<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Le Soudan renoue avec la violence

14 mars 2024

Temps de lecture : 7 minutes

Photo : Des réfugiés fuient Khartoum et ses combats. (AP Photo, File)/TKHK305/23193386250418/FILE PHOTO/2307121248

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Le Soudan renoue avec la violence

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Les chiens de la guerre se sont déchaînés à nouveau dans les savanes et les plateaux de ce pays déjà si durement éprouvé par la violence depuis des décennies. D’intenses combats ont en effet éclaté le 15 avril 2023, entre les forces paramilitaires, la Rapid Support Forces (RSF,) du général Mohamed Hamdane Dagalo, mieux connu comme Hemedti, et l’armée régulière, les Forces armées soudanaises (FAS), dirigées par le général Abdel Fattah al-Burhan, qui se partageaient le pouvoir. 

Article paru dans le numéro 50 de mars 2024 – Sahel. Le temps des transitions.

Depuis son indépendance vis-à-vis de la Grande-Bretagne et de l’Égypte en 1956, le Soudan, un des cinq riverains de la mer Rouge, entouré de sept pays, et situé à la jointure de la Corne de l’Afrique et de la bande saharo-sahélienne, a vécu une histoire émaillée de conflits armés et de coups d’État. D’après des recherches du Center for Systemic Peace (CSP), ces événements d’avril 2023 représenteraient la 36e tentative de putsch (incluant les complots déjoués) de l’histoire du pays. Depuis le 15 avril, « environ 7 millions de personnes ont été déplacées, et 1,4 million d’autres personnes ont pris la fuite pour le Tchad, ce qui constitue le plus important déplacement au monde », plongeant le pays dans la pire crise humanitaire de son histoire, selon Clémentine Nkweta-Salami, coordonnatrice de l’action humanitaire de l’ONU au Soudan. 

L’espoir né de l’éviction d’Omar el-Bashir s’est rapidement volatilisé

En 2019, le départ du général Omar el-Bashir, à la tête du pays depuis 1989, qui avait été en 2009 le premier chef d’État inculpé de crime contre l’humanité et de crimes de guerre par la Cour pénale internationale, apporta une maigre lueur d’espoir. Un accord de paix forgé en 2020 fit entrer des représentants des rebelles du Darfour au sein d’un gouvernement de coalition promettant une répartition plus équitable des richesses et le retour des domaines spoliés à leurs propriétaires. On oublia les crimes de guerre et les accusations de génocide, et la MINUAD (Mission conjointe des Nations unies et de l’Union africaine au Darfour) mit fin à sa mission qui avait duré treize ans. Deux années plus tard, ce processus de restauration démocratique fut interrompu par le coup d’État perpétré de concert, le 25 octobre 2011, par les deux dirigeants des RSF et des FAS. Comme le dit un proverbe africain, deux crocodiles ne peuvent coexister dans le même marigot. Au fil du temps, les brèches de leur union sont apparues au grand jour, Mohamed Hamdane Dagalo dénonça l’échec du putsch du 25 octobre 2021, qui aurait réinstauré « l’ancien régime » d’Omar el-Bechir.

La guerre civile actuelle est en fait constituée d’une pile de conflits. Le principal oppose les FAS à la RSF dont les combats ont détruit une partie de la capitale, Khartoum, désormais aux mains des RSF. Les soldats ont attaqué les installations de télécommunications afin de couper les liaisons avec l’extérieur. Ces affrontements se sont propagés dans le reste du pays : leur ampleur peut être évaluée par les incendies qui se sont répandus dans les villages, ce que mesure quotidiennement une agence de la NASA, la société FIRMS, qui a repéré des brasiers près des cimenteries, des centrales thermiques, des implantations pétrolières et autres infrastructures vitales. Elle a enregistré cinq fois plus de feux que durant la période 2013-2022. 

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Nouveau génocide au Darfour ?

