Fondée en 2019, l’association Arcade encadre des volontaires de moins de 30 ans sur des chantiers de restauration en France. Artisan de la transmission, elle mobilise des jeunes pour tisser du lien social dans les villages à travers la restauration du patrimoine.
Entretien avec Amaury Gomart, président d’Arcade. Propos recueillis par Pétronille de Lestrade.
Comment l’association Arcade est-elle née et comment fonctionne-t-elle ?
Nous avons fondé cette association fin 2019, avec quatre amis. Nous avions plusieurs objectifs : l’envie à la fois de proposer quelque chose qui ait du sens pour la jeunesse, de donner du sens à ses vacances, avec ces camps de service dans les campagnes au service de notre patrimoine en mauvais état, et un but un peu plus ultime consistant à tisser du lien entre Français à travers la restauration du patrimoine, donc de faire du patrimoine un lieu d’unité entre Français, entre générations et milieux sociaux.
Il y a eu une première saison de chantiers en 2020. L’idée est de proposer à un maximum de jeunes de donner de leur temps pour aller aider un château, une abbaye, une église, un fort, un moulin en mauvais état. Nous en sommes cette année à notre quatrième saison de chantiers, et nous travaillons sur 26 lieux contre 12 l’année dernière. 650 jeunes ont été bénévoles depuis quatre ans.
Nous sommes une quinzaine de bénévoles à l’année, et une salariée travaille à plein temps pour Arcade depuis septembre 2022. Les bénévoles font cela à côté de leurs études ou de leur métier. Nous fonctionnons par pôles. Nous avons un bureau qui dirige l’association, un pôle chantiers qui organise concrètement la gestion de chaque chantier, en lien avec les gestionnaires de lieux, les artisans, les habitants du coin, et qui accueille les volontaires sur place. Nous avons un pôle communication qui fait tout le travail de recrutement et de communication pour présenter le travail de l’association sur le lieu, et un pôle évènementiel dont le rôle est de promouvoir Arcade ; nous avons ainsi une troupe de théâtre, des conférences, des apéros mensuels à Paris, un chœur.
Comment choisissez-vous les lieux où vous intervenez ?
Pour choisir les lieux, publics ou privés, que nous allons aider, nous avons plusieurs critères. Il faut qu’il y ait un minimum de projet sur place. Nous avons en tête le bien commun. Il faut également que des jeunes bénévoles qui ne connaissent strictement rien aux métiers du bâtiment puissent y travailler, que le lien social soit un minimum jouable sur place. De manière plus générale, nous devons sentir qu’envoyer des jeunes bénévoles aura du sens, que cela se passera bien, que les volontaires comprendront leur mission. Nous essayons également de diversifier les régions françaises. Il nous reste encore, par exemple, à développer le sud-ouest.
Pourquoi le patrimoine est-il si important ?
Quand on est jeune, cela peut en effet paraître un peu étrange. On peut se dire que c’est quelque chose qui n’est plus de notre génération. Quand il est vivant et ne vient pas juste des ruines qu’on est en train de conserver un peu comme un musée, le patrimoine devient réellement un lieu de vie et un lieu de transmission. On s’inscrit dans le temps long de l’histoire. Ce qu’il se passe sur chaque chantier est presque de l’ordre du métaphysique. Nous recevons quelque chose qui nous dépasse complètement, mais que nous tenons à transmettre aux générations suivantes. Dans une société et un moment de l’histoire où nous avons l’impression que tout est coupé, qu’il n’y a plus de lien avec le passé, ni le présent ou le futur, ni de liens entre les gens, le patrimoine est l’un des rares lieux qui permet encore à ce lien d’exister, à la fois dans l’espace et dans le temps. C’est également pour cela que nous avons voulu nous y jeter, pour y retrouver cette notion d’unité.
Et nous avons la chance d’avoir un patrimoine magnifique en France.
À lire également
Le grand retour de la terre dans les patrimoines
Augustin Latron, avec qui nous avons eu l’idée d’Arcade, et moi-même sommes tous les deux Vendéens. Nous avons baigné dans une histoire forte en Vendée, avons été éduqués au beau, et nous avons pu visiter de nombreuses choses dans notre jeunesse. Nous avons grandi avec Stéphane Bern qui parle beaucoup du patrimoine en souffrance à la télévision. Il était donc assez naturel pour nous de se diriger vers ce patrimoine qui souffre dans les campagnes. Nous pouvons toujours apporter notre petite pierre à l’édifice. Nous ne sommes pas des spécialistes du patrimoine, mais nous sommes à son service.
