Le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, joue gros avec la réouverture des débats parlementaires à Westminster, pour l’adoption du plan d’asile pour le Rwanda. L’avenir du parti conservateur pourrait se jouer dans les prochaines semaines, en fonction de la nature du texte et surtout de son application.
Le plan pour le Rwanda, initié en juin 2022 par le gouvernement de Boris Johnson, a été approuvé le mardi 12 décembre en deuxième lecture à la Chambre des Communes à 313 voix pour, 269 contre et 29 abstentions.
Bloqué à deux reprises, d’abord en juin 2022 par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), puis en novembre par la Cour suprême d’Angleterre, le nouveau texte présenté par Rishi Sunak reconnaît le Rwanda comme un « pays sûr ». Cette appellation, contestée jusque-là en justice, fait suite à la signature d’un nouvel accord entre la Grande-Bretagne et le Rwanda le mois dernier, où ce dernier s’engage à ne pas refouler les migrants arrivés de Grande-Bretagne, dans leur pays d’origine.
L’objectif du gouvernement britannique est d’éliminer tous les obstacles juridiques possibles aux décollages d’avions vers le Rwanda, rendus impossibles jusque-là par les cours de justice.
Le Premier ministre espère par ailleurs qu’une fois ce texte voté et appliqué, le trafic migratoire sera interrompu et que son parti, au plus bas dans les sondages, retrouvera la faveur des Britanniques.
Tactique juridique
Le caractère semi-révolutionnaire du projet de loi réside surtout dans le fait qu’il permet aux juges d’ignorer le UK Human Rights Act de 1998, qui dispose que les décisions de justice des cours britanniques doivent obligatoirement être conformes à la Convention européenne des droits de l’homme. Pour autant, les juges ne sont pas autorisés à rendre des arrêts contraires à la Convention, une subtilité qui pourrait bien poser de nouveaux problèmes.
Par ailleurs, le projet de loi dispose que le seul moyen pour des migrants illégaux d’éviter d’être envoyés au Rwanda sera de plaider leur cause individuellement. Mais le caractère de « pays sûr » du Rwanda ne pourra plus être contesté devant les cours de justice britanniques, ce qui constituait jusque-là l’argument phare pour bloquer le processus. L’article 2 du texte affirme désormais ce qui suit :
« L’article 2 reconnaît la République du Rwanda comme un pays sûr et […] les décisionnaires, les cours et les tribunaux doivent traiter la République du Rwanda comme un pays sûr lorsqu’ils rendent des arrêts, ainsi que dans des cas d’appels ou de réexamen d’un cas. »
Au mois de novembre dernier, la Cour suprême de Londres avait considéré que le Rwanda ne revêtait pas le caractère de « pays sûr », soulignant le risque de refoulement de ces migrants. Ces deux arguments lui avaient ainsi permis de déclarer illégale la version précédente du plan d’asile.
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Un pari politique risqué
C’est dans un contexte politique tendu que Rishi Sunak doit faire passer son projet de loi. Le Premier ministre le sait, ou ce texte est voté et mis en vigueur et son poste sera consolidé, ou il échoue et sa carrière sera menacée.
Mais deux factions s’opposent chez les conservateurs entre les partisans du Premier ministre, prudents, mais satisfaits du texte et les soutiens de l’ancien Premier ministre Liz Truss, qui considèrent le projet de loi trop mou. Dans la matinée du 12 décembre, Rishi Sunak a dû réunir une vingtaine de frondeurs pour les convaincre de ne pas voter contre son plan. Ensuite, il a dû le défendre en conférence de presse avec des mots fermes : « Le texte […] met fin au manège de procès qui bloque notre politique depuis bien trop longtemps a-t-il insisté. Nous ne pouvons simplement pas continuer dans une situation où notre capacité à contrôler nos frontières et à arrêter les personnes de traverser la Manche est retardée par nos cours de justice ». Finalement, le texte est passé, avec vingt-neuf abstentions.
Des failles juridiques
Dans une tribune au Daily Telegraph, l’ancien ministre pour l’Immigration, Robert Jenrick, a souligné la faille qui fâche : la possibilité pour les migrants d’effectuer des réclamations individuelles. « En autorisant les individus à plaider que leurs circonstances justifient qu’ils ne peuvent être envoyés au Rwanda, le projet de loi invite chaque petit bateau à fabriquer un argumentaire pour retarder son renvoi [au Rwanda] », a-t-il déploré. Il a par ailleurs alerté sur le fait que « le jugement de la Cour suprême, qui a lourdement critiqué le Rwanda […] signifie que les juges seront bien plus réceptifs aux réclamations individuelles, accentuant ainsi le risque que les migrants soient retirés des vols en très grand nombre. »
Enfin, plusieurs députés auraient aussi souhaité que le texte autorise explicitement les cours de justice à outre-passer la Convention européenne des droits de l’homme. Mais une telle disposition fragiliserait la Convention elle-même, dont la Grande-Bretagne contribua activement à la création.
Depuis la campagne du Brexit de 2016, la question migratoire n’a cessé de prendre de l’ampleur du fait de l’explosion des arrivées de migrants illégaux sur les côtes de la Manche. En 2019, ils n’étaient que quelques centaines à y débarquer, puis 45 755 en 2022 et en 2023, 29 090[1].
Nombre de députés tories, gagnés par l’impatience, voudraient voir enfin des changements d’envergure se produire sur la question migratoire. Depuis le mois de septembre, le parti conservateur plafonne à 24% dans les sondages contre 45% pour le Labour.
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Un texte à double-tranchant
Le Premier ministre a certes remporté le scrutin du 12 décembre, mais il n’est pas au bout de ses épreuves. Le texte sera discuté à la Chambre des Lords mi janvier et risque d’y être remanié.
Mais même si le texte est adopté aux Communes sous la forme actuelle en janvier, rien ne garantit que les décollages d’avions vers le Rwanda débutent en avril 2024, comme le souhaite le ministre de l’Intérieur, James Cleverly.
La CEDH peut encore déclarer la non-conformité du texte à la Convention européenne des droits de l’homme et de nouveau empêcher le décollage des avions. Et, comme Robert Jenrick l’a mentionné, les associations d’aide aux migrants vont sans doute exploiter l’article sur les cas individuels pour faire échouer le plan. La question qui se pose in fine est la suivante : le gouvernement conservateur aura-t-il l’audace ou non de braver les jugements de la CEDH ? Rien n’est moins sûr.
Si ce plan échoue, Rishi Sunak perdra une grande partie de ses soutiens au sein du gouvernement et du parti et son poste sera alors menacé. La droite du parti conservateur, représentée par l’ancien Premier ministre, Liz Truss et l’ancienne ministre de l’Intérieur, Suella Braverman, ne manqueront pas de repartir à la charge contre leur ennemi interne. Depuis sa trahison de Boris Johnson en juillet 2023, Rishi Sunak s’est mis à dos une frange importante de son parti.
[1] Chiffres du Home Office