Les combats les plus durs qui se sont déroulés à El-Geneina, à la frontière entre le Darfour et le Tchad, ont fait resurgir le spectre du génocide au Darfour (le premier du xxie siècle). En effet, lorsqu’en 2003 des groupes armés issus des tribus africaines noires se sont soulevés contre le gouvernement de Khartoum dominé par les Arabes, celui-ci leur a opposé des milices arabes, dénommées les Janjawid (« diables à cheval »). Ces dernières, commandées par Muhammad Hamdan Dagalo, se déchaînèrent contre les habitants noirs, brûlant les maisons, assassinant les résidents et saisissant leurs terres. Dans les années qui suivirent, 2,7 millions de personnes prirent la fuite, 300 000 périrent, dont 80 % de faim ou de maladie. Les États-Unis et plusieurs ONG déclarèrent que ces actions équivalaient à un génocide, bien qu’un rapport du secrétariat de l’ONU affirmât que l’élément crucial du génocide, à savoir l’intention génocidaire, n’était pas « prouvé ». En 2007, l’ONU et l’UA déployèrent une mission de maintien de la paix (MINUAD) qui calma un peu le déferlement de violence.

Aussi, quand la brutalité perpétrée par les RSF, issus largement des Janjawid, s’est déchaînée à nouveau au printemps 2023 contre les populations du Darfour – l’armée soudanaise s’étant retirée des lieux – ciblant la tribu des Masalit, l’intention génocidaire est apparue plus clairement comme l’a estimé Kholood Khair, membre du think tank Confluence Advisory. Lorsque le 14 juin 2023, le gouverneur du Darfour occidental fit appel à l’aide étrangère, il fut assassiné le lendemain. 180 000 membres de la tribu des Masalit s’enfuirent au Tchad, entre 1 500 et 5 000 ayant été massacrés dans les premiers jours de l’attaque des RSF. C’est l’or, dont les principales mines sont situées au Darfour, qui est le carburant du conflit. Hemedti, originaire de cette région, qui a acquis la maîtrise du trafic du métal précieux, est devenu l’homme le plus riche du pays. L’intérêt que portent la Russie et des EAU pour l’or explique en partie leur appétit pour le Soudan. Le groupe Wagner, qui y contrôle une importante raffinerie d’or, s’est enrichi grâce à des concessions aurifères au Soudan, note le Middle East Eye. Les données de la Banque centrale soudanaise divulguées à CNN suggèrent que pas moins de 32,7 tonnes d’or manquaient à l’appel en 2021, citant la contrebande de Wagner comme première source de ce déficit. Wagner a aussi livré des missiles aux RSF selon les informations de CNN. On l’a vu, la Russie a également un intérêt géostratégique dans le pays, et elle souhaite construire une base navale à Port-Soudan.

Cette fois-ci, les RSF ne sont pas équipés seulement de kalachnikovs, mais possèdent aussi des mitrailleuses et des lance-roquettes. Il est entendu que les EAU leur ont fait parvenir des armes via le Tchad, dont le consentement a été acquis au moyen d’un prêt de 1,5 milliard de dollars. Le ministère soudanais des Affaires étrangères a, de ce fait, déclaré à la mi-décembre 2023 15 diplomates émiratis persona non grata. 

Le général al-Burhan mise sur la diplomatie

À la fin août 2023, le commandant en chef de l’armée s’est rendu à El-Alamein, où il a été reçu par son allié de longue date, le président Abdel Fattah al-Sissi, avant de rencontrer ses homologues sud-soudanais, turc et qatarien. En allant à l’Assemblée générale des Nations unies fin septembre, Abdel Fattah al-Burhan y a dénoncé la guerre d’agression menée par son rival, tout en promettant que « les forces armées quitteraient définitivement la scène politique une fois les élections organisées, après la mise en place d’un gouvernement civil intérimaire », une déclaration accueillie avec scepticisme par de nombreux Soudanais. Washington a adopté, début septembre 2023, une série de sanctions ciblant exclusivement des proches d’Hemedti, dont son frère, Abderrahim Dagalo, commandant adjoint de la milice, ainsi qu’Abdul Rahman Juma, à la tête des RSF au Darfour occidental. 

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Les RSF prennent-ils l’avantage ?

