Louise de Savoie, à la tête du royaume. Entretien avec Aubrée David-Chapy

21 octobre 2023

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : Louise de Savoie et le gouvernail de la régence. (c) wikipédia

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Louise de Savoie, à la tête du royaume. Entretien avec Aubrée David-Chapy

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La mère de François Ier est trop souvent oubliée ou écartée de l’histoire du XVIe siècle. Elle en fut pourtant une actrice incontournable. Dans son ouvrage Louise de Savoie. Régente et mère du roi, Aubrée David-Chapy nous raconte le destin de cette femme de caractère, personnalité politique, négociatrice, mécène de la Renaissance, fervente apologiste de l’Église catholique.

Propos recueillis par Pétronille de Lestrade

Aubrée David-Chapy est docteur en histoire et auteur de plusieurs biographies consacrées aux reines de la Renaissance. Louise de Savoie. Régente et mère du roi vient de paraitre chez Passés Composés.

Sur quelles sources principales vous êtes-vous appuyée ? Vous citez le Journal de Louise de Savoie en particulier.

Nous avons de la chance, parce que les sources sur Louise de Savoie sont relativement nombreuses. C’est d’ailleurs le signe du passage à la Renaissance, où les sources se comptent par dizaines. Certes, son Journal est fondamental. Elle le rédige plusieurs années après les évènements qu’elle décrit. Elle y appose donc son propre point de vue. Cependant, ces écrits sont à prendre avec des pincettes : elle a une vision ésotérique, fait très attention aux dates, ne cite que certains évènements, alors que d’autres, volontairement omis, sont pourtant marquants. Je ne pense donc pas que le Journal de Louise de Savoie soit la source principale.

Nous pouvons surtout retenir toute sa correspondance avec le Parlement, ce qui nous permet de constater ses relations avec cette institution qui se considère comme partie de la souveraineté aux côtés du roi. En particulier pendant la seconde régence de 1525, le Parlement joue un rôle d’appui, mais conteste également son pouvoir. Il s’agit donc d’une source essentielle.

Les lettres de Louise de Savoie sont tout aussi intéressantes, notamment celles écrites à ses ambassadeurs. Sa correspondance diplomatique est extrêmement fournie. Nous la voyons à l’œuvre en train de donner des conseils et des ordres à ses ambassadeurs, surtout en Angleterre. Les Archives Nationales conservent nombre de ses lettres.

Enfin, toutes les ordonnances royales, les lois et les édits établis au moment des régences permettent d’envisager la manière dont elle gouverne.

Nous disposons donc d’un corpus extrêmement riche. Si l’on compare avec Anne de France, la régente précédente, la quantité de sources concernant Louise de Savoie est multipliée par plus de 10. Nous sommes donc vraiment à la Renaissance. À sa suite, Catherine de Médicis a laissé des dizaines de milliers de lettres.

Vous dites que Louise de Savoie fut la toute première femme de l’Histoire de France à porter le titre de régente du royaume, en 1515 et en 1525. Mais Blanche de Castille ne l’a-t-elle pas devancée, 3 siècles plus tôt, ou encore sa cousine Anne de Beaujeu, sœur de Charles VIII ?

De manière très concrète, des délégations de pouvoir ont été opérées. La monarchie a accordé, à des moments précis où elle se trouvait dans le besoin, le pouvoir à des femmes : à Blanche de Castille, son fils étant trop jeune pour gouverner, à Isabeau de Bavière lorsque Charles VI a sombré dans la folie, à Anne de Beaujeu ou Anne de France, son frère Charles VIII étant lui aussi trop jeune. Mais aucune de ces femmes n’a reçu le titre officiel de régente. En fait, les régences de facto et non de jure ont toujours été accompagnées de critiques et de contestations. Pour Anne de France, les princes ont voulu reprendre le pouvoir, et ont provoqué une guerre.

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François Ier part en Italie neuf mois après sa montée sur le trône, donc très rapidement. Il ne peut pas se permettre de laisser le royaume à la merci de tels troubles. Pour légitimer sa mère, ni reine de France ni fille de roi, il entreprend une nouvelle législation, et édite une ordonnance royale qui la désigne comme régente du royaume. C’est la première fois que l’on utilise ce terme pour une femme de manière officielle. Sa légitimité s’ancre véritablement dans le droit et dans la législation. Dans ce long texte, François Ier explique que les grands princes qui auraient pu prétendre à la régence ne seront pas présents, car ils l’accompagneront en Italie. De plus, sa mère est légitime par nature, en temps que mère du roi. Elle dispose également de nombreuses vertus, qu’il décline sur plusieurs pages : la prudence, la sagesse, son amour pour les sujets. Finalement, ces qualités rappellent la reine de France.

Comme est-elle parvenue à s’imposer et à se faire respecter à la tête du royaume ?

En 1515, à la première régence de Louise de Savoie, les réserves sont rares. À la Cour, on garde le souvenir d’Anne de France. En dépit des quelques contestations, cette dernière a mené le royaume d’une main de maître. Il s’agit donc d’un exemple positif et assez récent d’une gouvernance au féminin.

