L’intégration des Balkans dans l’UE est un grand défi pour les Européens. Entretien avec Marine Hamelet

20 juin 2023

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, à gauche, le président français Emmanuel Macron, au centre, et le président du Conseil européen Charles Michel, à droite, arrivent pour une table ronde lors d'un sommet de l'UE à Bruxelles, jeudi 23 juin 2022. Geert Vanden Wijngaert/AP/SIPA

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L’intégration des Balkans dans l’UE est un grand défi pour les Européens. Entretien avec Marine Hamelet

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Si plusieurs pays des Balkans ont enclenché les processus pour intégrer l’Union européenne, cette intégration n’est pas simple à mener. Entre corruption, rivalités ethniques, problèmes juridiques structurels, les défis à relever sont majeurs, tant pour l’UE que pour les pays candidats. Entretien avec Marine Hamelet. 

Marine Hamelet est députée du Tarn-et-Garonne (RN). Membre de la Commission des Affaires étrangères, elle a effectué un séjour d’étude dans les Balkans avec le député Frédéric Petit, qui a donné lieu à la publication d’un rapport d’information. 

Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé.

L’intégration des pays des Balkans pose des défis sur les sujets juridiques et institutionnels. Beaucoup ont des structures juridiques ou politiques qui ne sont pas encore aux normes de l’Union européenne. Qu’est-ce qui vous paraît les points structurels les plus rédhibitoires ou qui ont le plus besoin de modifications, si ces pays voulaient aller jusqu’au bout de leur intégration dans l’UE ?

Cela dépend des pays. En Albanie, il y a des institutions qui ont des soucis de corruption très importants qui les empêchent de fonctionner correctement. Puis il y a d’autres pays, comme la Bosnie, où il y a cohabitation de différentes minorités, ce qui pose la question de la cohésion du pays. Il y a trois minorités principales : les musulmans, les Serbes et les Croates. Ainsi qu’une communauté juive, qui est exclue du système politique, puisque ses membres n’ont pas le droit de se présenter aux élections. Ce sont donc des systèmes juridiques et politiques tellement éloignés des nôtres qu’on importe au sein de l’UE des soucis à venir qui font que la situation sera ingérable. La preuve se traduit par les évènements qui se sont produits au Kosovo, ou encore en Albanie, où par exemple la gestion des élections municipales du 14 mai dernier ne fonctionne pas.

Justement dans votre rapport, vous soulignez le poids de l’histoire et des rivalités ethniques. Il y a eu la guerre de la fin des années 1990, l’intervention de l’OTAN au Kosovo en 1999, mais 25 ans après, les choses ont peu changé et les frontières ethniques demeurent quelque chose de majeur.

Si on parle de ce qui s’est passé en 1999, les problèmes n’ont fait qu’augmenter, dus notamment à l’arrivée d’une population musulmane. Ils ne sont plus seulement ethniques, mais aussi religieux. En Albanie, regardant les élections en mai dernier, il y a aussi le problème de ce candidat de la minorité grecque qui a été mis en prison. Il y a aussi une minorité iranienne en conflit avec l’Iran, qui a organisé une cyberattaque qui a paralysé tout le pays pendant plusieurs semaines. On a l’exemple sous les yeux d’une mauvaise gestion des minorités, qui ne peut pas fonctionner. C’est un problème ancien, et qui risque malheureusement d’arriver dans nos pays occidentaux. Je vois un peu les Balkans comme le laboratoire de ce qui ne fonctionne pas et de ce qui arrive progressivement chez nous. On essaie de le dénoncer en vain pour éviter de connaitre les mêmes drames. 

La question albanaise, où vous soulignez l’importance des mafias et de la criminalité, est un sujet majeur. On sait que l’Albanie est à la fois un pays plaque tournante et un pays où les mafias sont très implantées et en connexion avec les mafias italiennes. Comment analysez-vous cette question de la criminalité en Albanie, vous paraît-elle structurante, ou bien le pays tente-t-il de la juguler ?

Il est clair que l’Albanie tente de juguler cette criminalité. Ils ont changé beaucoup de magistrats -ce qui a d’ailleurs compliqué logiquement le monde de la justice-, mais cette criminalité est profondément ancrée dans les structures du pays. Par exemple dans la capitale, Tirana, de l’argent a été blanchi par la construction d’immeubles. L’Albanie est aussi le premier producteur de cannabis, plus de la moitié de la population en vit. C’est donc impossible à court terme d’éradiquer cette criminalité, mais il est bon d’y tendre à long terme. L’erreur est donc très grande quand on nous presse d’intégrer ces pays au plus vite dans l’Union européenne en vue de la guerre en Ukraine. Ces pays ne sont pas intégrables à court terme.

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Si cette intégration n’est pas possible à court terme, pourquoi y a-t-il cette volonté de les intégrer ? Est-ce simplement la volonté d’étendre le rêve européen et de démontrer que l’UE est encore capable d’attirer, ou est-ce qu’il y aurait des intérêts sécuritaires et stratégiques ? 

Ce n’est vraiment pas une question d’intérêts sécuritaires et stratégiques, puisqu’il n’y aurait plus aucun contrôle. Je pense que cette zone ne fonctionne pas bien, mais qu’ils ont trouvé malgré tout un équilibre, mais qui est tellement fragile, que cette histoire d’intégration la fragilise, car il existe des rivalités importantes entre eux. 

