Maladresses, incompréhensions, quiproquos. Etats des lieux des acrobatiques relations franco-marocaines.
Article paru dans le numéro 48 de novembre 2023 – Espagne. Fractures politiques, guerre des mémoires, renouveau de la puissance.
On peut se demander jusqu’où la diplomatie française ira dans la déconfiture. Son mécanisme semble profondément déréglé. En témoignent les revers subis au Moyen-Orient (en Syrie et même au Liban), son alignement quasi total derrière les États-Unis et l’OTAN en Ukraine, ses atermoiements dans le Caucase, la faillite de son dispositif en Afrique, jusqu’aux derniers avatars subis au Maghreb. Emmanuel Macron a réussi à se mettre l’Algérie et le Maroc à dos. À vouloir contenter les deux, dans une stratégie aussi subtile que contradictoire, il se retrouve incompris et boycotté, aussi bien à Alger qu’à Rabat.
Avec Alger, Macron espérait un redémarrage de la relation bilatérale. On en est loin. Sa main tendue n’a pas été prise. Les autorités algériennes continuent de réclamer la repentance de la France pour la colonisation et ses « crimes contre l’humanité », termes malheureusement repris par le chef de l’État lui-même, en août 2017.
Avec le Maroc, deux années de brouille personnelle entre le président et le roi ont affaibli le partenariat. À des polémiques subalternes ont répondu des mesquineries administratives. Le Maroc ne comprend pas pourquoi la France tergiverse sur la marocanité du Sahara occidental (occupé à 80 % par le Maroc), reconnue pourtant par les États-Unis, l’Allemagne, l’Espagne et Israël, alors que le plan marocain d’autonomie semble la meilleure solution possible. Rabat accepte mal la publicité donnée par Paris à son blocage sur les OQTF et les visas. Délicat sur le plan humain, complexe sur le plan administratif, ce dossier aurait dû être traité plus discrètement, pour plus d’efficacité. L’activisme de la diplomatie française, exprimé parfois à coups de tweets, heurte la discrétion et la modération coutumières de la monarchie marocaine.
La réconciliation aurait pu se faire à l’occasion du séisme qui a frappé le Maroc dans la nuit du 8 au 9 septembre (près de 3 000 morts). Il n’en a rien été. Alors que le royaume donnait au monde une leçon de dignité et de souveraineté, la France s’est complu dans un traitement politique et médiatique maladroit, teinté d’une pointe d’arrogance. « Franchement, les Français, vous nous prenez pour qui ? » ont répliqué des médias marocains. L’humoriste marocain Gad Elmaleh s’est lui-même directement adressé aux responsables politiques français, le 17 septembre sur France 5 : « Vous qui parlez tout le temps de vivre ensemble, inspirez-vous de ce qui se passe au Maroc, cette grande solidarité et unité organiques du peuple marocain. »
L’évaluation hâtive des besoins par la France et certains propos fielleux ont jeté un froid à Rabat. Au lendemain du séisme, la France avait proposé son aide. Mais sur un ton jugé trop insistant, comme si les Français estimaient que le Maroc ne pouvait pas s’en sortir sans leur appui. La couverture de l’événement par certains médias français a paru souvent malveillante, insistante sur la pauvreté des campagnes marocaines, sur les ratés de l’administration royale, l’absence initiale du roi, sa communication a minima, sa fortune personnelle. Était-ce bien le moment ? Cette séquence s’est même terminée dans une consternante cacophonie officielle. Catherine Colonna, la ministre des Affaires étrangères, annonçait une visite d’État d’Emmanuel Macron au Maroc, sur une invitation personnelle du roi Mohammed VI… que le Palais royal démentait aussitôt : « Pas à l’ordre du jour ! » À une autre époque, on aurait parlé d’un camouflet. Conscient des dégâts causés, Emmanuel Macron était contraint de s’exprimer pour regretter « des polémiques qui n’ont pas lieu d’être ».
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Ce nouveau pataquès a dégradé un peu plus la relation politique traditionnelle entre les deux pays, sans rien enlever à l’immense élan de générosité venu de France. Au Maroc, les responsables ont rappelé la ligne choisie par le roi dans cette épreuve : éviter tout risque de « pagaille humanitaire », comme cela fut le cas dans d’autres pays, et préserver la fierté de tout un peuple dans la souffrance. En sélectionnant en priorité l’aide de l’Espagne, du Royaume-Uni, des Émirats arabes unis et du Qatar – quatre monarchies ayant reconnu la marocanité du Sahara occidental –, le roi a aussi fait passer un message, donnant à Paris une belle leçon de relations internationales.