L’exposition des œuvres de Capodimonte apporte des airs napolitains au musée du Louvre. Ce sont 70 pièces qui sont présentées au public, dans une correspondance des artistes et des courants picturaux.
Deux palais royaux, deux capitales, dialoguent via leurs œuvres exposées. Celles de Capodimonte et celles du Louvre, pour une exposition exceptionnelle qui offre à voir des peintres de génie.
Sur les hauteurs de Naples, au-dessus des bruits et de la fureur de la ville, dans un jardin où le calme côtoie la verdure, la vue sur le Vésuve et la large baie, est bâti le palais de Capodimonte, résidence de chasse des Bourbons. Naples, capitale d’un royaume ancien et puissant attire les artistes, financés par les couvents, les églises, les souverains. Capodimonte est aujourd’hui l’un des plus grands musées d’Europe, à la collection riche et variée. Peintres de Venise, de Florence, de Rome ou bien de Naples, l’exposition démontre les cités d’influence, de production, de création de l’Italie, ou comment la concurrence politique des cités et des royaumes a conduit à une création artistique sans précédent.
Des œuvres qui se répondent
La grande originalité de l’exposition est de faire côtoyer les œuvres. Il eût été possible de consacrer une salle aux peintures de Capodimonte et de les y exposer pour les présenter au public français qui n’aurait pas pu les voir à Naples. Le Louvre a opté pour un autre accrochage, original et pédagogique. Les tableaux sont accrochés dans la Grande Galerie, au sein des collections du Louvre, afin d’assurer une conversation entre les œuvres, un échange entre les peintres, les thèmes, les lieux. Ce croisement de Capodimonte et du Louvre permet d’entrer véritablement dans les spécificités de chacune des toiles et de les resituer dans l’histoire de la peinture européenne.
Trois lieux du Louvre sont ainsi mobilisés pour cette exposition : la Grande Galerie, pour un dialogue entre les collections des deux musées ; la salle de la Chapelle où sont racontées et mises en lumière les origines et la diversité des collections de Capodimonte réunies essentiellement par les Farnèse et les Bourbons ; la salle de l’Horloge où sont exposés des dessins de la collection Farnèse.
Le Parmesan et le portrait de la jeune fille
Né à Parme, Girolamo Mazzola, dit Le Parmesan (1503-1540) fait partie, comme Le Caravage, de ces étoiles filantes de la peinture qui en peu d’années (il est mort à 37 ans) ont révolutionné leur art et produit des chefs-d’œuvre. Son portrait d’une jeune femme est aussi énigmatique que troublant. Un regard intense qui couronne un visage triangulaire, des étoffes de choix, une silhouette aristocratique, un carnassier étrange qui vient s’achever sur son gant. Un fond vert moiré qui rehausse l’or des vêtements, un portrait qui se détache de la toile et qui fixe les regards des passants.
Tout autre est le portait d’un jeune homme, heaume et masse d’arme de soldat, béret de velours, manches de dentelle, associant l’épée et les sciences. En peignant le portrait du comte Sanvitale, Le Parmesan représente l’honnête homme de la Renaissance, porté tout autant sur les lettres, les arts que les armes.
Une image de l’Europe
Un honnête homme que l’on retrouve dans le portrait de Luca Pacioli réalisé par Jacopo de Barbari. Religieux franciscain, mathématicien, savant et géomètre, Pacioli maitrise les chiffres, les nombres et les mesures. Son portrait est l’archétype même de l’Occident, le continent où l’on maitrise les lettres et les chiffres, où l’on décrypte le monde, où on le comprend pour le mettre en valeur, comme l’est un tableau. Devant les instruments de mesure, posés sur une large nappe verte, l’ardoise, objet clos où le monde infini peut être dessiné. Cinglé dans sa bure grise nouée de la ceinture à nœuds, Pacioli éduque et transmet pour que le savoir ne se perde pas. En haut, un polyèdre de verre où se reflètent des fenêtres, des vues sur l’extérieur et sur les paysages, subtilités du peintre pour sortir du champ clos du tableau. Dans la sobriété apparente du tableau, c’est toute l’histoire de l’Europe, de ses sciences, de ses techniques et de son rapport au monde qui est représentée.
Autre couleur, autre champ, l’effroi, la haine et le meurtre dans le combat fratricide de Caïn et Abel par Leonelo Spada. Renversé sur un rocher, comme l’agneau du sacrifice, Abel va être assommé par son frère puis égorgé. Cette fois-ci, ce n’est pas l’agneau du pasteur qui est immolé, mais le pasteur lui-même. Dans le corps à corps, la jalousie l’a emportée, celui du frère humilié parce que son offrande fut refusée. Plus tard, dans une inversion du sacrifice, Isaac sera sauvé et remplacé par l’agneau, avant qu’un autre agneau, le Christ lui-même, se substitue volontairement pour porter les péchés des hommes. Dans ce portrait à la renverse, Spada a représenté toute l’horreur de la guerre civile qui, comme tous les sacrifices, est aussi le moment de la naissance de la cité.
Voilà une bien étrange Annonciation peinte par Girolamo Bedoli. Un ange en habit de danseuse orientale, une sainte Vierge belle et éclairée dont les fins vêtements resplendissent sous la lumière nette, une colombe tout en puissance qui vient accompagner la fleur de lys. Une annonciation où la gravité semble absente, remplacée par l’extase mystique qui n’est pas sans évoquer celle de Thérèse sculptée par Le Bernin. Une joie diaphane, celle des couleurs, des odeurs des lys, des chaleurs lumineuses.
Naples à Paris, musée du Louvre, du 7 juin au 8 janvier 2024.