<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Xavier Driencourt : « La France est de moins en moins crédible diplomatiquement »

8 mars 2024

Temps de lecture : 7 minutes

Photo : Credit:Stephane Lemouton -Pool/SIPA/2402270919

Abonnement Conflits

Xavier Driencourt : « La France est de moins en moins crédible diplomatiquement »

par

Haut fonctionnaire, diplomate, ambassadeur en Malaisie puis à deux reprises à Alger, Xavier Driencourt connaît parfaitement la machine diplomatique française. Les évolutions politiques et la réforme du corps diplomatique discréditent ce levier de puissance essentiel à la France. 

De Westphalie à aujourd’hui, la France a su développer un outil diplomatique performant qui est parvenu à évoluer avec le temps. Quand est véritablement née la diplomatie contemporaine française ?

Notre diplomatie contemporaine est un héritage de l’après-Seconde Guerre mondiale, et du coup de génie, ou de « l’entourloupe » pourrait-on dire, du général de Gaulle en 1945, d’avoir réussi à faire croire que le France faisait partie des vainqueurs. La France Libre ne justifiait peut-être pas cette place immédiatement, et pourtant la France a pu signer l’armistice avec l’Allemagne, et elle s’est retrouvée membre du Conseil de sécurité avec droit de veto. Notre diplomatie actuelle vient de là.

Les fondamentaux de notre diplomatie sont à peu près celles-ci : indépendance, souveraineté nationale, multilatéralisme, confiance dans les organisations internationales, négociations, puis à partir des années 1950, la construction européenne.

Je me souviens qu’un ancien ambassadeur britannique m’avait fait une excellente remarque à ce sujet. Il soulignait que les Français étaient très bons pour lancer des idées, « faire des coups » pourrait-on dire, mais sans parvenir à les concrétiser. Les Anglais, eux, sont moins créatifs, car ils doivent trouver en réunion de cabinet un consensus. C’est une diplomatie plus collégiale, mais ils parviennent à avancer. Dans la Communauté européenne, au cours des années 1990, tous les pays équipaient leurs voitures de phares jaunes. La commission avait décidé un beau jour qu’il fallait des phares blancs. Tout le monde savait qu’optiquement, les phares jaunes sont meilleurs pour les yeux. Mais les Britanniques avaient chez eux des phares blancs et ne voulaient pas les remplacer, donc ils ont réussi à imposer la norme des phares blancs à tout le monde. C’est l’exemple que donnait l’ambassadeur britannique dont je parlais.

Entre 1945 et 2023, y a-t-il eu des évolutions majeures de la diplomatie française ?

Il y a eu deux changements majeurs. Ce sont d’une part l’hyperprésidentialisation, et d’autre part les moyens de communication immédiats. Du temps du général de Gaulle, le principe était le domaine réservé, alors qu’aujourd’hui le président gère tout. Les ambassadeurs n’ont évidemment plus le monopole de l’information qu’ils avaient jusqu’aux années 1970. L’immédiateté de l’information alimente aussi l’hyprésidentialisation. La « diplomatie du tweet » change tout. Le 7 octobre, Emmanuel Macron a immédiatement annoncé sur « X » qu’il allait lancer une coalition anti-Hamas, sur le modèle de la coalition anti-Daesh. Le Quai d’Orsay a dû préciser que ce n’était pas son point de vue. Les effets de ce type d’annonces impulsives peuvent être désastreux.

A lire également

Changement de logiciel de la diplomatie française.

On peut se demander à quoi servent aujourd’hui les diplomates. Le président de la République nomme les ambassadeurs en conseil des ministres sur proposition du ministre des Affaires étrangères. Les diplomates traitent de plus en plus directement avec l’Élysée. Ce n’était pas le cas lorsque j’étais ambassadeur en Malaisie, il y a 25 ans. J’ai découvert le changement en Algérie, sous Sarkozy, et la tendance s’est accélérée pendant le mandat d’Emmanuel Macron. Le président négocie, s’appuie sur sa cellule diplomatique. Le Quai d’Orsay alimente en information l’Élysée, mais j’ai l’impression que cela tourne un peu dans le vide. Les ministres des AE sont des hommes ou des femmes auxquels on demande d’être aligné uniquement sur la parole présidentielle. Maurice Couve de Murville avait, dans un contexte proche, davantage de poids me semble-t-il.

