<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Daniel Ortega. Le dinosaure actif de la révolution

21 février 2024

Temps de lecture : 5 minutes

Photo :

Abonnement Conflits

Daniel Ortega. Le dinosaure actif de la révolution

par

Président du Nicaragua depuis 2007, après un premier passage entre 1979 et 1990, Daniel Ortega, né en 1945, a établi une dictature de fer sur le pays, réprimant toute opposition, arrosant ses sbires avec l’argent des cartels. Un régime qui semble indéboulonnable, pour le malheur des Nicaraguayens. 

Article paru dans le numéro 50 de mars 2024 – Sahel. Le temps des transitions.

Avec son sourire jovial et sa grosse moustache, il pourrait presque passer pour un syndicaliste sympathique. Si Daniel Ortega n’a pas l’allure d’un dictateur, il a les mots et les actes d’un homme sanguinaire qui écrase son pays d’une main de fer. 

Relire la biographie d’Ortega, c’est faire un bond en arrière, revenir à une époque qui paraît immensément lointaine, celle où la révolution marxiste, la théologie de la libération, la stratégie du foquisme secouaient l’Amérique latine. À Paris, nombre d’intellectuels à la mode se pavanaient pour ces guérilleros en battle dress qui luttaient dans la jungle contre l’impérialisme américain et des dictateurs tout aussi sanguinaires qu’eux, le tout avec l’aval et l’argent d’une Union soviétique promise aux lendemains qui chantent. 

Ortega est membre de ces multiples mouvements révolutionnaires qui forment la colonne vertébrale du mouvement sandiniste opposé aux Somosa père puis fils, qui dirigent le Nicaragua entre 1937 et 1979. Une dictature d’arrivistes et de cupides qui vit sur la bête d’un pays qui lui-même vit dans l’orbite des États-Unis. La victoire d’Ortega en 1979 est d’abord l’expression d’une révolte contre une famille qui a fait main basse sur le Nicaragua et d’un refus de la mainmise américaine. S’opposant à l’Oncle Sam, Ortega trouve ses soutiens à Cuba et à Moscou, ce qui lui permet en plus de briller en Europe. Face aux sandinistes, les États-Unis de Ronald Reagan financent et entraînent les Contras, sans succès. Il faut attendre 1990 et une élection perdue pour qu’Ortega quitte le pouvoir. Le Nicaragua croit alors entrer dans une phase de prospérité et de paix, peine perdue. 

A lire aussi:

Europe – Amérique latine. Le désamour

Concéder et ne rien lâcher

Ce serait une erreur de voir en Ortega un vulgaire révolutionnaire avide de pouvoir. C’est surtout un remarquable stratège qui a très bien compris comment fonctionne la politique et donc quels moyens employer pour prendre le pouvoir. Puis pour le conserver. Durant quinze ans, il se maintient au centre de la vie politique, en dépit de sa défaite en 1990, imposant le Front sandiniste de libération nationale comme un parti clef. Alors qu’il perd les présidentielles de 1996 et 2001, il parvient à imposer aux vainqueurs un pacte d’alliance avec les sandinistes. Par ce pacte avec les présidents libéraux élus, il s’assure un partage du pouvoir et permet de placer des sandinistes à des postes clefs. Les présidents Arnoldo Aleman et Enrique Bolaños n’avaient pas vraiment le choix. Il l’avait certes emporté face à Ortega, avec le soutien sans faille des États-Unis, mais celui-ci possédait encore de solides appuis et relais dans le pays. Il fallait s’allier pour éviter une guerre civile et maintenir la paix. Ce pacte répété fut également vivement critiqué à gauche, plusieurs soutiens d’Ortega estimant qu’il s’agissait d’une trahison des idéaux révolutionnaires. Mais en fin politique, Ortega avait compris qu’il fallait savoir concéder pour ne rien lâcher et jouer avec le temps. Un temps qui est revenu en 2006 lors de sa victoire à la présidentielle. Usée par seize années de direction du pays, la droite perdit un scrutin face à des Nicaraguayens avides de changement. Un changement qui passait par un retour aux années 1970. Récupérant un pouvoir imprévu, Ortega était cette fois-ci bien décidé à le conserver, coûte que coûte.

