Bibliothèque d’histoire, Égypte, salafisme, géographie, Proche-Orient, Asie centrale, aperçu des livres de la semaine.
La Bibliothèque à remonter le temps du Cerf
Les éditions du Cerf lancent une nouvelle collection, la « Bibliothèque à remonter le temps », dirigée par Olivier Grenouilleau. Le format et les thèmes traités sont réjouissants et prometteurs.
Une collection consacrée à l’histoire, avec des volumes brefs (125 pages) et traitant de sujets variés. Les quatre premiers titres parus témoignent de cet éclectisme : le général de Gaulle, le néolithique, les dieux égyptiens, les Vikings. Les titres à paraitre sont tout aussi prometteurs. L’objectif affiché est attrayant : faire intervenir les meilleurs spécialistes pour parler de leur sujet de façon claire et concise pour que tous, adolescents ou adultes voulant apprendre puisse lire les ouvrages.
Outre les textes, l’intérêt de la collection réside dans la mise en page, particulièrement soignée. Couverture cartonnée souple, format poche, cartes, croquis, chapitrage rythmé, encadrés. Le livre est aussi plaisant à lire qu’à manier. Cette collection est l’une des belles surprises éditoriales de ce début d’année : l’idée est excellente et tout à fait réussie. Chaque ouvrage apporte l’essentiel à savoir et à comprendre sur une période donnée, servi par un texte exigeant et accessible et une mise en page soignée et ludique qui contribue au charme de la collection. Espérons que celle-ci trouve son public et que d’autres ouvrages puissent paraitre pour constituer ainsi une bibliothèque idéale en histoire.
Chaque volume : 125 pages, 14€.
Frères musulmans
Saraj Ben Néfissa, Pierre Vermeren, Les Frères musulmans à l’épreuve du pouvoir, Égypte, Tunisie (2011-2021), Odile Jacob, 2024, 24,90€.
Que l’on ne s’y trompe pas. Cet ouvrage n’est pas un énième pamphlet journalistique contre la nébuleuse des Frères musulmans, mais un livre de facture académique extrêmement bien argumenté et documenté qui retrace méticuleusement la trajectoire des Frères musulmans au pouvoir en Égypte et en Tunisie. Une approche comparative bienvenue, car elle met en évidence plusieurs points de convergence, à commencer par leur amateurisme et leur mépris pour toute forme d’intelligence et de sens patriotique. Les auteurs montrent à l’envi comment les frères musulmans ont par opportunisme utilisé la fenêtre de tir offerte par les manifestants pro-démocraties pour saisir les principaux leviers du pouvoir via la voie des urnes. Et surtout comment ils ont systématiquement sapé l’État tunisien et l’État égyptien sur le plan institutionnel, économique, social et culturel.
Un bilan calamiteux qui a fait régresser ces pays de plusieurs décennies et aggravé considérablement le malaise des peuples. Pour la première fois un livre explique, détail à l’appui, la stratégie de dissimulation de la confrérie et de la frontière poreuse entre frères musulmans et salafistes djihadistes. Ils dépeignent dans les deux cas des structures à la discipline bien huilée, mais sans élite intellectuelle, sans cadres capables de raisonnement critique. Des hommes et des femmes incapables de vaquer aux affaires de l’État qui ont failli par leur sectarisme et leur impéritie. Une lecture bienvenue qui nous invite à penser un possible aggiornamento des sociétés arabes et musulmanes une fois débarrassées de ce cancer.
Tigrane Yégavian
Géographie
Michel Bruneau, Parcours d’un géographe de transitions, terrain et concepts, L’Harmattan, 2024, 32€.
Cet ouvrage relate, de 1963 à 2023, le parcours de Michel Bruneau, géographe de renom et auteur d’une œuvre importante dans le champ géo-historique. Son œuvre se situe à une période clef de l’évolution de la discipline, puisque l’auteur est passé d’une géographie tropicale classique à une géographie critique à contre-courant dont la dimension géo-historique a été de plus en plus affirmée. C’est là un cas propre à l’école française de géographie qui s’est considérablement renouvelée à la fin des années 1970, notamment grâce à l’apport d’Yves Lacoste et de la revue Hérodote.
Michel Bruneau a construit sa géographie à partir de deux terrains fondamentaux très différents et éloignés, enracinés dans sa biographie familiale et intellectuelle : du monde rural du nord de la Thaïlande à la diaspora des Grecs pontiques. Privilégiant la proximité linguistique et des relations amicales au sein des populations étudiées, il a constamment associé enquêtes, observations de terrain et conceptualisations empruntées ou créées. Les débats et controverses sur sa thèse, sur le tropical en géographie, des épisodes vécus en Thaïlande, Birmanie ou dans le Caucase, émaillent ce texte autobiographique qui a le mérite d’ouvrir de nombreuses perspectives sur l’étude des diasporiques.
Tigrane Yégavian
Israël
Michel Abitbol, Histoire d’Israël, Perrin Tempus, 2024, 14,90€.
Cet énorme pavé paru en édition de poche dans le contexte dramatique actuel constitue une synthèse de référence sur l’histoire d’Israël dans la mesure où il fait le pari de l’exhaustivité pour un large public néophyte et averti, depuis les premières migrations en Terre sainte jusqu’à nos jours.
S’intéressant aux origines de la naissance de cet État proclamé en 1948, Michel Abitbol décrypte l’arrière-plan historique de la déclaration Balfour de 1917 et la résolution de l’ONU du 29 novembre 1947 (préconisant le partage de la Palestine entre un État juif et un État arabe).
L’auteur évoque ensuite les sources du conflit entre les deux peuples, et suit pas à pas l’émergence d’une nation israélienne et d’une culture hébraïque moderne nées du brassage des vagues successives d’immigrants. Le « retour des exilés » – certes marqué par des réussites exceptionnelles – aboutit à des clivages économiques, sociaux, religieux et culturels mettant à mal la cohésion de la jeune société israélienne dans un contexte de guerres meurtrières (la guerre des Six Jours en 1967, ou encore celle du Kippour en 1973). S’appuyant sur des sources variées et solides, Michel Abitbol apporte les éléments indispensables permettant d’appréhender dans toute sa complexité l’histoire d’un État qui avait fait le pari fou de rassembler sur le sol de la Palestine mandataire un peuple dispersé depuis des millénaires, qui malgré l’antisémitisme et la Shoah était loin de répondre aux sirènes du sionisme.
Tigrane Yégavian
Eurasie
Michaël Levystone, Asie centrale. Le réveil, Armand Colin, 2024, 23€.
L’Asie centrale ne fait pas de bruit mais elle court. Jouant des rivalités entre la Russie, la Chine et l’Europe, mettant à profit ses immenses ressources naturelles, affirmant son indépendance stratégique et politique par rapport à la Russie qui a longtemps dominé cet espace, elle est une zone géographique, l’Eurasie, en pleine recomposition.
S’appuyant sur l’histoire, l’économie et les politiques publiques mises en place depuis une vingtaine d’année, Michaël Levystone renouvelle l’approche de cette région centrale. S’il y a bien une seule région, il y a plusieurs pays et l’auteur en montre les différences et les particularités. Agrémenté de nombreuses cartes et tableaux, l’ouvrage est un manuel indispensable pour connaître et comprendre l’Asie centrale d’aujourd’hui. Il est temps car cette zone est de plus en plus importante dans le monde en recomposition.