Idéalement située au cœur de la Provence verte, la Chartreuse de Montrieux-le-Jeune repose en paix.
L’association Arcade y commence tout juste son action. La chartreuse de Montrieux est située dans le Var, et bâtie sur les contreforts est du massif de la Sainte Baume. Une forêt domaniale la protège et assure son isolement, tout en prévenant le risque de voir s’élever de nouvelles constructions dans le voisinage immédiat. Le vaste édifice occupe une cuvette de terres cultivables au milieu de collines provençales des plus typiques.
Des siècles de contemplation
La chartreuse de Montrieux-le-Jeune est fondée en 1137, à peine 50 ans après la création de l’ordre par saint-Bruno. Elle est la huitième maison de l’ordre.
Plusieurs légendes existent quant à sa fondation. L’une raconte qu’un gentilhomme italien, transporté à la Sainte Baume pour implorer sa guérison, fit le vœu, s’il recueillait les faveurs du ciel, de bâtir un monastère dans les environs de la célèbre grotte. Obtenant justice, il légua l’édifice aux chartreux qui y construisirent les premières cellules ainsi que la chapelle. Une autre légende est relatée par le poète Pétrarque : deux frères génois, l’un commerçant avec l’Orient, l’autre avec l’Occident, se retrouvaient régulièrement à Gênes. Un jour, celui de l’Orient ne voyant pas son frère revenir, apprit qu’il avait débarqué à Marseille, et décida d’aller le chercher. Il le trouva dans une forêt, où il s’était installé en attendant la mort.
La chartreuse se peuple en quelques années. Les frères de Montrieux essaiment en Provence, et fondent notamment la chartreuse Notre-Dame de la Verne, en 1170. Au Moyen-Âge, un père revenant de voyage en Orient en rapporte des graines et des plants de styrax aliboufier, qu’il plante autour du monastère. La culture progresse pour devenir une immense forêt, s’étendant des Saintes-Maries-de-la-Mer à Fréjus, et de Solliès à Roquebrune. Elle acquiert une réputation très prometteuse auprès des pharmaciens et des botanistes, et ce durant des siècles, avant de tomber peu à peu dans l’oubli. Redécouvert au XIXe siècle, son bois est utilisé pour fabriquer des chapelets qui, incisés, exsudent une résine blanche parfumée, offerte aux amis des chartreux.
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Vers 1342, Gherardo Petracco, frère de Pétrarque, s’installe à Montrieux après la disparition de sa bien-aimée, « La Bella Donna ». Son frère lui rend visite par deux fois, et ce passage du grand poète est resté très ancré dans la région. Seul survivant de la Grande Peste de 1348, Gherardo se rend à la Grande Chartreuse. On lui permet alors de choisir de nouveaux religieux afin de repeupler le monastère de Montrieux. À sa mort, Pétrarque lègue aux moines une grande partie de sa fortune.
Durant la Révolution française, les moines sont contraints de partir. La chartreuse est alors livrée au pillage, les livres de la bibliothèque sont jetés par les fenêtres, les manuscrits sont lacérés et utilisés comme supports pour les tambours, les tombes sont profanées. Les habitants se précipitent sur le terrain abandonné afin de l’exploiter. Le monastère se convertit alors en ferme, puis retourne à sa fonction d’origine en 1821, avant d’être racheté par l’évêché de Fréjus en 1943. Il fait même office d’hôpital durant la Seconde Guerre mondiale.
Une seconde fois, les moines sont contraints de quitter le lieu en 1903, en vertu de la loi sur les associations de 1901. Ils sont 14 pères et 14 frères convers à se réfugier à la chartreuse italienne de la Cervara. Avant la Guerre de 40, la communauté de la Cervara fusionne avec celle de Montrieux, et quitte l’Italie pour s’installer à Mougères.
En 1944, afin d’éviter les routes de la côte minées par les Allemands, une partie des troupes alliées débarquées en Provence passe par le monastère de Montrieux avant de rejoindre Toulon. Elles laissent leur nom au « chemin des Turcos », qui relie la chartreuse au village de Revest-les-Eaux.
Des hommes et un dieu
La chartreuse de Montrieux-le-Jeune est bordée par les sources du Gapeau. Montrieux désigne les « monts riants », les collines provençales où se nichent les bâtiments monastiques. Édifice plusieurs fois détruit, et plusieurs fois reconstruit, il abrite la dépouille du Comte de Valbelle, dont le tombeau, l’un des plus beaux monuments de Provence, fut détruit par la Révolution française. L’église Saint-Sulpice est historiquement liée à la famille de Valbelle, qui possédait également le château de Tourves. Les bâtiments actuels datent des XVIIe et XVIIIe siècles, il ne reste absolument rien des bâtiments primitifs. Mais le monastère s’élève toujours au même emplacement, et le plan actuel est très probablement le même que celui du XIIe siècle.
À quelques kilomètres se trouve la symétrie, Montrieux-le-Vieux, village où les vestiges d’un autre couvent sont préservés. Il s’agit d’une ancienne correrie, maison dans le voisinage d’un monastère placée sous la direction du père procureur ou courrier, qui logeait des domestiques, des frères convers qui ne craignaient pas de troubler le recueillement des moines pendant leurs travaux, ou des religieux âgés et infirmes qui nécessitaient une règle plus souple.
À Montrieux-le-Jeune ne subsistent plus que des pans de murs croulants, des ronces et les débris d’un pont rustique. C’est pourquoi Arcade a couru sa rescousse.
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Ces murs témoins des vicissitudes de l’histoire abritent des hommes à la vocation bien particulière. La solitude est le maître-mot. Les chartreux, tout comme les bénédictins, ne possèdent aucun effet personnel. Ils peuvent disposer d’un atelier dans leur cellule, le travail servant leur épanouissement spirituel. Mais leurs œuvres ne peuvent être vues qu’une fois achevées. La nourriture est simple. Les liens avec le monde extérieur sont limités au strict nécessaire et très rares sont les exceptions : revues religieuses, activités électorales… Une fois leur contemplation achevée, les moines sont enterrés sous des croix sobres, dans un petit cimetière attenant.
Leur quotidien est caractérisé par un grand renoncement, et leur vie est ordonnée de manière à tendre vers la pureté du cœur, davantage propice à la contemplation et à la prière. L’ascèse extérieure et le travail intérieur sont de mise, en un mot l’oubli de soi.
Ils sont aujourd’hui un petit groupe de moines solitaires, sous la protection d’un prieur. Se rassemblant trois fois par jour pour la messe et la lecture de l’office, ils poursuivent seuls dans leur cellule leurs dévotions. Les novices sont formés à la Grande Chartreuse ou à la Chartreuse de Portes, et ne rejoignent Montrieux qu’une fois acquit à la vie réglée qui les attend.