De 2023 à 2024, les améliorations budgétaires n’en sont pas. Le délabrement des comptes se poursuit dans le pays le plus fiscalisé du monde.
Article paru dans le numéro 49 de janvier 2024 – Israël. La guerre sans fin.
Chaque automne, le débat budgétaire demeure le moment fort de la vie parlementaire. Cette année, l’examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2024 a été précédé de celui du projet de loi de finances de fin de gestion (PLFFG) pour 2023, premier du genre depuis la réforme de la loi organique relative aux lois de finances (la « LOLF » faisant en France office de « constitution financière » de l’État) intervenue fin 2021. Institutionnalisant une bonne pratique mise en œuvre depuis 2018, ce texte ad hoc aura désormais vocation à ajuster, en fin d’année, les crédits budgétaires et le solde public de l’exercice en cours, renvoyant au seul projet de loi de finances les débats fiscaux annuels, qui s’y trouveront ainsi concentrés.
Dans la version initiale du texte, c’est-à-dire avant son examen par les deux chambres du Parlement, le déficit budgétaire de l’État pour 2023 était annoncé par le gouvernement à 171,4 milliards d’euros, en dégradation de 6,5 Mds € par rapport à la loi de finances initiale où il était prévu à 164,9 Mds €. Pour le dire autrement, les ressources de 287,7 Mds € ne couvrant pas les dépenses nettes de 459,1 Mds €, elles ont été complétées par 171,4 Mds € de déficit budgétaire, soit près de 60 % des ressources ! Pour le dire encore autrement, équilibrer le budget de l’État aurait impliqué, dans le pays le plus fiscalisé d’Europe et du monde (place récemment ravie au Danemark), d’augmenter les impôts (tout du moins ceux qui lui sont affectés) de 60 %. Quasiment deux fois supérieur au déficit budgétaire annuel « moyen » de la décennie 2011-2019 (89,8 Mds €), avant donc la propagation de l’épidémie de Covid-19, le déficit budgétaire de l’année 2023 devrait en fin de compte être assez proche des sommets atteints pendant la crise sanitaire (178,1 Mds € en 2020).
Le « quoi qu’il en coûte », que le ministre de l’Économie et des Finances disait « fini » dès le mois de janvier[1], s’est bel et bien poursuivi tout au long de l’année. Pire : l’examen à l’Assemblée nationale du projet de loi de finances de fin de gestion fut l’occasion pour chaque groupe d’opposition – fût-il « de droite » et prétendument rigoureux budgétairement – de saler à mesure l’addition. Soucieux d’éviter un nouveau 49.3, le gouvernement « monnaya » l’abstention des députés hors de la majorité en contrepartie de plusieurs dépenses nouvelles avalisées. Adopté par 91 voix contre 41 (soit seulement 132 suffrages exprimés parmi les 577 députés), le texte aura ainsi prévu, au terme d’une vingtaine d’amendements dégradant le déficit budgétaire de près de 400 millions d’euros supplémentaires, le versement d’une aide exceptionnelle au bénéfice des exploitations agricoles, l’augmentation des crédits affectés au soutien des acteurs de l’hébergement d’urgence, l’abondement du fonds de soutien à l’Ukraine devant permettre à l’armée ukrainienne d’acquérir des équipements auprès des industriels français, l’augmentation des moyens dédiés à la filière pêche, la reconduction de la prime exceptionnelle destinée aux personnels des centres municipaux, l’ouverture de crédits supplémentaires au profit des associations habilitées à l’aide alimentaire, ou bien encore la création d’une allocation exceptionnelle de 115 à 200 euros pour les 600 000 familles monoparentales…
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L’adoption de ce premier PLFFG illustre à merveille la théorie du marché politique proposée par l’école du Public Choice chère à James Buchanan. Livrant une lecture économique des institutions de l’État-providence, cette théorie nous livre du même coup les clefs de compréhension du jeu de la démocratie, et son avilissement en une lutte où, gouvernants comme gouvernés, chacun entend à travers l’État drainer vers soi la manne publique, chacun souhaitant en somme déplacer le curseur des transferts budgétaires à son propre bénéfice.
En cela, ne sommes-nous pas collectivement responsables du délabrement des comptes de la nation ? Méditons ici les propos de Frédéric Bastiat, qui fut en quelque sorte l’annonciateur de l’école du Public Choice : « Peuple, réfléchis donc au cercle vicieux où tu te places. […] On comprend un homme privilégié, une classe privilégiée, mais peut-on concevoir tout un peuple privilégié ? Est-ce qu’il y a au-dessous de toi une autre couche sociale sur qui rejeter le fardeau ? Ne comprendras-tu jamais la bizarre mystification dont tu es dupe ? Ne comprendras-tu jamais que l’État ne peut rien te donner d’une main qu’il ne t’ait pris un peu davantage de l’autre[2] ? »
[1] « Le quoi qu’il en coûte est fini », indiquait Bruno Le Maire au Journal du dimanche, dans un entretien paru le 28 janvier 2023.
[2] Harmonies économiques, 1850.