Le sommet en Afrique du Sud (22-24 août) a dévoilé la nouvelle feuille de route du développement des BRICS. Analyse d’un groupe qui veut peser dans les affaires du monde.
L’article original en Anglais a été publié dans India Foundation Journal, September – October 2023, pp. 32-36.
L’émergence des BRICS était inévitable, même si la naissance de son nom est anecdotique. Le regroupement représente une avancée fondamentale vers un monde plus impartial et multipolaire grâce à l’émancipation du système hégémonique. Sa force et son attrait grandissants se font de plus en plus sentir. C’est pourquoi les yeux du monde entier étaient tournés vers leur 15e sommet, qui s’est tenu en Afrique du Sud du 22 au 24 août. Nous pensons que nous devrions concentrer notre attention davantage sur le plan d’action à long terme que sur le sommet lui-même, qui n’est qu’un moment dans l’exécution de ce dernier.
Les membres des BRICS se sont mis d’accord pour accueillir dans le groupe l’Arabie saoudite, l’Iran, l’Éthiopie, l’Égypte, l’Argentine et les Émirats arabes unis. De plus, la porte reste grande ouverte : des dizaines de pays supplémentaires pourraient rejoindre le bloc plus tard.1 Cet élargissement constitue un grand pas en avant dans le développement des BRICS, mais aussi dans la transformation du monde.
Naissance et développement
En regroupant sous le sigle BRICS les quatre pays qui avaient le taux de croissance le plus élevé, à savoir le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine et plus tard l’Afrique du Sud, les banquiers de Goldman Sachs n’ont pas réalisé qu’ils donnaient une identité à un changement tectonique à l’échelle mondiale dans les domaines économique et financier et même au-delà.
Ce mouvement reflète un besoin fondamental du développement des pays du Sud global : la recherche et la création d’un système mondial plus juste et plus équilibré pour le plus grand nombre de pays. En 15 ans d’existence, cette alliance informelle a déjà réussi à se mettre debout et à acquérir plus de consistance et de légitimité. Cela révolutionnera et restructurera le monde. Lors de leur sommet, les BRICS ont étayé et lancé leur nouvelle feuille de route, devant une assemblée de plus de 60 pays participants du monde entier.
Pourquoi les BRICS s’efforcent-ils de créer un système alternatif à celui mis en place depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ? Il est vrai que cette dernière, qui a fait ses preuves, a fourni un cadre stable au monde dans son ensemble pendant des décennies et que la Banque mondiale et le FMI ont uni leurs forces pour la reprise après les destructions massives.2 Mais ce système, sous contrôle américain, est loin d’être juste et équilibré, à l’égard des pays de l’Est et du Sud de la planète. L’aide est accordée sous la condition que les changements imposés soient réalisés, sans tenir compte de la réalité du pays, et le montant accordé est soumis à des taux élevés dans la logique du programme d’ajustement structurel. Cela a créé plus de problèmes que de solutions, par exemple dans le cas des pays asiatiques après la crise financière de 1997-98.
Une architecture alternative est plus que nécessaire, car le G7 ne peut pas représenter, ne reflète pas le monde par rapport à des critères politiques, économiques, démographiques. Le groupe BRICS représente actuellement plus de 40 % de la population mondiale et plus de 26 % de l’économie mondiale et constitue un forum alternatif pour les pays qui se situent en dehors des plateformes dominées par les puissances occidentales traditionnelles. Avec l’arrivée de nouveaux membres, son influence et son poids économique encourageront davantage de pays à adhérer.
Des résultats encourageants, mais certaines lacunes restent à combler
En termes de stratégie, les BRICS suivent un double axe : tout en cherchant à réformer autant que possible le système existant, notamment la Banque mondiale et le FMI, ils mènent des actions en vue de créer et de faire fonctionner un nouveau système financier ainsi que renforcer l’autonomie des monnaies nationales et préparer la création d’une monnaie commune.
Concernant la méthode de travail, une philosophie étape par étape est pratiquée au sein du groupe, notamment pour les projets stratégiques.
Dans ce monde réel, les BRICS ne restent pas les bras croisés et ne se perdent pas dans des discours vides de sens. Ils s’efforcent d’aider en particulier les pays de l’Est et du Sud dans les cas concrets où il est urgent et possible d’intervenir. Ainsi les BRICS ont créé la banque BRICS, la Nouvelle Banque de Développement (NDB : New Development Bank), a encouragé l’utilisation des monnaies locales et a mis en place le Contingent Reserve Arrangement (CRA).
La NDB est un outil utile pour aider les pays dans le besoin en finançant des projets à des taux acceptables, tels que la transition vers des bus électriques (Brésil), des centrales hydroélectriques (Russie) et l’approvisionnement en eau (Inde), etc.
Encourager l’utilisation des monnaies nationales pour les transactions a pour effet de réduire la dépendance à l’égard du dollar américain.
