Iran, mafia, aventures, culture, diplomatie. Aperçu des livres de la semaine.
Mafia
Jean François Gayraud, La mafia et la Maison-Blanche. Un secret si bien gardé, de Roosevelt à nos jours, Plon, 2023, 24,90€.
La mafia aux États-Unis : en déclin, mais toujours vivante. C’est ce qui semble ressortir de l’étude de Jean-François Gayraud dans cet ouvrage qui concentre dix années de recherche intense sur la corruption aux États-Unis. À contre-courant d’une histoire traditionnelle du pouvoir en Amérique, il révèle et repense la corruption au sein des systèmes démocratiques.
La mafia italo-américaine, qui a connu son heure de gloire et a certes aujourd’hui perdu de sa réputation, n’en démord pas et demeure dans le paysage politique de la puissance américaine. Elle semble même en parfaite adéquation avec une civilisation marquée par la criminalité, la corruption et une forme de violence fondatrice. Pire, elle est protégée par le politique. Loin de lutter contre la criminalisation de masse, les rênes du pouvoir sont entretenues par des acteurs en mesure de mobiliser les forces de la mafia pour les servir.
Roosevelt fut l’un des grands acteurs de la part d’ombre de la démocratie américaine. Il fait en outre appel à la mafia dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, en vue de lutter contre l’Allemagne nazie. C’est sous Kennedy que se renforcera l’apport de la mafia sur le paysage politique américain, mais surtout après son meurtre, dont les circonstances sont dépeintes par l’auteur avec singularité.
Tous les présidents font appel à cet organisme dont ils veulent parfois pourtant se prémunir. Nixon s’affirme carrément en tant que président associé de la mafia. Même Barack Obama, « l’immaculé de Chicago », n’en est pas exempt. Biden, quant à lui, requiert son aide dans le contexte du scandale qui pèse autour de son fils.
Ce qui semble ressortir d’une telle étude, c’est que le rapport complexe entre politique et mafia révèle qu’une démocratie ne peut laisser une telle entité approcher du pouvoir politique local sans y prendre part elle-même. L’ouvrage propose d’éclairer l’histoire visible par l’invisible. Il fait la lumière sur ce qui est caché, et restitue toutes les dimensions d’un État, y compris celles contre lesquelles il cherche à se prémunir. L’ensemble des sources mobilisées est d’une telle richesse qu’elles lèvent le voile sur l’angle bien sombre des présidents qui se sont succédé. De Roosevelt à Biden, Jean-François Gayraud propose une lecture singulière des États-Unis et révèle l’impensable.
Course aux trésors
Pierre Ménard, Le chasseur de diamants : les fabuleuses aventures de Jean-Baptiste Tavernier, Tallandier, 2023, 22,90€.
Le nom de Jean-Baptiste Tavernier est associé au bleu de son diamant séculaire, au triomphe de l’individu sur son destin, à la royauté, aux grands voyages bravant monts et marées qu’il aura fallu aux peuples européens pour cultiver les richesses du monde aujourd’hui connu – hier fantasmé.
C’est ce constat amer pour l’écrivain Pierre Ménard qui l’incita à rédiger cet ouvrage iconoclaste, à mi-chemin entre le récit de voyage, la biographie et l’épopée mythique. Les fabuleuses aventures de Jean-Baptiste Tavernier, ne sont pas tant fabuleuses au sens de la fable, espiègle et moralisante, que par leur caractère invraisemblable et épique. De l’Europe, à l’Empire moghol, en passant par les frégates ottomanes et Sainte-Hélène deux siècles avant Napoléon, Tavernier a tout de l’âme héroïque et sans peur enviée secrètement par le modèle du gentilhomme de son Grand Siècle. Une sorte d’anti-modèle à l’Astrée d’Urfé, « ayant pour femme le courage et pour maitresse l’audace ».
Protestant, page, diamantaire, soldat pendant la bataille de la Montagne Blanche, espion, Tavernier sillonne le monde à la recherche de gloire et d’un rendez-vous avec son propre destin. Il y trouvera au bout du compte des richesses innombrables, qui lui soufflent le chaud et le froid, lui valant anoblissement et flagorneries de son Roi, mais aussi jalousie opiniâtre, le faisant passer dans une postérité sibylline.
Ménard, au terme d’un labeur de recherches de quatre années, voguant tel son protagoniste d’île en île, -ou plutôt de livre en livre-, des registres suédois aux archives d’Aix-en-Provence, nous livre un récit disert qui loin de ressembler à un traité académique, se nourrit de travaux universitaires solides et scrupuleux. Allant jusqu’à interroger la vraisemblance historique des Six Voyages, dont la rédaction fut ordonnée par Louis XIV à la mort de son aventurier émérite.