Les contestations n’apparaissent qu’en 1525, alors que le roi est captif de Charles Quint, en Espagne. Le Parlement espère alors empiéter sur le pouvoir royal et participer au gouvernement. Mais Louise de Savoie est certaine de sa légitimité et de son droit à gouverner. Comme nous l’avons vu, elle tire cette légitimité de son caractère de mère du roi. Elle déclare devant le Parlement que c’est bien la nature qui l’a placée là.

Elle possède un caractère extrêmement fort et bénéficie du soutien inconditionnel du souverain. Celui-ci, âgé de plus de vingt ans, est dans la fleur de l’âge. Il est donc suffisamment fort pour imposer sa mère. Elle-même est une « femme forte », très intelligente, rompue aux affaires politiques, sachant manier l’art de la diplomatie et l’art de la parole, jouissant d’une très bonne éducation. Par conséquent, elle trouve parfaitement sa place à la tête du royaume, ce qui explique qu’elle s’y soit maintenue et même imposée.

Outre la négociation de la libération de son fils, François Ier, après la bataille de Pavie, dans quelles actions diplomatiques s’illustra-t-elle ?

Déjà avant 1525, Louise de Savoie dispose d’une œuvre diplomatique importante, notamment avec l’Angleterre et le Saint Empire Romain Germanique. Elle négocie avec les ambassadeurs, voire directement avec les souverains, à partir de la décennie 1520. En 1525, elle est obligée de négocier avec Charles Quint. Ne pouvant quitter le royaume, elle envoie sa fille, Marguerite d’Angoulême, autrement connue sous le nom de Marguerite de Navarre, en Espagne. C’est d’ailleurs un échec, Charles Quint ne se laisse pas séduire et ne concède rien du tout.

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Par conséquent, c’est après 1525 que Louise de Savoie entre véritablement en jeu, en s’adressant directement à la tante de Charles Quint, régente et gouvernante des Pays-Bas, Marguerite d’Autriche. Les deux femmes se connaissent bien, ayant été élevées toutes deux à la Cour de Charles VIII, par Anne de Beaujeu. Elles sont également belles-sœurs. Elles sont à la fois en compétition, du fait de leurs intérêts totalement divergents, mais entretiennent également des liens d’amitié et familiaux qui leur permettent de s’entendre et de discuter. Elles visent également un idéal semblable : la paix, l’harmonie, l’incarnation de la volonté de Dieu sur terre.

Elles parviennent à s’entendre. Et au bout de quelques années, le traité de Cambrai ou Paix des Dames est signé. C’est un véritable achèvement, un triomphe diplomatique pour les deux côtés, puisque le traité ratifie la paix entre François Ier et Charles Quint. Louise de Savoie y fut donc personnellement impliquée. On appelle Louise de Savoie « Concorde », et Marguerite d’Autriche « La Paix ». Elles représentent des allégories de la paix.

Dans le chapitre consacré à sa politique religieuse, vous dites que la mère du roi de France balance entre le désir d’une réforme du catholicisme et la résistance à l’essor du protestantisme. Quel rôle eut-elle ou n’eut-elle pas dans la diffusion du protestantisme ?

Dès la fin du XVe siècle, un point qui unit de très nombreux princes et princesses est la volonté de réformer l’Église de l’intérieur. Certains ont franchi le pas en s’attachant à la Réforme protestante, qui entre en guerre contre la papauté. D’autres désirent une réforme, un retour aux sources plus précisément. Louise de Savoie en fait partie. Elle ne se pose même pas la question de quitter l’Église catholique. Elle y est profondément attachée. Elle est pieuse comme ses pairs, mais également très pragmatique. Très rapidement, elle se rend compte que l’hérésie protestante menace le royaume et représente un danger politique pour le « roi très chrétien ». En tant que régente, elle a pour rôle de maintenir la stabilité intérieure. Ainsi, elle lutte contre le protestantisme dès les débuts.

À l’inverse, sa fille, Marguerite de Navarre, est très proche de certains cercles réformés. Certains prétendent qu’elle se serait même convertie au protestantisme. Elle est tout de même la grand-mère d’Henri IV.

Louise de Savoie est-elle considérée aujourd’hui comme une figure phare de la Renaissance artistique ?

Louise de Savoie est une mécène accomplie, une commanditaire prolifique. Elle possède un goût très affirmé pour la Renaissance et l’Italie, dès ses jeunes années. Elle fait venir des artistes italiens à sa Cour de Cognac. C’est d’ailleurs elle qui donne le goût de l’Italie et de la Renaissance italienne à François Ier. À l’âge de sept ans, ce dernier écrit une lettre en Italie, pour demander un tableau bien précis. Sa mère exerce donc une forte influence dans ce domaine. François Ier est considéré aujourd’hui comme le grand roi de la Renaissance : sa mère l’a formé, l’a éduqué, lui a inculqué le goût et les canons artistiques.

Elle participe également au chantier de Chambord, fait venir Léonard de Vinci à la Cour de France.

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