L’accord de réserve contingente (CRA : Contingent Reserve Arrangement) des BRICS créé en 2015 est un cadre visant à fournir un soutien au moyen d’instruments de liquidité et de précaution en réponse aux pressions réelles ou potentielles à court terme sur la balance des paiements. Avec le CRA, les BRICS viennent en aide aux pays qui se trouvent en difficulté de paiement à court terme.
Grâce à la bonne volonté et aux efforts de ses membres, les BRICS sont progressivement devenus une plateforme de coopération efficace et opérationnelle. En plus de ces avantages tangibles, les BRICS ont donné plus de voix à leurs membres et au Sud global, structurant un tout nouveau récit géostratégique et donnant l’espoir à l’arrivée d’un nouvel ordre mondial.
Dans le même temps, les BRICS devraient remédier à certaines lacunes s’ils veulent avancer plus rapidement et plus solidement.
Les BRICS n’existent pas encore en tant qu’organisation formelle, mais ils existent en tant que sommet annuel entre les dirigeants suprêmes de cinq nations. La présidence du forum est assurée à tour de rôle chaque année par les membres. C’est une plateforme de coopération. Les circonstances jouent un rôle important. Les membres entretiennent une relation assez relax. Malgré leurs intérêts communs, ils ont des intérêts nationaux divergents déterminés par leur géographie, leur histoire, leur culture, leur stratégie. L’articulation entre ces intérêts réclame beaucoup de travail et de formalisme.
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Les principaux défis
Un certain nombre de chantiers doivent être lancés ou poursuivis avec plus de vigueur et de rapidité.
Processus d’extension
Compte tenu du nombre croissant de candidats souhaitant adhérer de manière formelle ou informelle (plus de 40 selon l’Afrique du Sud3), il est devenu urgent de s’entendre sur le détail des conditions et du processus d’adhésion, tant pour les candidats officiels que pour les candidats observateurs, qui devraient attendre avant de rejoindre les BRICS. L’Inde s’oriente vers un processus de contrôle plus strict, tandis que la Chine semble faire pression pour une plus grande ouverture. L’idée des « BRICS + » avancée par Yaroslav Lissovolik mérite une nouvelle lecture.4
Il faut éviter d’élargir le groupe trop rapidement avant que chacun ait une idée claire de ce qu’il veut. L’expérience de l’Union européenne constitue à cet égard une étude de cas intéressante. Il y a eu une convergence sur le premier groupe de nouveaux membres. D’autres pays candidats devraient devenir pays partenaires d’ici le prochain sommet organisé par la Russie. Cet ajout fait également des BRICS un forum pour certains des plus grands producteurs et exportateurs de combustibles fossiles au monde.
Création de la monnaie BRICS
Un débat est en cours sur la nécessité d’une monnaie commune des BRICS basée sur l’or.
Cette nouvelle monnaie commune réduirait considérablement la dépendance des pays membres actuels et futurs des BRICS à l’égard du dollar, et assurerait autonomie, stabilité financière et protection contre d’éventuelles sanctions et turbulences liées aux cycles de l’économie américaine. Une fois convenu, il ne manquera pas de dynamiter l’hégémonie existante et de préparer l’avènement du nouvel ordre mondial.
Pour un sujet d’une telle importance et complexité, le processus de convergence doit être poursuivi entre les pays BRICS, notamment entre la Chine et l’Inde, pour permettre et développer davantage l’utilisation des monnaies nationales. En particulier, en ce qui concerne l’internationalisation de la Rupie, l’Inde choisit la prudence dans l’adoption de l’initiative, car elle craint qu’une telle démarche n’introduise des complexités et des incertitudes inattendues dans les relations commerciales bien établies avec ses partenaires.5 Des discussions intenses étaient attendues lors du Sommet (voir ci-dessous). Vladimir Poutine a longuement parlé du processus « irréversible » de dédollarisation lors de son discours au sommet et a souligné la dépendance croissante à l’égard des monnaies nationales pour le commerce entre les membres des BRICS et le rôle décroissant de la monnaie américaine.
D’autres questions à l’ordre du jour comprenaient des discussions sur la géopolitique, développement du commerce et des infrastructures. Poutine a décrit les efforts de la Russie pour développer à la fois la route maritime du Nord (le long de la côte sibérienne) et le corridor Nord-Sud entre l’océan Indien et la mer Baltique.
Convergence et divergence entre les membres
Les membres des BRICS partagent totalement un intérêt commun : vouloir établir un ordre mondial alternatif, différent de celui sous la direction américaine. En même temps, ils peuvent avoir des analyses et des positions divergentes sur un certain nombre de questions, par exemple dans le cas de l’Inde et de la Chine.