Pendant ce temps, les RSF ont accentué leur emprise sur le terrain, tout en gardant le contrôle d’une grande partie de Khartoum. À l’aube du 15 décembre, des échauffourées entre les RSF et les FAS éclatèrent à Wad Madani, une des villes les plus importantes située au sud du pays à 200 km au sud-est de Khartoum. Malgré les bombardements effectués par les FAS, ses forces durent quitter la ville. 300 000 personnes sont parties de la province de Gezira dont Wad Madani est la capitale, beaucoup ayant dû fuir pour la seconde fois puisque les affrontements à Khartoum avaient déjà provoqué la fuite de 500 000 habitants de la capitale. Wad Madani étant considérée comme une place forte des FAS, sa chute rapide entame grandement la crédibilité du général Abdel Fattah al-Burhan. Les RSF prirent le contrôle de toutes les villes importantes du Darfour à l’ouest. Les membres du gouvernement et plusieurs responsables de l’ONU agissent désormais depuis Port-Soudan, promu nouveau complexe administratif du pays. Épargnée par les combats, la ville, située sur les bords de la mer Rouge, abrite le seul aéroport en état de marche. Un projet de centre des congrès ainsi que la construction d’un autre palais présidentiel sont à l’étude, laissant transparaître le pessimisme de l’état-major soudanais quant à une reconquête de Khartoum à court ou à moyen terme.

Un conflit sans fin qui pourrait se régionaliser ?

En novembre 2023, on s’attendait à une nouvelle bataille d’envergure, voire décisive à El Fasher, capitale du nord Darfour, mais elle n’eut pas lieu. El Fasher abrite une forte communauté zaghawa, des Noirs nomades, déterminés à se battre. Mini Minawi, le chef de l’armée de libération du Soudan (SLA), une vieille rébellion restée jusque-là neutre, s’est rallié à l’armée. Or, les Zaghawas forment l’ossature du pouvoir au Tchad voisin, qui cherche, on l’a vu, à garder sa neutralité, mais qui pourrait à son tour être aspiré dans la spirale du conflit.

Le calvaire du peuple soudanais n’est pas près de finir. Le 27 décembre, le général Hamdane Daglo, dont les apparitions publiques se faisaient rares depuis le début de la guerre, a entamé à son tour une tournée diplomatique en Ouganda, en Éthiopie, à Djibouti, au Kenya, en Afrique du Sud et au Rwanda, où il a été « accueilli avec les attributs d’un chef d’État ». Il a signé à Addis-Abeba une déclaration commune, sur une « cessation immédiate et inconditionnelle des hostilités », avec l’ancien Premier ministre du Soudan, Abdallah Hamdok, évincé lors d’un coup d’État du 25 octobre 2021. Abdallah Hamdok a ensuite été brièvement rétabli dans ses fonctions, avant de démissionner en janvier 2022 et de quitter le Soudan pour Abu Dhabi. La coalition de civils qu’il dirige, les Forces pour la liberté et le changement (FLC), a depuis fondé, avec d’autres formations civiles, une autre coalition : Taqadum. Elle rassemble la société civile et des indépendants censés représenter les partisans d’un pouvoir civil au Soudan. Avec un partenaire civil, Dagalo devient un leader potentiel plus acceptable pour les capitales occidentales. Mais, le 5 janvier, le général Abdel Fattah al-Burhan a rejeté toute perspective de réconciliation avec son rival et promis de poursuivre la guerre, éloignant ainsi toute idée d’un dialogue en tête-à-tête entre les deux hommes, comme s’efforce de le promouvoir l’IGAD (Autorité intergouvernementale pour le développement), qui regroupe plusieurs pays d’Afrique orientale et qui a déjà tenté plusieurs médiations pour mettre fin au conflit.

Du fait de l’attention internationale largement accaparée ailleurs, aucune mobilisation n’est envisageable pour alléger le calvaire des populations au Darfour. Le Soudan peut devenir une seconde Libye en pire encore avec des territoires aux mains des principaux camps en présence, qui ne se résument pas aux RSF et aux FAS. C’est tout l’équilibre de la mer Rouge, peu espacée avec ses 438 000 km2, mais longue de 2 000 km entre Suez et Bab-el-Mandeb, qui serait ébranlé.

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À propos de l’auteur
Eugène Berg

Eugène Berg

Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.

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