Régionalisme, autonomie différenciée, justice, fiscalité : les réformes à mener sont nombreuses. Y parvenir est un véritable test pour les partis politiques, mais aussi pour l’Italie.
« Si Michelangelo, Raffaello ou Leonardo Da Vinci n’avaient pas osé, nous n’aurions pas ce qu’ils ont fait. Il faut oser. » Ainsi, le vice-Premier ministre et ministre de l’Infrastructure Matteo Salvini a demandé au Sénat l’approbation du décret sur le pont du détroit de Messine. Le feu vert définitif du Parlement à la loi pour la construction du « pont » entre la Calabre et la Sicile est arrivé le 25 mai. Et c’était une bonne nouvelle pour la majorité (et aussi pour le pays, qui dépense chaque année entre 6 et 11 milliards d’euros pour pallier ce manque de connexion entre la Sicile et le continent dont on parle depuis des décennies sans que la première pierre ne soit jamais posée). L’Italie sera plus unie, dit Salvini. Et plus de 100 000 nouveaux emplois sont attendus pour la construction de l’ouvrage et environ 400 000 si l’on considère les entreprises siciliennes qui pourront contribuer à divers titres à la construction.
Même pour le président de Forza Italia, Silvio Berlusconi, le fait que ce grand travail se profile à l’horizon est un objectif : la première pierre devrait être posée d’ici l’été 2024, et pour l’ancien Premier ministre, c’est un engagement maintenu avec les Calabrais et les Siciliens. Un chemin, en fait, que les précédents gouvernements Berlusconi avaient commencé, et que selon Berlusconi « la gauche avait coupablement interrompu ». Désormais, la route semble vraiment tracée. La sécurité des ouvrages et la durabilité dans le temps restent inconnues.
Enjamber la mer
À ceux qui disent que le pont sur le détroit ne tient pas, Salvini rappelle qu’en 1968, Pierluigi Nervi, l’un des plus grands ingénieurs et architectes du xxe siècle, a également présenté un projet. « C’est le pont le plus étudié au monde », insiste le vice-Premier ministre. Mais dans l’opposition, il y a ceux qui croient que le pont n’est qu’un « jouet [qui] risque de détruire deux villes », dit Barbara Floridia du Mouvement 5 étoiles (M5S). Mais de quoi s’agit-il ?
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Un pont suspendu, à une seule travée, d’un peu plus de 3 km de long et de 65 mètres de haut pour permettre le passage de grands navires, avec six voies routières et deux voies ferrées. 56 milliards d’investissements prévus. Un travail qui a également eu le soutien politique des centristes d’Italia Viva, car « les infrastructures n’ont pas de couleur politique », soutiennent-ils. Le pont pourrait être le symbole de ce que la majorité définit comme le « gouvernement du faire ». En fait, la construction de nouveaux grands ouvrages (et le bon entretien de ceux existants) a été le véritable talon d’Achille de l’Italie ces dernières années. En effet, il n’y a pas simplement en projet le pont sur le détroit de Messine : il y a ensuite les voies ferrées à grande vitesse, entre le sud et le nord-est (et entre Rome et la mer Adriatique), l’un des chapitres les plus conséquents du Piano Nazionale di Ripresa e Resilienza (PNRR), à son tour la mère de toutes les réformes, le nouveau plan Marshall pour faire avancer un pays partiellement replié sur lui-même.
Le PNRR est un héritage du gouvernement Draghi, mais Meloni joue sa crédibilité, au milieu des polémiques et des critiques, précisément sur la réalisation des nombreux objectifs fixés. Le PNRR veut secouer le pays, mais il oblige aussi l’administration publique à se repenser : le nouveau code des marchés publics, présenté par le ministre Salvini au nom de l’accélération des procédures, était un début.
Moins d’immigrants illégaux, plus de travailleurs réguliers des pays en développement (et éventuellement formés localement), telle est l’idée en cours pour remodeler l’immigration. Et dans l’ensemble, les partis de la majorité ont trouvé un certain équilibre, une répartition des tâches et des responsabilités et des sujets majeurs sur lesquels converger. La majorité de centre-droit et les ministres au pouvoir en Italie depuis octobre 2022 sont en fait une expression de la coalition qui a remporté les élections, et donc en théorie ce gouvernement devrait avoir une plus grande compréhension des projets à mettre en œuvre, réduisant le temps pour agir. Avant tout, chaque parti majoritaire entend mettre en œuvre certains aspects du programme commun. Une fois les premières urgences en quelque sorte tamponnées, des rave parties aux superbonus (notamment ceux hérités des gouvernements précédents), l’exécutif tente donc de pousser sur l’accélérateur des grands travaux et des réformes.