Ces deux grands pays sont voisins avec une frontière commune importante. Bien que des conflits aient eu lieu dans le passé, ils partagent un intérêt commun dans la quête de l’autonomie et du développement du Sud global. Cela ne les empêche pas d’avoir des attitudes et des positions divergentes sur certains sujets, comme l’extension et la création de la monnaie partagée.
L’Inde a pris conscience, comme tous les autres membres des BRICS, que les pays occidentaux (États-Unis, Europe, Japon, etc.) sont en relatif déclin. Simultanément, l’Inde constate également que ces pays restent des acteurs importants et puissants, dotés d’énormes ressources en termes de capital, de technologie et de marché. Il est vital que l’Inde continue de coopérer avec eux, tout en poursuivant son partenariat avec la Chine. Il ne s’agit pas de s’aligner sur qui que ce soit : l‘Inde décide selon ses propres intérêts. L’Inde a le droit de s’aligner sur elle-même.6 C’est tout à fait compréhensible.
En ce qui concerne l’expansion des BRICS, la Chine et l’Inde ont également des attitudes nuancées. Le premier pays est enclin à aller plus vite tandis que le second prône une approche plus prudente.
La création de la monnaie BRICS fait l’objet d’intenses discussions entre les deux partenaires. La Chine est prête à se lancer, tandis que l’Inde voit cette perspective différemment, comme l’a précisé S. Jaishankar, le ministre indien des Affaires étrangères.7 Créer une monnaie est un long processus qui impacte lourdement les économies des pays concernés et qui va bouleverser l’économie mondiale. Certaines précautions et préparations relèvent simplement du bon sens.
En attendant qu’une convergence complète soit finalisée, l’idée d’une sorte de zone monétaire BRICS à l’image de la zone euro pourrait être examinée.
S’agit-il des germes d’une séparation ? Absolument pas. Ce genre de discussions est sain dans une structure de cette envergure et de cette ampleur. Tant que la zone de divergence ne dépasse pas celle de convergence, cela reste une question interne, gérable au sein des BRICS.
Danger d’une guerre hybride contre les BRICS ?
Tout le monde ne souhaite pas voir la création et le développement d’un ordre mondial alternatif incarné par l’initiative des BRICS. Ces derniers sont la cible de tentatives de guerre hybride visant à les ralentir, voire à les arrêter.8 Bien sûr, il est inutile de s’énerver pour rien, mais, en même temps, une prise de conscience et des contre-mesures sont nécessaires.
L’évolution vers un nouvel ordre du monde n’est pas un sprint, mais un véritable marathon.9 Le Sommet a été l’occasion d’un travail intense entre les membres au plus haut niveau et a aidé à raffiner la roadmap conduisant à une nouvelle étape dans le développement des BRICS.
Comme beaucoup l’avaient prédit, il n’y a pas eu d’annonces sensationnelles et perturbatrices, à la hauteur des attentes des médias concernant l’introduction de la monnaie BRICS. La convergence est un processus lent et complexe. En revanche, un pas en avant a été réalisé en matière d’augmentation du nombre de membres.
Une chose est sûre : bien que le chemin soit long et sinueux, les BRICS, en tant que mouvement puissant et irrésistible, continueront à se développer, balayant tous les obstacles, malgré leur lenteur et les turbulences qui les attendent sur leur chemin. Un nouveau monde est possible.
En même temps, la possibilité d’un dialogue entre les BRICS et le G7 n’est pas non plus à exclure à moyen et long terme. Un jour peut-être, ils trouveront peut-être le moyen de travailler ensemble dans une structure multipolaire sans précédent, en commençant par l’acceptation d’un ou deux membres du G7 en tant qu’observateurs au sommet des BRICS, et, plus tard, en les associant à une coopération plus étroite entre ces deux structures dans le cadre du G20.
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Reuters, August 24th.
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Michel Camdessus, La scène de ce drame est le monde, treize ans à la tête du FMI, Les Arènes, 2014.
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Plus de 40 pays veulent rejoindre le groupe des BRICS, selon l’Afrique du Sud, TRT AFRIKA, 21 juillet 2023.
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Yaroslav D. Lissovolik, BRICS-Plus: the New Force in Global Governance, RIAC, Moscow, Russia.
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Balinder Singh and Dr. Jagmeet Bawa, Reshaping Global Dynamics: BRICS Summit 2023 And Emergence Of New Geopolitical Era – Analysis, August 15, 2023.
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S. Jaishankar, The India Way: Strategies for an uncertain world, HarperCollins, 2020.
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Balinder Singh and Dr. Jagmeet Bawa, Reshaping Global Dynamics: BRICS Summit 2023 And Emergence Of New Geopolitical Era – Analysis, August 15, 2023.
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Pepe Escobar, The Hegemon Will Go Full Hybrid War Against BRICS+, June 10, 2023.
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Ray Dalio : Principles for dealing with the changing world order, Simon & Schuster, 2021.