Si le quai d’Orsay est de plus en plus écarté, il y a aussi de nombreuses autres voix qui influencent la diplomatie française. Les ONG, par exemple, et les acteurs non étatiques en général ont-ils profondément changé la diplomatie ?

Les ONG influencent fortement la diplomatie. C’est aussi le cas de personnages satellites, comme Bernard-Henri Lévy, qui se prend j’ai l’impression, pour un second ministre des Affaires étrangères. Alain Juppé le raconte très bien dans son livre de mémoires, c’est au cours d’une réunion à Bruxelles qu’il a appris la décision du Président Sarkozy de bombarder la Libye, sur le conseil de BHL. Les ONG, les satellites comme BHL, et l’opinion influencent la diplomatie française comme jamais auparavant et la rendent beaucoup plus compassionnelle.

Et le multilatéralisme, grande évolution de l’après-Seconde Guerre mondiale ?

Le multilatéralisme a aussi changé les choses. La France doit négocier doublement, il faut discuter au sein de l’Union européenne souvent et à l’ONU. Le temps du « machin », selon l’expression du général à l’égard de l’ONU, est terminé. Cet organisme est devenu central.

Le troisième grand changement dans la diplomatie, (après les deux changements évoqués, l’hyperprésidentialisation et la révolution des communications) qui date en fait de la guerre en Ukraine, est ce que l’on appelle le « Sud Global ». Ce n’est pas autre chose que la remise en cause du statu quo hérité de 1945. Le « Sud Global », composé de tous les pays qui pèsent de plus en plus lourd sur la scène internationale (Inde, Brésil, Nigéria, Indonésie, etc), appuyés par la Chine et la Russie réclame de repenser l’organisation issue de la seconde guerre mondiale.  Il y avait bien les 77 ou les Non-alignés, mais je pense que les pays du « Sud global » ont des vues plus radicales sur l’ordre international né de la victoire de 1945. Et ces revendications ne laissent pas l’Allemagne ou l’Italie indifférentes.

A lire également

Rassembler sans s’allier. L’évolution des exercices conjoints dans la diplomatie navale de l’Inde en Indopacifique

Depuis 1945, la situation a bien changé. Si la France était parvenue à se classer parmi les vainqueurs, sa place parmi les grands leaders mondiaux est de moins en moins pertinente. La France doit montrer en permanence qu’elle est « à la hauteur » de son siège de membre permanent. La fragilité de la position française oblige les diplomates français à être meilleurs que tous les autres. Le contre-feu que nous avons a allumé est de réformer le conseil de sécurité et de l’élargir. On ne veut pas européaniser notre place (d’abord parce que juridiquement cela serait impossible ou très compliqué), donc nous cherchons à augmenter le nombre de membres permanents. Sauf que personne n’est d’accord. Il est question d’offrir deux places pour le continent africain, idem pour l’Asie et l’Amérique du Sud, mais quel pays siègeront ? En Europe, l’Allemagne pourrait avoir un siège, mais l’Italie estime n’être pas moins légitime… Après avoir avancé l’idée de l’élargissement, il faut se poser la question des variantes. Par exemple, les nouveaux arrivants auront-ils un droit de veto ? Le projet de révision de la charte de l’ONU patine depuis 20 ans, mais la France est le pays qui remet le sujet en permanence sur la table. Comme l’ONU est peu représentative et paralysée – on l’a vu très récemment au Proche-Orient d’autres instances émergent : G7, G20, BRICS, etc.

Y-at-il une relation entre multilatéralisme et hyperprésidentialisation ? Le président s’occupe des relations bilatérales, tandis que les diplomates, en spécialistes, agissent dans les organisations internationales ?

Je ne crois pas qu’il y ait de lien. La différence est entre la technicité et le politique. Il faut connaître le fonctionnement des instances, bien sûr, mais la cellule diplomatique est devenue de plus en plus performante au fil des années. Le président peut aussi compter sur de nombreux acteurs qui l’orientent : son cabinet, le quai d’Orsay, la DGSE, l’armée, etc. L’hyprésidentialisation est ressentie à tous les niveaux.

Question plus personnelle, comment jugeriez-vous la diplomatie française actuellement ?

Nous sommes encore dans cette ère des concepts. La France lance des idées, mais elle est de moins en moins crédible. D’abord parce que les idées ne sont pas concrétisées, et puis parce qu’il est difficile d’être diplomatiquement crédible lorsqu’on traîne une dette de 3 mille milliards d’euros. Comment prétendre faire la leçon au monde ? Les États d’Europe ne prennent pas vraiment au sérieux les grands plans que proposent les Français. On voit que même les pays comme le Sénégal, les États du Sahel, etc, nous lâchent à l’ONU, nous sommes de plus en plus isolés.