Réforme des régions
Dans la majorité, la Ligue du vice-Premier ministre Matteo Salvini pousse parallèlement pour des « autonomies différenciées » entre les territoires de la péninsule. Tirant ses racines dans la Ligue du Nord, le parti de Salvini entende arracher plus de pouvoir et d’indépendance pour les régions septentrionales, beaucoup plus riches que celles de l’Italie méridionale. « L’acharnement de ce gouvernement contre le sud de ce pays est incompréhensible », a tonné le leader démocrate Elly Schlein, pour qui l’autonomie différenciée risque « d’aggraver les inégalités orientales » déjà criantes. La formation, la santé, l’éducation et la protection de l’environnement sont quelques-unes des fonctions qui peuvent être attribuées par l’État aux régions sur la base d’une autonomie différenciée. La Lombardie, la Vénétie et l’Émilie-Romagne ont déjà entamé la procédure d’un accord avec le gouvernement. Cependant, la procédure prévue pour l’attribution de l’autonomie différenciée n’a pas encore été pleinement mise en œuvre, c’est pourquoi est né le projet de loi (valable tant pour les régions à statut ordinaire que pour celles à statut spécial) proposé par le ministre des Affaires régionales et des autonomies Roberto Calderoli (Ligue) : un texte en 10 articles.
Chaque parti de gouvernement incarne des valeurs claires : du plus modéré de Forza Italia, au plus connoté comme la Ligue et jusqu’à la patrouille numériquement la plus forte, de Fratelli d’Italie (FdI), le premier parti dans le pays dirigé par Giorgia Meloni, tous veulent démontrer qu’ils sont à la hauteur de la tâche reçue par les Italiens.
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Mais quelles sont les réformes en cours pour changer le pays ? Les dossiers les plus chauds sont le travail, la fiscalité et l’énergie. Les discussions ont déjà commencé sur la réforme du système des retraites et l’objectif est d’accélérer le processus avec une réforme de la justice ; le gouvernement travaille également sur un « grand plan structurel » sur la natalité (pour la première fois depuis l’unification de l’Italie, les naissances sont passées sous le seuil des 400 000 unités, s’établissant à 393 000 en 2022) et sur l’amélioration de la lutte contre les passeurs dans la Méditerranée (déjà partiellement entamé avec le décret Cutro). Si le dossier conséquent (et épineux) des réformes institutionnelles est confié à la responsabilité de Maria Elisabetta Alberti Casellati (Forza Italia), une série d’autres interventions en cours sont du ressort d’autres ministres.
Nombreux chantiers en cours
Au sujet des réformes, Meloni a rappelé que celles sur l’autonomie différenciée et le présidentialisme arriveront en fin de législature : « Elles sont dans le programme de centre-droit. L’autonomie renforcera la cohésion grâce à une indication des niveaux de performance indispensables et l’autonomie responsabilise les régions, les rend plus vertueuses. La réforme de l’État est fondamentale », plaide le Premier ministre.
Le gouvernement s’emploie également à faire de la réduction du coin fiscal (sur le travail) une mesure structurelle. La réduction des impôts sur le travail est une priorité. Enfin, Meloni a répété à plusieurs reprises à quel point « la posture de l’Italie est sérieuse, d’une Italie fiable qui ne signifie pas condescendante, et pour cette raison, elle est respectée au niveau international ». De l’issue des réformes de Meloni & Co., on comprendra également si une saine démocratie d’alternance peut être établie en Italie, dans laquelle les électeurs peuvent récompenser ou punir les partis au gouvernement et récompenser ceux de l’opposition, ou si perdure encore la logique de l’urgence fondée sur des « accords larges ».
Ces dix dernières années, en effet, les exécutifs sont surtout nés d’accord entre forces politiques, souvent différentes et théoriquement opposées. Et ce fut certainement l’une des raisons des difficultés de l’Italie à réformer le pays et à avoir un dialogue constant (et clair) avec les autres partenaires européens. Mais le Premier ministre Meloni est persuadé que cette fois, c’est différent : « J’ai le mandat des Italiens » pour lancer le chantier des « réformes institutionnelles dont l’Italie a besoin », a prévenu la leader de FdI, à l’ouverture du dialogue avec les représentants des partis politiques, en mai dernier. Et dans cette hypothèse, son gouvernement semble orienté à jouer le jeu.
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