Babylone, Égypte, roman, géopolitique, démocratie. Aperçu des livres de la semaine.
Babylone
Josette Elayi, L’Empire babylonien, entre haine et fascination, Paris, Perrin, 2024, 23€.
Qui s’intéresse à l’Empire babylonien se heurte rapidement à un paradoxe : ce très court empire (il n’a duré que quatre-vingt-sept ans, entre 626 et 539 av. J.-C.) a laissé un souvenir impérissable, quand beaucoup d’autres – pourtant plus longs – sont tombés dans l’oubli.
La tour de Babel, mentionnée dans la Bible, la grande et prestigieuse cité de Babylone continuent d’exercer une fascination certaine dans notre imaginaire. Pour expliquer cette mémoire si vivace 2 500 après, l’auteur retrace son histoire revenant sur la formation du royaume, qui succède à l’Empire assyrien avec la prise de pouvoir de Nabopalassar, son apogée et sa chute, conséquence de la victoire de l’armée perse de Cyrus. Elle décrypte également le fonctionnement de cet empire, sa religion et sa culture. Une attention particulière est accordée au roi Nabuchodonosor, conquérant de Jérusalem d’où il déporta les Judéens à Babylone, ainsi qu’à son prédécesseur Nabopolassar, fondateur de l’empire babylonien. De sorte que les Babyloniens jouissent d’une réputation exécrable de férocité et de débauche qui leur a valu une légende noire à la peau dure.
Rédigée par une historienne éminente spécialiste des langues de l’Orient antique et des mondes assyrien et phénicien, cette synthèse didactique agrémentée de cartes et d’une chronologie des rois babyloniens fait œuvre utile en dévoilant les pages méconnues de cette civilisation antique. Elle s’attache sur la dimension socio-économique de cet empire, en rappelant le contexte de sa formation sur les décombres de l’Empire assyrien, qui fit l’objet d’une remarquable étude de l’auteur, venant de paraître en poche (Histoire de l’Empire assyrien, Perrin/ Tempus, 346 pages, 9€).
Tigrane Yégavian
Egypte
Stéphane Lacroix, Le crépuscule des Saints, Histoire et politique du salafisme en Égypte, CRNS éditions, 2024, 26€.
En l’espace de quelques décennies, le paysage islamique de l’Égypte s’est profondément métamorphosé, d’un islam populaire et plutôt tolérant de tendance soufie a succédé une lecture plus rigoriste, marquée par les canons du salafisme, ce courant sunnite défendant une lecture littérale du Coran émanant de l’école juridique hanbalite.
Comment dès lors expliquer qu’Égypte, en l’espace de quelques décennies, un changement religieux aussi profond ait pu se produire ? Et aussi comment penser la relation que le salafisme entretient avec le politique comme l’atteste l’entrée dans le jeu politique égyptien du parti salafiste Al Nour dans le sillage des printemps arabes ? L’ouvrage de Stéphane Lacroix s’attache à présenter diverses expressions politiques du salafisme en Égypte, du salafisme quiétiste au salafisme révolutionnaire.
L’auteur s’attache à montrer comment le salafisme a acquis en l’espace de près d’un siècle (1920-2011), une position de quasi-hégémonie normative dans le champ religieux égyptien, bien distinct de leurs rivaux, les Frères musulmans. Il fait parler les textes de la riche littérature salafiste, discute le discours normatif et l’idéal de pureté religieuse que pose le salafisme.
Issu d’une enquête de terrain menée dans le sillage du printemps égyptien, cette étude socio–historique apporte un éclairage précieux sur les mutations de l’islam égyptien et la façon dont les salafistes ont été un acteur central de la transition démocratique étouffée par la prise de pouvoir du maréchal Sissi.
Tigrane Yégavian
Père et fils
Erri De Luca, Le tour de l’oie, Gallimard, Folio, 2019, 7.8€.
Un roman de gare, car c’est ainsi qu’il fut découvert : acheté à la gare. Un titre curieux, expliqué à la fin de l’ouvrage. Une histoire qui n’en est pas vraiment une. L’histoire d’Erri De Luca, une histoire qui aurait pu être, mais qui n’a pas existé. Alors, l’écrivain la crée et la raconte. Une histoire de luttes syndicales et d’amour, comme souvent chez Erri de Luca. Une histoire de père et de fils. Erri De Luca crée un genre nouveau : l’autobiographie qui aurait pu exister.
Il s’agit d’un dialogue entre l’homme et le fils qui n’est pas né, parce qu’avorté par la femme que le jeune homme a aimée. De ce drame des origines, l’homme n’est jamais devenu père. 40 ans après, et alors que le père aurait approché les 70 ans, il se souvient et imagine la conversation qu’il aurait pu avoir avec son fils. Au coin de la cheminée, dans une maison de pierres, l’auteur évoque Naples et la montée du Vésuve, ses relations tendues avec son propre père, le grand-père, les luttes politiques des années 1980, la prison, le dénuement, la faim, la littérature et le pouvoir des mots. Le fils a été conçu, mais il a été tué. Et alors qu’il aurait pu avoir 40 ans, celui qui aurait dû être son père renoue le lien du passé. C’est le tour de l’oie : on avance de case en case et le dé décide du sort.
Bref, dense, posé. La quintessence de l’art d’Erri De Luca.
Géopolitique
Florian Louis, Les grands théoriciens de la géopolitique, 4e édition, Puf, 2020, 16€.
Paru en 2014, l’ouvrage a connu plusieurs rééditions jusqu’en 2020. C’est le manuel idéal et indispensable pour tous ceux qui s’intéressent à cette discipline : tout étudiant en géopolitique devrait commencer par cet ouvrage. Il y a, de façon synthétique, les bases épistémologiques de la discipline, les grands auteurs, les débats et les courants d’idées. L’ensemble est composé de cartes et de bibliographies qui permettent d’approfondir les textes. Ecole française, anglo-saxonne et allemande, débats actuels, du choc des civilisations à la géoéconomie. Un manuel de base, indispensable.
Démocratie
Jacques Myard, Bye bye démocratie, Lafont Presse, 2023, 15€.
Ancien diplomate, député de la nation pendant près de 25 ans, maire de Maisons-Laffitte, Jacques Myard connait le fonctionnement politique de l’intérieur. Or celui-ci ne permet plus l’expression de la démocratie : le peuple n’est plus consulté par référendum, et quand il donne son avis celui-ci n’est pas respecté. La nation est fragilisée, la chose commune est négligée. Or ces deux éléments sont les socles des libertés et de l’indépendance nationale. Fort de ses années d’expérience politique, Jacques Myard dresse le bilan sans concession de la dissolution de la démocratie et les éléments à restaurer pour la retrouver.