<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’obsolescence accélérée des califes de l’État islamique

14 décembre 2023

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L’obsolescence accélérée des califes de l’État islamique

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L’élimination des califes de l’EI questionne sur la validation et le déclin de l’organisation, de plus en plus clandestine et dissidente.

Article paru dans le numéro 48 de novembre 2023 – Espagne. Fractures politiques, guerre des mémoires, renouveau de la puissance.

Par Hervé Théry et Daniel Dory

L’élimination par les forces spéciales des États-Unis d’Abou Bakr al-Bagdadi, le 27 octobre 2019, constitue un événement important dans l’histoire de l’État islamique (EI, en anglais : ISIS ou ISIL) et donc de la situation géopolitique du Moyen-Orient. Ce personnage assurait le califat depuis 2014, après avoir dirigé depuis 2010 des organisations qui donneront naissance à l’État islamique. Cette même année 2019 marque aussi la fin de l’emprise territoriale de l’EI avec la perte de la localité de Baghouz, à l’est du pays. Au cours des années suivantes, l’EI redevient donc une entité insurrectionnelle semi-clandestine avec une capacité variable de mobilisation de la mouvance djihadiste locale et globale. Parmi les faits remarquables qui caractérisent son évolution récente, la rapide succession des califes ne manque pas de susciter des interrogations qui, en termes scientifiques, débouchent sur des hypothèses en quête de validation.

L’action de l’ISIL entre 2013 et 2019

La carte que nous présentons ici vise à fournir quelques éléments pour assoir la réflexion sur une base empirique préliminaire. On y a représenté l’activité violente (terrorisme et guérilla) de l’EI en Syrie depuis 2013, c’est-à-dire l’année précédant la proclamation du califat, jusqu’en 2019, année de la mort d’Abou Bakr al-Bagdadi (ici : calife n° 1) et également date limite de disponibilité actuelle des données de la Global Terrorism Database[1]. On y a ajouté les lieux de l’élimination des quatre califes, qui offre des indications intéressantes et peu considérées jusqu’à présent.

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Le déclin de l’emprise territoriale de l’EI en 2017-2019 se marque par une concentration des actes vers l’est (autour de Baghouz) et l’ouest (zone de repli après la perte des bastions du centre). La concentration des actes au sud-est (région de Deraa) est également remarquable, l’élimination du calife n° 3 se produit dans cette zone en octobre 2022.

Lorsque l’on s’intéresse à l’élimination de plus en plus rapide des califes, plusieurs observations s’imposent. D’abord, il faut garder en mémoire l’identité des auteurs des décapitations successives : les forces spéciales US pour les califes 1 et 2 ; très probablement des milices locales au service de la Turquie ou du gouvernement syrien pour le calife n° 3[2], et enfin les services secrets turcs pour le calife n° 4. Ensuite, les lieux que ces individus ont choisis pour se « cacher » sont très révélateurs. Dans les trois quarts des cas, il s’agit du nord-est de la Syrie (région d’Idleb), zone sous contrôle turc soit directement soit par le biais de milices supplétives (Armée nationale syrienne). Cette zone est également le bastion résiduel de diverses factions djihadistes, dont beaucoup sont dans la mouvance d’al-Qaida (des « islamistes modérés » suivant les médias occidentaux dominants). La mort du calife n° 3 dans la région de Deraa est à cet égard atypique et incomplètement explicable avec les éléments d’information actuellement disponibles.

Enfin, cette succession de décapitations renvoie à l’hypothèse suivant laquelle, la forme proto-étatique de l’EI ayant pris fin, on assiste à un reformatage de la mouvance islamiste en rapport avec la nouvelle situation géopolitique locale et globale. Et dans ce contexte, les sponsors étatiques divers de l’EI, à commencer par la Turquie et plusieurs monarchies du Golfe, ont opté pour mettre fin à cette manifestation du djihadisme à emprise territoriale. La carte ne permet pas de répondre à cette question. Mais elle aide à la poser de manière pertinente.

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[1] Pour les actes précédant l’élimination à Atme du calife n° 2 en février 2022 voir : Charlie Winter ; Abdullah Alrhmoun, « A Prison Attack and the Death of it’s Leader : Weighing Up the Islamic State’s Trajectory in Syria », CTC Sentinel, vol. 15, n° 2, 2022, p. 19-25.

[2] La meilleure analyse actuellement disponible de cet épisode est : Rami Jameel, The Causes and Consequences of the Islamic State Caliph’s Killing in Deraa », Terrorism Monitor, vol. 20, n° 24, 2022, (en ligne).

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À propos de l’auteur
Hervé Théry

Hervé Théry

Directeur de recherche émérite au CNRS-Creda, professor de posgraduação na Universidade de São Paulo (USP-PPGH), codirecteur de la revue Confins. Blog de recherche Braises.

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