Guerre mondiale, Kurdistan, Indochine, commando Kieffer. Aperçu des livres de la semaine.
Génocide
Nina Valbousquet, Les âmes tièdes. Le Vatican face à la Shoah, La Découverte, 2024, 26€.
L’ouverture, en 2020, des archives vaticanes consacrées au pontificat de Pie XII a suscité un immense intérêt médiatique de la part de ceux qui pensaient y trouver des faits nouveaux. Quatre ans après le début de cet accès, les chercheurs livrent leurs premières conclusions qui sont beaucoup moins sensationnelles qu’espérées. Dans les grandes lignes, les archives nouvellement accessibles n’apprennent rien de plus que ce qui était déjà su grâce notamment à des ouvertures partielles antérieures. En revanche, ces documents permettent de préciser certains points, de compléter des sujets, d’affiner la connaissance d’une période de l’histoire relativement courte (quatre ans), mais qui suscite des publications et des controverses nombreuses. De l’action de Pie XII au sujet du génocide des juifs, on connait déjà beaucoup : l’accueil des victimes, les réseaux de résistance aidés, les combats contre le nazisme commencés dès les années 1930, le rôle important joué par le Saint-Siège pour sauver des victimes du massacre. Les archives désormais accessibles permettent de compléter ces éléments et d’approfondir la connaissance d’un sujet déjà largement labouré.
L’intérêt du livre de Nina Valbousquet, qui a travaillé sur les archives Pie XII dès 2020, est d’apporter des éclairages nouveaux sur l’aide apportée par Pie XII et sur les sauvetages organisés par le Vatican. Il est intéressant aussi par la méthodologie employée : l’auteur ne se focalise pas uniquement sur le pape, mais sur le Vatican et ses réseaux. Elle montre ainsi que, comme pour tous les États, il y a des avis et des directions parfois contraires, voire contradictoires. Certains prélats ont pu être dubitatifs quant à l’action menée par Pie XII, d’autres la freiner. Les sentiments et les avis des uns et des autres évoluent durant le conflit et au fur et à mesure que l’ampleur du massacre des juifs est connue.
L’ouvrage est donc intéressant et apporte des précisions et des compléments utiles sur un sujet qui a pourtant été largement traité. Avec deux limites toutefois. Un regard qui est souvent téléologique, c’est-à-dire que les événements du passé, et singulièrement cette période complexe, sont regardés avec les sentiments d’aujourd’hui. Impossible de prévoir en 1938 que les législations anti-juives allaient aboutir à un génocide sans précédent. Impossible également, même avec des témoignages et des documents, de comprendre l’ampleur du massacre en cours et qui ne fut réellement perçu qu’après le conflit terminé.
Deuxième écueil, mais qui touche souvent tous les livres qui traitent de la Seconde Guerre mondiale, celui de la focalisation excessive. Pour les contemporains de la guerre, le massacre des juifs est un événement enchâssé dans un événement plus grand qui est la guerre mondiale. La diplomatie du Saint-Siège, comme les autres diplomaties, doit donc aussi se soucier des combats en cours, des renversements d’alliance, des bombardements des villes, des drames vécus par les civils. La guerre est un tout et pour mettre un terme au massacre des juifs comme aux souffrances des populations civiles, Pie XII est convaincu qu’il faut d’abord arrêter le conflit. Là réside le cœur de son action. Ce livre est une brique, importante et utile, qui, associé à d’autres ouvrages, permet de mieux comprendre cette période.
Ghassemlou, l’anti Ocalan ?
Carol Prunhuber, L’impossible Kurdistan, du rêve inachevé à l’assassinat du leader kurde Ghassemlou, Perrin, 2024, 26€.
Si le nom d’Abdullah Ocalan évoque une figure majeure du mouvement national kurde, celle d’Abdul Rahman Ghassemlou a été éclipsée depuis sa disparition brutale à Vienne en 1989. Leader kurde d’Iran, Ghassemlou a lutté toute sa vie pour regrouper les Kurdes – répartis principalement entre la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie – dans un même État. Secrétaire général du Parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI) de 1973 à 1989, il devient une figure incontournable de la résistance aux régimes autoritaires iraniens – celui du shah Mohammad Reza Pahlavi d’abord, puis celui de l’ayatollah Khomeini dès 1979.