Véritable satrape occidental, lire l’aventure de Tavernier, c’est lire l’Histoire d’une Europe qui essaime son influence matérielle par le monde. Dans un style fin, distancé, et teinté d’un humour subtil, Ménard arrive parfaitement à imbriquer l’histoire de Tavernier dans la grande Histoire, ce qui place son ouvrage aussi bien sous l’auvent des historiens que celui des amateurs d’aventures épiques.
Haut en couleurs
Pascal Ory, Michel Pastoureau, Jérôme Serri, Les couleurs de la France, éditions Hoëbeke, 2016, 34€.
« La couleur est par excellence, l’élément magique de la peinture ». Cette citation du peintre français Eugène Delacroix nous rappelle le rôle déterminant de la couleur, mais plus précisément, de l’Art pictural dans les leviers de puissance et d’influence d’une Nation. Avec Les couleurs de la France, Michel Pastoureau, Pascal Ory et Jérôme Serri proposent de retracer l’Histoire de nos symboles hauts en couleur et de leurs représentations en peinture, de l’impressionnisme au cubisme en passant par le fauvisme, et tant d’autres toiles inclassables par leur singularité.
L’histoire d’un peintre ou d’un mouvement, ce n’est donc pas seulement du ressort de l’histoire de l’art, elle participe et s’insère à l’histoire d’une nation. C’est ce que cet ouvrage propose de mettre en avant. La France, dont l’unique symbole officiel est son drapeau tricolore, s’est vue habitée tout au long de son histoire d’une myriade d’artistes peintres qui ont su faire coïncider l’évolution de leur art avec les heurts politiques de l’Histoire de France. Les couleurs “Bleu, blanc, rouge”, se sont subrepticement constitué en un nouveau champ d’exploration artistique, tantôt servant une critique du nationalisme, tantôt un éloge du patriotisme.
Bien que les scènes politiques ne soient pas un topos privilégié de tous les artistes, – on pensera au courant impressionniste -, il reste que la France et ses symboles trouvent nécessairement un écho dans les productions de ses artistes.
Ce livre consiste à osciller entre deux approches qui sont en réalité les deux faces d’une unique pièce : la Nation incarnée dans la peinture et la peinture qui elle-même, participe à la Nation. Dans son approche historique, l’ouvrage tient sa promesse de nous expliquer la généalogie des symboles de France représentés en peinture. D’un point de vue purement artistique, de Renoir, Pissaro, Manet, Le Douanier Rousseau, Derain, Braque à Chagall, le livre propose un éclectisme riche qui ne laisse aucun des grands mouvements de la peinture moderne laissés pour compte.
L’analyse pertinente et riche en historicité de Ory, Pastoureau et Serri nous révèlent la proximité qu’entretiennent les grands peintres du XIXe avec leur patrie, leur terre, leur mer. Par un catalogue abondamment fourni en représentations, Les couleurs de France nous rappellent le lien indéfectible entre l’état de vitalité, de progrès techniques et moraux d’une Nation, et la qualité de ses Arts.
Eglise et diplomatie
Mémoires, Un diplomate dans la bourrasque, Cardinal Hercule Consalvi, édité par Mgr Bernard Ardura, éditions du Cerf, 2024, 39€.
Figure politique et spirituelle éminente du Saint-Siège, le nom du cardinal Consalvi n’en demeure pas moins mal connu du grand public. Pourtant, il joue un rôle clé dans la préservation de l’Auctoritas religieuse de Rome à la suite des troubles révolutionnaires en Europe et ce, en s’affirmant comme l’un des principaux architectes du mouvement de l’Église vers une Institution religieuse moderne. Surtout reconnues pour le rôle prépondérant qu’il occupe lors du Concordat et du Congrès de Vienne, ses Mémoires sont l’occasion de revenir sur la visée de la diplomatie de Rome avec l’Empire.
Le parcours du Cardinal Consalvi ne déroge pas dans la forme à celui de la noblesse de la Curie. Éduqué chez les piaristes, passage par l’Académie des nobles ecclésiastiques de Rome, il est nommé à 26 ans, en 1784, camérier secret du Pape Pie VI, prélat domestique puis référendaire de la signature apostolique (ses pairs reconnaissant alors son talent et sa probité dans l’interprétation du droit canonique).
Sa véritable carrière ne débute que, selon ses termes, en 1799 à la mort du pape Pie VI qui, -marque de l’état désastreux dans lequel était englué le Saint-Siège -, était contraint par les Français et les Autrichiens de résider à Florence. Devenu secrétaire d’État et cardinal-diacre auprès de Pie VII, la mission de Consalvi sera d’abord, de combattre les réactionnaires aux idées nouvelles qui essaiment l’Europe. Ce n’est pas qu’il soit un forçat du progrès, mais plutôt un partisan assuré à l’idée de composer avec la réalité telle qu’elle s’impose à lui.
