En 2024, la Jordanie célèbre en toute discrétion le 30e anniversaire de son accord de paix conclu avec son voisin hébreu. Près de trente ans plus tard, l’amertume est de mise.
Article paru dans le numéro 49 de janvier 2024 – Israël. La guerre sans fin.
La Jordanie a définitivement renoncé à sa souveraineté sur la Cisjordanie en 1988, partage d’une frontière longue de 238 km fixée par le traité de paix de 1994 qui prend pour référence le cours du Jourdain. Le sentiment public en Jordanie à l’égard d’Israël reste généralement hostile, mais quelques incidents marquants ont également alimenté la méfiance fondamentale entre les dirigeants. Il s’agit notamment de la tentative d’assassinat par le Mossad d’un haut responsable du Hamas, Khaled Meshaal, sur le sol jordanien en 1997 ; puis vingt ans plus tard, de la mort d’un civil jordanien abattu par un garde de sécurité de l’ambassade israélienne à Amman. Le roi Abdallah n’a guère contribué à améliorer les relations lorsqu’en 2018, il a refusé de renouveler le bail de deux zones frontalières dans la vallée de l’Arava, les enclaves de Tzofar et de Naharaim, pour une utilisation agricole par les Israéliens, après l’expiration du bail de vingt-cinq ans prévue par le traité de paix de 1994. Mais l’élément le plus critique de la méfiance actuelle est la politique du gouvernement israélien – telle que la perçoivent les Jordaniens – consistant à réduire à néant la solution à « deux États », les faucons israéliens estimant que la Jordanie est la patrie de rechange des Palestiniens. Cela a toujours été la cause principale de l’anxiété stratégique de la Jordanie et s’est reflété dans sa décision de ne pas participer au forum ministériel du Néguev en mars 2022 avec les partenaires d’Israël dans les accords d’Abraham, l’Égypte et les États-Unis.
La question palestinienne et de Jérusalem
L’avenir des Palestiniens est certainement l’une des questions les plus controversées pour la maison royale hachémite. Il s’agit d’une question interne, les Palestiniens constituant la grande majorité des citoyens jordaniens, ce qui a une incidence directe sur l’identité nationale de l’État et menace potentiellement la survie de la famille hachémite. L’hypothèse d’une entité palestinienne indépendante, dotée d’éléments de souveraineté, même réduits, pourrait apporter une réponse aux aspirations nationales des Palestiniens et rassurerait ainsi l’ensemble de la population palestinienne en Jordanie, qui pourrait ne plus se considérer comme des réfugiés mécontents.
Autre question cruciale, le rôle de la Jordanie à Jérusalem. Le traité de paix a formellement ancré l’intérêt particulier de la Jordanie sur les lieux saints musulmans et chrétiens de Jérusalem et a consacré l’autorité hachémite sur le Waqf [fondation islamique] du Haram al-Sharif/Montagne du Temple, lieu saint où le roi Abdallah Ier fut assassiné par un Palestinien en 1951. Il s’agit d’un point d’appui stratégique qui lui permet d’avoir son mot à dire dans tout accord futur concernant Jérusalem. La signature des accords d’Abraham a porté un coup dur à la relation bilatérale, la plateforme diplomatique d’Amman ayant été court-circuitée par les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite. Les Jordaniens ont de fortes raisons de croire qu’Israël échange le statut spécial de la Jordanie sur le Haram al-Sharif/mont du Temple et le donne potentiellement à l’Arabie saoudite, en échange d’un rapprochement israélo-saoudien, avec tout ce que cela impliquerait pour la position de la Jordanie.
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Économie et démographie
Le troisième défi de la relation bilatérale concerne la grave situation économique, démographique et infrastructurelle de la Jordanie. La Jordanie a absorbé environ 1,5 million de réfugiés syriens et irakiens, ce qui représente un lourd fardeau pour l’économie et une menace potentielle pour la sécurité intérieure. Avec une population déjà importante de réfugiés palestiniens, la Jordanie doit faire face à des pénuries d’eau et d’énergie, à des infrastructures médiocres et à une économie chancelante. Le dessalement constitue une bonne voie pour l’avenir, même s’il nécessite beaucoup d’électricité. Le projet « Prospérité bleue et verte », qui propose un financement émirati pour l’infrastructure qui permettrait un échange – eau dessalée israélienne contre énergie solaire jordanienne –, est une réponse stratégique de ce type : il a été lancé sous le précédent gouvernement israélien, mais approuvé et signé par les trois parties sous le gouvernement actuel, en août 2023. De sorte qu’entre les deux voisins, la situation se résume par la citation d’Aron : « Guerre improbable, paix impossible. »