Les Albanais ne pourraient pas tolérer que les Serbes soient intégrés avant eux. Cette perspective d’intégration ne fait qu’attiser les rivalités. On est en train d’allumer un incendie avec l’histoire du Kosovo dans cette zone-là. On fait miroiter à ces populations un niveau de vie plus élevé, un alignement sur les pays européens, mais là encore c’est un mensonge, car l’argent envoyé là-bas par l’Europe tombe bien souvent aux mains de dirigeants corrompus, et la population n’en voit pas la couleur. Et c’est pour cela qu’une grosse partie de la population des trois pays visités finit par se lasser et ne demande plus une entrée dans l’UE : ce sont les dirigeants qui la demandent, pas la population. 

La question des fonds d’investissement de l’UE, le rêve qu’elle promet aux pays -des fonds d’infrastructures et de développement-, pose des questions en termes de budget européen, puisqu’il y a des fonds donnés pour les pays d’Europe de l’Est ou certains pays de l’Europe méditerranéenne. Si l’UE devait en plus donner pour ces pays-là, est-ce qu’elle aurait le budget pour le faire ? Est-ce que cette aide économique a déjà été budgétée ? 

J’ai vu qu’au niveau du Parlement européen, il y a un vote qui a été fait il y a quelque temps qui octroyait le budget nécessaire. Cela étant, l’argent donné ne sert pas toujours les intérêts des Européens. Ainsi, en Bosnie, des fonds européens ont-ils servi à construire une autoroute dont le marché public a été confié à une entreprise turque. En Serbie, on a rencontré des entrepreneurs français qui essayaient de s’implanter et nous disait que cela était très compliqué, voire impossible pour eux. 

Est-ce à cause de problèmes de sécurité ou de corruption ?

C’est un ensemble. C’est surtout le fait qu’ils ne sont pas aidés. On fait en sorte qu’ils aient des tas d’obstacles très difficile à surmonter, et ils n’arrivent pas à s’implanter. On aurait pu demander effectivement que ce soient les grandes entreprises françaises qui puissent bénéficier de cela. Il y a quelques grands groupes, comme Veolia, qui se sont implantés là-bas, mais c’est parce qu’ils disposent déjà de très bons réseaux internationaux. 

À propos de la France, comment évaluez-vous la présence et l’influence française dans la région ? On sait qu’il y a eu des liens ancestraux entre la France et la Serbie, liens un peu malmenés ces dernières années.

La présence française est très faible là-bas. Que ce soit en Albanie, en Serbie, c’est une présence qui pourrait être améliorée. Ils nous ont expliqué que, pendant la crise du Covid, la France a envoyé pas mal de matériel. Quand les Chinois ont aussi envoyé du matériel, il y avait des affiches et des drapeaux partout pour les vanter et les remercier alors que la France n’a eu que des critiques. C’est compliqué de vendre notre image à l’international, quand déjà en France on ne sait pas en tirer parti et mettre notre pays à l’honneur, et cela se ressent à l’étranger, et notamment dans les Balkans. Donc toute l’aide, déjà très conséquente dans les Balkans, a été considérée comme la moindre des choses et de surcroît très insuffisante.

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Vous évoquez la Chine, on remarque beaucoup la présence chinoise. Le Monténégro, notamment, avait une dette très importante à l’égard de la Chine. Cela demeure un objectif pour les Chinois de s’implanter dans cette région ?

C’est ce qu’on nous a dit : il faut se dépêcher de les intégrer, ou ils passeront sous la coupe des Russes ou des Chinois. C’est vraiment le leitmotiv. Avec ce qui s’est passé en Afrique, on a vu que cela n’empêche rien. Dans l’état actuel des choses, je pense que les Chinois ne sont pas assez fous pour faire ce genre de bêtises. Cela reste un enjeu par rapport à la Russie, mais pas encore par rapport à la Chine. Les Russes bien évidemment ne vont pas lâcher la Serbie. Il y a une présence historique entre les Russes et les Serbes, qui fait que les Russes les soutiendront. Ils ont aussi une dépendance économique. Il y a quand même 80% du gaz serbe qui vient de Russie. Ces pays ont en fait un cahier des charges pour être intégrés dans l’UE, et s’ils respectaient ce cahier pour y rentrer, à savoir ne plus utiliser le gaz russe, alors la Serbie serait ruinée. Encore une fois on est en train de mettre la pagaille dans ces pays-là.

Constatez-vous une distance ou une tension chez vos interlocuteurs serbes envers la Russie dans le contexte de la guerre en Ukraine ?

Le lien historique entre la Russie et la Serbie rajoutera encore une couche de complexité à son intégration européenne.

C’est vraiment une zone très importante au niveau géopolitique, qui va le devenir de plus en plus. Par sa composition, une accumulation de minorités, comme ce qui se passe en Bosnie avec trois présidents, trois gouvernements et des ministres à chaque fois, c’est quelque chose que nous on a du mal à comprendre, car on ne fonctionne pas du tout de la même façon. En imposant notre façon de fonctionner, on ne tient pas compte de leurs particularités. Eux seuls peuvent résoudre leurs problèmes. 

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Photo : La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, à gauche, le président français Emmanuel Macron, au centre, et le président du Conseil européen Charles Michel, à droite, arrivent pour une table ronde lors d'un sommet de l'UE à Bruxelles, jeudi 23 juin 2022. Geert Vanden Wijngaert/AP/SIPA

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