À la manière d’un Tocqueville, Consalvi, s’il porte en lui la nostalgie de l’Ancien Régime et des Bourbons, n’en demeure pas moins réaliste et pragmatique. Ayant conscience de l’impératif d’ adapter le Saint-Siège aux nouvelles exigences des temps, il chercha au cours de ses fonctions, à conjuguer l’esprit de la révolution avec le pouvoir pontifical. Bien qu’entérinant la vente des biens nationaux du clergé, le jeune vicaire du pape voit dans le Concordat un espoir pour Rome de revitaliser son pouvoir, notamment en rétablissant l’institution par le pape à la canonisation des prêtres.
Avant tout homme de foi et ecclésiastique dévoué, le cardinal entretiendra des relations complexes avec l’Empereur, face auquel il ne craint pas de préférer l’autorité du Pape, notamment en refusant d’avaliser son second mariage avec Marie-Thérèse d’Autriche, ce qui lui coutera l’exil et la privation de son rang pendant trois ans. Période durant laquelle, vêtu de sa robe noire de simple clerc, il rédigera ses mémoires.
Lire les Mémoires de Consalvi, s’est percevoir l’époque napoléonienne et ses conflits d’intérêts avec le pouvoir pontifical, révélant toute l’intensité et la permanence d’une lutte séculaire, voire millénaire, entre temporel et spirituel.
Iran
Emmanuel Razavi, La face cachée des Mollahs, Le livre noir de la République islamique d’Iran, éditions du Cerf, 2024, 22€.
La face cachée des Mollahs est un ouvrage aussi riche qu’édifiant par les vérités accablantes qu’il révèle. Signé par Emmanuel Razavi, spécialiste du Moyen-Orient et grand reporter ayant couvert la seconde intifada ou encore la guerre entre le Hezbollah et Israël, l’ouvrage s’emploie par des témoignages exclusifs et une enquête de terrain s’étalant sur une année, à démontrer la nature des activités criminelles orchestrées en sous-main par l’Iran depuis la Révolution de 1979.
Les origines de la Révolution iranienne sont le fruit de facteurs structurels et conjoncturels. Les ingérences étrangères, puis les réformes occidentales des derniers Shahs ont ébranlé les fondements traditionnels de la société. Les chefs tribaux et religieux ont été dépossédés de leur propriété foncière, et les réformes agraires ont engendré un exode rural important dans les banlieues, nourrissant un mécontentement des classes populaires en opposition avec le faste ostensible du Shah.
Excédées par son autoritarisme, la corruption de son entourage, et les exactions de sa police politique, la SAVAK, en 1979, c’est quasiment toutes les couches de la société qui protestent contre le Shah. C’est dans cette fracture de l’ordre politique que les Mollahs trouveront un terreau fertile aux ralliements de leur cause. Mais cette révolution a-t-elle réellement profité au peuple iranien?
Le philosophe structuraliste Michel Foucault, vantait à cette période le retour de l’Iran à cette chose qui nous manque tant en Europe: « une spiritualité politique ». Pourtant, dès ses débuts en tant que nouvelle entité politique, le régime des Mollahs fait basculer le pays des poètes et des rois dans une théocratie sanguinaire et une tyrannie islamique meurtrière, de quoi remettre les propos de Foucault en perspective.
L’Iran est-il devenu un narco-État terroriste? C’est en tout cas ce qui semble manifestement ressortir du travail de Razavi, qui en pointant du doigt les liens de proximité entre réseaux criminels et gouvernement iranien, nous immerge dans les réalités que les régimes occidentaux ont préféré nier durant des décennies. Terrorisme, prostitution, crime organisé, contrebande d’armes, création des filiales terroristes au Liban et en Palestine avec le Hezbollah et le Hamas. La liste est encore longue, et pourtant pas inconnue de nos chefs d’État, qui demeurent dans un attentisme troublant. Depuis la captation du pouvoir par l’Ayatollah Khomeini, le pouvoir iranien a toujours chercher à écraser les ennemis du Califat « par tous les moyens », y compris la violence la plus débridée. C’est cet agenda politico-religieux présent depuis les premières poussées révolutionnaires de 1963 dans les campagnes iraniennes qui anime l’état d’esprit des gardiens de la révolution, les Pasdarans.
L’ouvrage fait donc prendre conscience des sévices du régime iranien et des erreurs patentes des gouvernements occidentaux à la fin du XXe siècle dans leur soutien mal avisé à un régime qui fait de la peur et du terrorisme ses armes et ses marques de puissance. Ce qui dans les années 1970 était motivé par le crédo « Islamisme contre communisme », révèle aujourd’hui ses fruits avariés, voire empoisonnés pour les conséquences géopolitiques qu’on peut présager.