A lire également

100 ans de multilatéralisme à Genève, de la SDN à l’ONU

On dit souvent que le ministère des Affaires étrangères est le ministère de la parole. Les mots en effet, comptent. Quand madame Alliot-Marie en 2011, alors ministre des Affaires étrangères, avait dit que les premiers évènements au début des printemps arabes n’étaient pas graves et que la France allait envoyer des policiers pour montrer comment réprimer les manifestations, il y a eu un tollé. Ces mots malheureux ont conduit à sa chute. Lorsque monsieur Séjourné a dit, à propos des deux humanitaires français morts dans une attaque de drones, « la Russie devra répondre de ses crimes », ce n’est pas dans l’esprit de la diplomatie. Il faut faire attention aux mots prononcés. Bismarck avait parfaitement choisi les termes de la dépêche d’Ems pour provoquer la France. Le « ministère de la parole » ne peut pas résumer une pensée profonde dans un tweet parce que justement la parole et le choix des mots sont importants. En diplomatie, il faut dire les choses, clairement et de manière pédagogique.

La dette pèse lourd sur l’image diplomatique de la France, l’insécurité et les troubles internes au pays aussi ?

Je ne saurais pas dire s’il y a un lien immédiat ; au niveau européen les pays ont à peu près les mêmes soucis. Tout le monde a un problème entre politique extérieure et politique intérieure.

On a pu voir au moment de la crise migratoire entre la Grèce et la Turquie, les Loups Gris descendre dans la rue en France et mettre la pression aux autorités. On pense également à la guerre entre Israël et le Hamas, où la prise de position de la France lui coûte des manifestations et des attentats. La France a-t-elle encore les moyens de mener une politique étrangère ?

Bien sûr, les choix politiques concernant l’immigration ont un effet sur la politique extérieure. Le refus de la France à dénoncer l’accord avec l’Algérie de 1968 repose aussi sur des considérations de politique intérieure. Paris craint de provoquer la communauté algérienne de France. L’immédiateté de l’information a aussi beaucoup changé les choses. Si la France défend une position internationale défavorable à tel ou tel pays, la diaspora, aussitôt au courant, réagit.

En 2022, le corps diplomatique a subi une réforme radicale puisqu’il a été tout bonnement supprimé. Quelles seront les conséquences de cette réforme ?

La suppression du corps diplomatique va rendre le quai d’Orsay moins attractif et surtout risque de provoquer trois effets :

1/ une politisation des diplomates, comme aux États-Unis ;

2/ un copinage entre les réseaux politiques ou autres dans les nominations, « copinage ou cooptation à la française » qui avait été combattu avec la création de l’ENA en 1945. Il y a encore aujourd’hui une professionnalisation des nominations, mais l’effet de la réforme de 2022 se fera sentir dans les années à venir.

3/ Enfin, troisième conséquence, un manque d’expertise sur certaines régions ou thématiques, dans les langues et les civilisations rares. L’objectif de cette soi-disant réforme de la fonction publique était de mettre « tout le monde dans la même boîte », partant de l’idée que tous sont interchangeables. Chacun peut s’improviser directeur d’hôpital, préfet, directeur des finances publiques, ambassadeur Ces idées valaient, à une époque qui demandait moins de spécialistes, mais les temps ont changé. Emmanuel Macron n’apprécie peut-être pas les diplomates, mais il aurait sans doute dû réformer la magistrature en priorité. C’est la vieille rengaine de Bercy envers les diplomates, qu’ils considèrent comme un corps de privilégiés. Il y avait sûrement des choses plus urgentes à faire que supprimer le corps préfectoral et le corps diplomatique.

A lire également

De l’Algérie de Bouteflika à l’Algérie de 2023: la permanence du système politique

Mots-clefs : ,

Temps de lecture : 7 minutes

Photo : Credit:Stephane Lemouton -Pool/SIPA/2402270919

À propos de l’auteur
Xavier Driencourt

Xavier Driencourt

Xavier Driencourt est diplomate. Il a notamment été ambassadeur de France en Algérie.
La Lettre Conflits
3 fois par semaine

La newsletter de Conflits

Voir aussi

Pin It on Pinterest