération naturelle ou volontaire de microorganismes pathogènes. Le projet ne rassemble pas seulement des scientifiques de différentes disciplines, comme des biologistes et des sociologues, mais aussi, et surtout, il intègre les primo-intervenants : les sapeurs-pompiers.
Le scénario d’un cas d’Ebola en juillet 2024, durant les JO…
Pour se préparer aux risques biologiques, les pompiers peuvent mobiliser un allié utile : les scénarios. Dans le cadre du projet mentionné, j’ai pu suivre la genèse d’un tel scénario et pu l’observer en action. Le script du scénario est le suivant :
On est à l’été 2024, les Jeux olympiques ont lieu et il y a un pic d’Ebola dans certains pays. Comme le risque d’attentats est important et que les feux de forêts sont plus fréquents en été, les pompiers français sont épaulés par leurs collègues allemands.
Le 31 juillet 2024, l’aéroport de Marseille alerte les pompiers, car le passager d’un vol Paris-Marseille présente des symptômes sévères de fièvre hémorragique. On suppose qu’il a contracté la maladie d’Ebola. S’en suit toute une chaîne d’opérations faisant intervenir les sapeurs-pompiers français et allemands : prise en charge et évacuation de la victime dans un sarcophage, sécurisation de la zone d’intervention, détection de l’agent biologique, décontamination de différentes surfaces…
Un exercice sur le terrain, bien loin des imaginaires des films
Entre le scénario version papier et le scénario grandeur nature qui s’est déroulé sous mes yeux, l’écart fut important. Le scénario a dû être adapté aux réalités du Centre de formation des sapeurs-pompiers des Bouches-du-Rhône, situé à Velaux, où l’exercice final s’est déroulé le 1er mars 2024.
Pas d’aéroport, pas d’avions, pas d’hôpital en vue. Au lieu de cela, une version recomposée et réduite de cette réalité, avec une ambulance, une victime jouée par un sapeur-pompier, des tentes et différents équipements. Au lieu du virus d’Ebola, des chercheurs de l’Institut Pasteur ont déposé un virus inoffensif pour l’humain.
On est loin de la scénarisation du risque biologique dans la culture populaire (comme dans les films L’armée des 12 singes ou 28 Jours plus tard ou le jeu vidéo Resident Evil). Dans le scénario élaboré par les pompiers, il n’y a pas de héros, pas de société entière à sauver, pas de personnes malveillantes qui relâchent des microorganismes.
Transformer l’urgence en une « caractéristique normale de la vie »
Mises à part ces adaptations, les pompiers ont toutefois « joué le jeu ». Ils et elles ont réalisé le zonage pour sécuriser un certain périmètre, ont enfilé leurs combinaisons de protection et ont fait des prélèvements (voir la vidéo ci-dessus). Pour décontaminer, ils ont testé une nouvelle mousse de décontamination développée par le CEA avec un partenaire industriel.
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L’exercice a permis de normaliser et d’anticiper le risque biologique car, de façon générale, ce type d’exercices transforme l’urgence comme intervalle et « champ d’action distinct » en une « caractéristique normale de la vie […] qu’il faut anticiper et à laquelle il faut se préparer ».
Ce faisant, l’exercice présente l’avantage de combiner deux types de savoirs : les savoirs théoriques, transmis lors de formations et via des textes comme le Guide national de référence risques chimiques et biologiques, et les savoirs tacites qu’il faut apprendre « sur le tas », comme la maîtrise d’équipements techniques ainsi que le fait de savoir mettre et enlever une combinaison.
Du réel et du fictif
Trois choses m’ont surpris pendant mes observations. Premièrement, l’exercice était à la fois réel et fictif. Réel, car il s’agissait de vrais pompiers manipulant et testant de vrais équipements, tout en prenant l’exercice très au sérieux.
Mais l’exercice était aussi fictif, car le virus présent était inoffensif et l’aéroport de Marseille réduit à un élément discursif. L’exercice présentait une version réduite et simplifiée du scénario – une « version de l’urgence », pour reprendre les termes de deux géographes.
Tous les éléments étaient préconfigurés et disciplinés, sauf un : le vent. Ce dernier a partiellement détruit une tente et a rendu le zonage difficile. « S’il y a du vent, comme aujourd’hui, il peut être difficile d’installer le zonage. Mais le vent c’est le chef, il faut donc s’adapter », expliquait la capitaine Diane Borselli au public. Même lors d’un exercice dans un centre de formation, l’imprévisible et la nature peuvent faire irruption.
Quand la rapidité des gestes d’intervention côtoie la lenteur du déshabillage
Deuxièmement, les gestes des pompiers étaient maîtrisés et rapides. L’organisation était quasiment militaire. Tous les gestes étaient rapides, sauf les gestes pour enlever les combinaisons de protection.
Comparé aux autres gestes, on avait l’impression d’assister à une scène au ralenti. La raison de cette « lenteur » ? Afin d’enlever une combinaison potentiellement contaminée, il faut l’enlever en « peau de lapin », c’est-à-dire en déroulant délicatement la combinaison de l’intérieur vers l’extérieur.
Dernière surprise, dans mes observations, très peu d’éléments se rapportent à la culture du risque, l’identité sociale et la psychologie des pompiers.
En effet, les préoccupations traditionnellement mises en avant dans les travaux en sciences humaines et sociales sur les pompiers n’étaient que peu perceptibles durant l’exercice. Car pour se préparer aux risques biologiques atypiques, les pompiers se posent une question, elle aussi, atypique : Comment construire une fiction réaliste et comment s’équiper et s’entraîner pour y faire face ?
Le programme « Mesures de décontamination visant à restaurer les installations et l’environnement après une libération naturelle ou volontaire de microorganismes pathogènes – DEFERM » est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. L’ANR a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.
Morgan Meyer, Directeur de recherche CNRS, sociologue, Mines Paris – PSL
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.