A lire aussi:

Les quatre mousquetaires de la gauche latino-américaine

Retour à la dictature

En 2006, Ortega est élu au premier tour avec seulement 36 % des voix mais, par la grâce d’une disposition curieuse de la Constitution, qui donne la victoire au candidat qui, au premier tour, dépasse les 35 % et obtient cinq points de plus que le numéro deux. Conditions réunies, qui permet au sandiniste de ravir le pouvoir avec à peine un tiers des suffrages. Modifiant en 2009 la Constitution qui empêchait plus de deux mandats consécutifs, Ortega se représente en 2011, 2016 et 2021, avec à chaque fois plus de 60 % des voix au premier tour. L’opposition dénonce des fraudes massives et même les modérés se détachent de son action. Ayant mené une politique économique qui a conduit son pays dans une situation financière désastreuse, il est contraint, en 2018, de réformer le système de retraite, c’est-à-dire d’accroître les cotisations et de réduire les pensions. S’ensuit des manifestations d’opposition où la question des retraites devient secondaire par rapport à la liberté politique et religieuse. Des manifestations durement réprimées, avec plus de 300 morts. Avant les élections de 2021, il fait arrêter ses principaux opposants, sous le motif de « terrorisme ». Un motif bien commode, qui permet d’assurer une mainmise politique sur le pays. Plus il y a de répression plus il y a d’opposition et donc de répression. La figure majeure de cette opposition est l’évêque de Matagalpa, Mgr Rolando Alvarez, lui aussi arrêté et condamné à vingt-six ans de prison, ayant été déclaré « traître à la patrie » lors d’un procès truqué. Ce dernier a refusé de s’exiler aux États-Unis, préférant rester dans son pays, quitte à passer de longues années en prison. Rompant une à une ses relations diplomatiques, le Nicaragua s’enferme dans un régime de plus en plus autoritaire où la répression s’accroît sur les 6,8 millions d’habitants. Une logique sans fin qui rappelle celle de Cuba et du Venezuela et qui semble confirmer la malédiction d’un continent sud-américain condamné aux régimes violents et sanguinaires, que ceux-ci soient des dictatures militaires ou des régimes marxistes. Après la longue direction de la famille Somoza, voici celle de la famille Ortega, où l’épouse de Daniel fut choisie comme vice-présidente, où les frères se partagent les postes de l’armée, où les vassaux et les affidés sont arrosés par l’argent public et l’argent de la drogue. Enserré dans les cartels, le Nicaragua semble prendre le chemin du Mexique où les narcos font la loi. Pas de quoi rêver sur un tiers-mondisme qui a semé la désolation autour de lui.

A lire aussi:

Amérique latine, regard sur un continent. La documentation photographique 

Les démons de l’autoritarisme 

Au-delà de la personne de Daniel Ortega, son mode de gouvernement ouvre un champ de réflexions sur les sujets fondamentaux de la science politique. C’est une chose qu’un tyran puisse arriver au pouvoir, et en 2006, c’est avec seulement 36 % des voix qu’il a été élu, c’en est une autre qu’il puisse se maintenir. La fraude électorale et la répression n’expliquent pas tout. La capacité à tromper la population, ou à tromper une population qui veut être trompée, est une autre piste essentielle. La répression permet de bâillonner les opposants politiques ou les forcer à l’exil, ce qui est une manière de s’en débarrasser. Mais il y a aussi une forme d’acceptation passive et parfois active de la population à l’égard d’un régime oppresseur. C’est cette « servitude volontaire » évoquée déjà avec éclat par Étienne de la Boétie. Ortega pose aussi la question de la liberté politique en Amérique latine. Depuis leur indépendance dans les années 1830, tous les pays ont connu des régimes dictatoriaux plus ou moins virulents, des systèmes de castes et de vols, des imprégnations fortes entre les narcotrafiquants et les réseaux criminels. C’est une espèce de malédiction politique qui semble ne plus quitter cette région du monde et, comme Ortega, disparaître puis revenir. Oscillant entre populisme et autoritarisme, le Nicaragua de Daniel Ortega est un exemple presque banal d’une région qui renoue sans cesse avec ses démons. 

 

Mots-clefs : ,

Temps de lecture : 5 minutes

Photo :

À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.

Voir aussi

Pin It on Pinterest