L’Inde compte 1,4 milliard d’habitants en 2023, soit 17,2% de la population mondiale. En cette année 2023, elle est en passe de devenir le pays le plus peuplé du monde. Les famines et les drames promis dans les années 1960 ne sont pas arrivés, preuve que la croissance démographique ne conduit pas nécessairement au chaos. Néanmoins, le poids démographie engendre d’immenses défis sociaux et politiques.
Depuis 1950, l’Inde connaît une croissance rapide de sa population. Selon des estimations publiées le 19 avril 2023 par le Fond des Nations-Unies pour la population (UNFPA), la population de l’Inde atteindra 1,4286 milliard d’habitants à la mi-2023, dépassant de trois cents millions la population chinoise, estimée à 1,4257 milliard. Elle devrait encore accroître sa population de 50% à l’horizon 2050.
Les programmes de limitation des naissances en Inde
Cette croissance rapide de la population est pourtant en opposition avec la volonté de maîtriser la population par une limitation des naissances. Certains États ont même une fécondité inférieure au seuil de remplacement des générations. L’Inde a acquis depuis 1950 un tel potentiel de croissance que cette stabilisation démographique est repoussée à l’horizon 2050, contrairement à la Chine, qui compte sur 2030 pour voir sa population stabilisée.
Depuis 1951, quelques années après l’indépendance, l’État indien avait déjà fait état « d’un problème de population », qui croissait bien trop rapidement : de 1941 à 1951, le taux de croissance est de 1,25% par an. L’État met alors en place un programme de planification familiale, visant à réduire le nombre de naissance et à populariser les méthodes de contraception, à légaliser la stérilisation et l’avortement. L’échec de ce premier programme apparaît clairement au milieu des années 1970. La population augmente alors de 2,2% par an, ce qui signifierait un doublement de la population en 32 ans.
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De plus, cette politique de contrôle des naissances s’est accompagnée de violences sociales et de maltraitance de la population, ce qui engendre aussi des pouvoirs éthiques. En 1975, le Premier ministre Indira Gandhi décrète l’État d’urgence et lance une « politique nationale de la population », au rang de priorité nationale, qui met en place notamment des stérilisations forcées. L’échec du Congrès dû à ce refus de la population amène Indira Gandhi à préférer la persuasion à la coercition, et à transformer le programme de « planification familiale » en « bien-être familial ».
Entre 1951 et 2001, la population indienne a été malgré tout multipliée par 2,8. En 2000, l’Inde adopte un nouveau programme de stabilisation de la population pour 2045 avec pour objectif une fécondité au seuil du remplacement en 2010. Cependant, ces objectifs risquent de se heurter à l’inertie démographique : l’Inde a accumulé un trop grand potentiel de croissance.
La Révolution verte ou solution aux crises démographiques
La “Révolution verte” aussi appelée “troisième révolution agricole” est une politique mise en place par des pays moins développés ou émergents pour transformer l’agriculture fondée sur l’intensification des cultures au moyen de l’utilisation de céréales à haut potentiel de rendements (blé, riz) d’engrais, de la mécanisation et d’un accent sur l’irrigation. Ces techniques ont permis dans les années 1960-1990 une amélioration sans précédent de la productivité agricole. En produisant plus à moindre prix, les pays et notamment l’Inde ont pu faire face à la croissance démographique et aux risques de soulèvements dus aux famines.
En Inde, cette révolution est initiée par le ministre de l’Agriculture Chidambaram Subramaniam en 1964, à la mort de Nehru. À la fin des années 1970, la production de blé est multipliée par dix, celle de riz par trois. Des régions semi-désertiques comme le Pendjab sont ainsi devenues l’une des plus riches de l’Inde. Les famines ont ainsi pu être évitées. Cette révolution a permis à l’Inde de faire face à ses propres besoins alimentaires, à ceux d’autres pays.
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Bien que la malnutrition n’ait pas été encore éradiquée, que certains emplois excessifs des engrais aient mené à une pollution des sols, la Révolution verte démontre que la croissance démographique, si la science est bien couplée avec des politiques efficaces et avec un fédéralisme coopératif au sens propre, non seulement ne conduit pas au chaos, mais peut servir les intérêts d’un pays.
Évolution rapide de la transition démographique dans le Sud
En Inde, les États du Sud, moins peuplés et moins pauvres, notamment le Kerala, Tamil Nadu, Andhra Pradesh et Karnataka, ont vu leurs taux de natalité diminuer de 44 pour 1 000 dans la décennie 1950 à 17 pour 1 000 en 2002. La fécondité, qui était de 5,6 enfants par femme dans les années 1950, est aujourd’hui inférieure à celle de la France (1,8 contre 1,9). Le changement drastique dans ces États s’explique par l’efficacité des politiques mise en œuvre. K. C. Zachariah énumère une longue liste de facteurs ayant concouru à faire baisser la fécondité au Kerala, comme « l’élévation de l’âge au mariage, la contraception, la stérilisation, les programmes de santé maternelle et infantile, la progression de l’instruction chez les femmes, les mesures en faveur de l’égalité hommes-femmes et l’engagement politique de l’État dans des actions à caractère social ». Ces facteurs en interaction avec le contexte économique expliquent aussi la rapidité de la baisse de la fécondité. Notamment au Tamil Nadu, les parents face à la pauvreté et au contexte de stagnation économique préfèrent limiter le nombre d’enfants dans l’espoir de leur offrir une vie meilleure.
Les handicaps du Nord
Dans les États très peuplés du nord du pays (Uttar Pradesh, Bihar, Madhya Pradesh et Rajasthan), la croissance démographique reste rapide et les taux d’accroissement sont aujourd’hui toujours supérieurs à 2 % par an. Ces quatre États, qui totalisent 365 millions d’habitants en 2001, pèsent fortement dans le total indien et expliquent la lenteur apparente des évolutions à l’échelle du pays. C’est au Bihar que le taux annuel d’accroissement naturel est le plus élevé (2,3 % en 2002).
Les taux de natalité de l’Uttar Pradesh, du Bihar, du Madhya Pradesh et du Rajasthan sont tous supérieurs à 30 pour 1000 en 2002 et la fécondité y demeure proche de 4 enfants par femme, contre une moyenne de 3 enfants à l’échelle de l’Inde entière. Les femmes de l’Uttar Pradesh, État le plus peuplé du pays (166 millions d’habitants en 2001), mettent au monde en moyenne 4,4 enfants en 2002. Les États du Nord cumulent différents facteurs expliquant que la transition démographique y soit plus tardive : un moindre engagement politique dans la mise en œuvre des programmes de planification familiale, un moindre niveau d’instruction en particulier chez les femmes, une mortalité infantile et juvénile plus élevée, une couverture des services de santé plus limitée.
La démographie indienne, avantage ou risque social ?
Jusqu’aux années 2050, l’Inde ne peut pas échapper à un accroissement de près de plus de la moitié de sa population. Si la stabilisation des naissances est déjà bien engagée dans certains États moins pauvres, l’Inde est également confrontée à la persistance de la pauvreté, à de graves problèmes de sous-emploi et de chômage et à une importante dégradation de l’environnement. Concilier cette augmentation de la population avec une prospérité économique devient un enjeu majeur pour l’Inde, dont la démographie deviendra alors un véritable outil de puissance.
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