Haut lieu de la Préhistoire européenne, les alignements de Carnac constituent le sanctuaire mégalithique le plus concentré et le plus grand du monde.
Stonehenge est le plus célèbre, mais Carnac le plus grand du monde. Nichés dans le sud du Morbihan, au cœur de la baie de Quiberon, entre la baie de Plouharnel et la rivière de Trinité-sur-Mer, près de 4 000 menhirs s’étendent sur 4 kilomètres, et avec eux leurs secrets et leurs mystères.
Lieu fascinant
Les menhirs de Carnac marquent la jonction de deux territoires différents : le littoral au sud, et le continental au nord. Plus de 3 000 menhirs, vieux de 6 000 ans, charpentent trois sites d’alignements principaux : le Ménec, Kermario et Kerlescan. Les récentes fouilles préventives ont permis d’obtenir plus de datations s’échelonnant entre 4 800 et 3 500 avant Jésus-Christ, soit durant la période néolithique.
Les menhirs, gros blocs de pierre à la forme allongée et dressée à la verticale, se distinguent des dolmens, composés de plusieurs dalles horizontales posées sur des pierres verticales formant piliers. Aujourd’hui encore, l’énigme des menhirs de Carnac reste entière, et de nombreuses hypothèses sont émises au fur et à mesure des siècles et des découvertes : objets de culte du soleil ou de la lune, calendrier agricole, observatoire astronomique, instruments sismiques, temple préhistorique, ou bien frontière pour lieux de passage. Aucune dépouille n’a été retrouvée, ce qui exclut l’éventualité de stèles funéraires. Ce qui est certain, c’est que s’opère sur ce site une théâtralisation de l’espace. Les lieux ont été occupés durant les âges des métaux. Bon nombre de ces menhirs ont été réutilisés et certains semblent avoir servi de lieux de culte durant la période gallo-romaine.
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Plusieurs légendes tentent d’expliquer leurs origines, des légendes parfois horrifiantes qui en font un haut lieu de superstition. Celle de Saint Cornély raconte que des soldats romains poursuivant ce saint breton furent pétrifiés et transformés en menhirs ; une ancienne pierre boiteuse, située près du village de Luffang, à Crach, serait également un soldat romain pétrifié, mais en retard sur le reste de l’armée, car boiteux. Cette légende, apparue au XIXe siècle, fut très populaire auprès des enfants de Carnac. Un autre récit concerne le menhir de Krifol, au nord de l’alignement du Ménec. Il serait le corps changé en pierre de Minour Krifol, un jeune homme très riche que Dieu aurait puni de sa luxure, ou bien un soldat déserteur. En 1732, l’écrivain André-François Boureau-Deslandes y voit des vestiges du Déluge.
C’est seulement à partir de 1750 que l’on commence à s’intéresser explicitement aux alignements, et c’est à cette époque que les premières hypothèses scientifiques sont émises. En 1764, le comte de Caylus présume que les mégalithes dateraient d’avant l’époque des Gaulois et des Romains, puis en 1790, le préfet François de Pommereul émet l’hypothèse d’une origine celte. Ce qui est certain, c’est que cette histoire fascine de nombreux écrivains et intellectuels, tels que Mérimée dans ses Notes de voyage en 1835, ou encore Flaubert ou Maxime du Camp en 1847.
Symbole breton
Certaines pierres sont plus anciennes que d’autres. Le Géant de Manio, la plus grande pierre dressée du site, mesure 6,5 mètres de haut. Ces blocs de granit local sont placés par ordre décroissant vers l’est, et chaque alignement s’achève sur un cromlech, soit une enceinte mégalithe, plus ou moins visible. Ils constituent une véritable architecture, un schéma structuré en fonction de la géographie et de la topographie du territoire.
Les alignements du Ménec sont les plus représentatifs. Sur 1 165 mètres de long, 1 099 menhirs sont répartis sur 11 files. Ceux du Kermario sont les plus connus. Ils contiennent les plus gros menhirs. Le moulin de Kermaux offre un point de vue intéressant sur les alignements. L’étang de Kerloquet, creusé au XIXe siècle en détruisant une partie des blocs, sépare le Kermario du Manio. Enfin, le Kerlescan et le Petit Ménec sont les mieux conservés. Sur 3,50 hectares de surface, ils se prolongent dans un bois.
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Les alignements que l’on peut visiter aujourd’hui ne sont pas ceux que virent les premiers hommes. Au Moyen-Âge, une première chapelle, Saint-Michel, est installée sur le tumulus. Puis à l’époque moderne, des murets parcellaires morcelant les alignements pour le pâturage se densifient. C’est à la fin du XIXe siècle que les recherches s’intensifient. Des plans sont dressés et il est frappant de constater que, même en un siècle, le site a été fortement modifié. En 1881, des fouilles sont entreprises par l’archéologue James Miln, puis par son assistant Zacharie Le Rouzic en 1920. Les deux savants tiennent à vérifier les origines de ces pratiques. Ils participent également à la mise en valeur du site dégradé par les pratiques agricoles, les pâturages, les brûlis et le tracé des routes. La majorité des pierres a été renversée ou déplacée. Nombreuses sont celles qui ont été prélevées afin de construire l’église de Carnac à partir de 1620 ou bien le phare de Belle-Île-en-Mer à partir de 1826. Les deux hommes en relèvent beaucoup. Zacharie Le Rouzic les signale par l’apposition d’une pastille de mortier rougeâtre.
Durant la Seconde Guerre mondiale, la protection du site est privilégiée. L’occupant allemand organise des relevés topographiques en 1941 et 1942. Les recherches sont organisées par l’Institut géographique allemand, et sont directement chapeautées par Alfred Rosenberg, l’un des idéologues du parti nazi, avant que le cours de la guerre ne les interrompe. Il s’agit du dernier chantier archéologique de grande ampleur. Enfin, au printemps 2014, des fouilles préventives sont effectuées, elles révèlent des traces d’habitations néolithiques, ce qui suggère que les constructeurs de ces alignements habitaient à proximité de ces installations mégalithiques. Les marques d’outil de carriers témoignent de la réutilisation des menhirs pour des bâtisses. Mais la perception d’ensemble n’a pas disparu.