Vous insistez également beaucoup sur le lien social avec les habitants, pourquoi est-ce si fondamental ?
En effet, les deux piliers d’Arcade sont la restauration matérielle des lieux et le lien avec les habitants des alentours. Pour nous, le patrimoine n’est pas uniquement un bâtiment. Les premiers bénéficiaires sont d’abord les locaux. Un château a été construit pour avoir des châtelains, certes, mais également tout un système économique autour, une église pour permettre aux habitants d’y prier, un lavoir pour laver leur linge, un moulin pour les nourrir. Nos ancêtres n’ont pas bâti le patrimoine simplement pour la beauté, mais pour allier l’utile à l’agréable. Nous avons donc vraiment à cœur de montrer que le patrimoine est avant tout un lieu où les gens demeurent, travaillent, vivent au quotidien. Et cela n’avait donc pas de sens de venir aider un simple bâtiment sans avoir de lien avec les gens qui en sont les premiers bénéficiaires. Nous ne voulions pas être là pour nous donner bonne conscience en sauvant le château du coin, mais nous voulions découvrir les diverses réalités locales.
Ainsi, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait aujourd’hui beaucoup de solitude. Et c’est peut-être le propre de la jeunesse d’apporter de la joie et de la générosité. On parle beaucoup des périphéries rurales qui sont en grande souffrance, et nos volontaires viennent apporter une petite goutte d’espérance en rentrant par la porte de service et en allant à la rencontre des anciens et des enfants du village.
Comment expliquez-vous le succès fulgurant de l’association ?
Nous sommes peut-être l’une des réponses à un besoin énorme d’une génération qui recherche du sens à ce qu’elle fait, une génération très exigeante sur le sens de son travail et de sa vie. Elle a grandi derrière les écrans, ne voit pas toujours le fruit de son travail. C’est donc également un besoin de retrouver du pratique, du matériel, de savoir qu’elle peut faire quelque chose de ses dix doigts. Il s’agit d’une vraie quête de sens et de concret. Et il n’y a rien de plus concret que d’avoir une truelle à la main, d’être près d’un maçon, d’un artisan qui apprend à monter un mur, d’un charpentier, d’un tailleur de pierres. Il y a une soif de découvrir le fruit de son travail en quelques jours, voire en quelques heures.
La plupart des jeunes qui s’engagent sur un chantier ne sont pas du tout habitués, ce n’est pas leur quotidien. Ce sont des néophytes des métiers du bâtiment. Mais bien encadrés, ils peuvent faire du beau travail. Et il n’y a pas de plus grande joie que de voir le fruit de son travail.
À lire également
« Vaincre ou mourir » : l’histoire de France à l’écran
Et nul besoin d’être formé. Au contraire, nous pouvons faire venir n’importe quel jeune Français entre 18 et 30 ans. Sur place, l’encadrement est mené par le gestionnaire de lieu ou bien un artisan local ou à la retraite quand il y a besoin de savoir-faire technique. À l’avenir, Arcade veut aussi favoriser la transmission du savoir-faire. Nous manquons cruellement d’artisans aujourd’hui. Cela peut permettre aux jeunes de découvrir ces métiers.
La moyenne d’âge est de 22 à 25 ans. La plupart des volontaires sont des citadins, en tout cas pour leurs études ou leur profession. Nous sommes beaucoup d’anciens scouts, des jeunes très bien intégrés dans le système général. Une majorité est liée à la foi catholique. À terme, l’objectif est d’accueillir n’importe quel jeune de France.
Quels sont vos perspectives et projets pour l’avenir ? Comment comptez-vous développer l’association ?
L’objectif est d’être un lieu de passage naturel pour des milliers de jeunes Français, un rare lieu de cohésion entre jeunes. Nous faisons quelque chose de concret ensemble, ce ne sont pas simplement des mots en l’air, comme « vivre ensemble » ou autre, que nous avons du mal à décliner concrètement. Nous avons également l’intention de développer l’aspect de la transmission, du témoignage d’une jeunesse en service. À terme, nous voulons que partout dans les campagnes, des milliers de jeunes chaque année s’élancent avec le tee-shirt Arcade et une truelle à la main pour rendre service.