La journaliste et écrivaine vénézuélienne Carol Prunhuber, retrace le récit palpitant de ce leader, charismatique et idéaliste, assassiné par les services secrets iraniens à Vienne alors qu’il participait à des négociations de paix. L’auteur, qui avait connu Ghassemlou dans les montagnes du Kurdistan et à Paris, a fait paraître cette biographie aux États-Unis en 2019. L’auteur tente notamment de répondre à ces trois questions : pourquoi ce meurtre a-t-il été orchestré ? En quoi Ghassemlou constituait-il une menace pour la République islamique ? Cet acte terroriste aurait-il pu être évité ?
Frisant l’hagiographie, cet ouvrage volumineux aux allures d’enquête policière non seulement rend hommage à la mémoire d’un grand nom du mouvement national kurde transnational, mais aussi nous donne à connaître la question kurde vue d’Iran.
Tigrane Yégavian
Bataille
Jean-François Vivier, Francesco Rizzato, Les grandes batailles de l’histoire de France: Diên Biên Phu, 1954, Éditions Plein Vent, 2024, 15,90€.
Entre novembre 1953 et mai 1954, le camp retranché de Diên Biên Phu fut le théâtre de batailles féroces opposant les troupes françaises à l’armée populaire du Viêt-Minh.
C’est dans la région reculée du nord-ouest du Vietnam que le courage et l’héroïsme des forces françaises s’illustrèrent pendant 56 jours de combats acharnés qui ont marqué la plus glorieuse des défaites françaises du XXe siècle. À l’occasion du 70e anniversaire de la bataille, l’ouvrage rend hommage aux combats et aux actes d’héroïsme des légionnaires, Africains, Nord-Africains ou encore Vietnamiens qui ont combattu pour la France à Diên Biên Phu.
Après Austerlitz, 1815, Verdun, 1916 puis Bir Hakeim, 1942, c’est une nouvelle grande bataille de l’histoire de France qui est ici illustrée en bande dessinée, retraçant l’incroyable épopée des soldats français qui ont su faire le sacrifice ultime à des milliers de kilomètres de la métropole.
Bataille bis
Commandant Philippe Kieffer, présenté par Benjamin Massieu, Béret vert, Éditions Pierre de Taillac, 2024.
Publié une première fois en 1948, Béret vert est le témoignage de Philippe Kieffer, le chef des « héros Français du jour le plus long », ces fameux commandos aux bérets verts.
Issus du 1er bataillon de fusiliers marins commandos, les bérets verts sont formés en Écosse, sur le camp d’entraînement Commandos d’Achnacarry, à partir de l’année 1942. Mais leur heure de gloire ne vient que quelques années plus tard, à l’occasion du débarquement du 6 juin 1944, où environ 200 commandos français débarquent aux côtés de leurs alliés américains, britanniques et canadiens sur les plages normandes. Fort d’un courage et d’une audace hors du commun, ils incarnent l’idéal du commando marine et se forgent la réputation d’une troupe d’élite, reconnue par son béret vert symbolique.
Écrit peu après la guerre, cette nouvelle édition de l’œuvre du commandant Philippe Kieffer, mort il y a plus de 60 ans, est un témoignage de ce symbole qui réside aujourd’hui dans les traditions tant réputées des commandos marines, ces hommes au béret vert.
Bataille ter
François Gatineau, 1940, la guerre des Alliés commence en Scandinavie, L’Artilleur, 2024.
C’est au cours de l’hiver 1939-1940, loin des frontières françaises et anglaises, que se joue la première véritable défaite des Alliés. Alors que se profile la « drôle de guerre », les gouvernements alliés, entrés en guerre quelques mois auparavant, doivent agir sur le tout récent front scandinave. Mais, incapables de mettre en œuvre à temps une aide militaire pour sauver la Finlande contre l’invasion russe, ils tourneront leurs efforts vers la « route de fer », voulant par-là couper l’approvisionnement du Reich en minerais de fer provenant de Norvège.
Ce qui ressort de cette opération n’est pourtant que l’illustration de l’inaction et de l’impréparation des forces alliées, qui leur fera accumuler un retard conséquent qui pèsera tout au long du reste de l’année 1940.
Dans cet ouvrage, François Gatineau revient sur les raisons militaires et politiques d’une défaite qui préfigure l’effondrement de l’armée française à partir de mai 1940 à la suite de l’invasion du territoire national par la Wehrmacht.