En 2013, Airbus est soupçonné par la justice américaine de conduire des pratiques de corruption. Alertée par le précédent d’Alstom, la direction comprend qu’il s’agit d’une nouvelle bataille de la guerre économique que les États-Unis livrent aux entreprises européennes. La bataille d’Airbus est lancée. Un documentaire de David Gendreau et Alexandre Leraître, à retrouver le 27 juin sur Arte.
Le documentaire est à retrouver ici.
En 1969, sous la présidence du général de Gaulle, s’affirme le projet de la création d’un groupe aéronautique pour faire face à la domination américaine sur le marché aéronautique mondial, incarné par Boeing. Airbus naît alors d’un accord franco-allemand. L’ascension du groupe est fulgurante. Dès 1972, Airbus fait voler son premier avion, l’A300. La rivalité franco-américaine sur le marché économique aérien se fait de plus en plus vive. Airbus, de 1993 à 2013, voit son chiffre d’affaires augmenter de manière continue. En 2008, Airbus fait un chiffre record de 45 milliards d’euros ; les commandes et les clients affluent. Lion Air, une compagnie indonésienne fait en 2010 une commande record d’A320, estimée à plus de 175 milliards d’euros.
Todd Tiahrt, sénateur du Kansas de 1995 à 2008, pointe alors du doigt cette phénoménale ascension. En effet, Airbus s’empare de 50% du commerce mondial en 2010. Corruption ? Espionnage ? Autant d’éventualités étudiées par la CIA et le FBI, et de doutes mis à la lumière du grand public. Trois ans plus tard, en 2013, Ian Foxley, ancien cadre d’Airbus, dénonce des faits de corruption chez EADS, filiale d’Airbus, évoquant des paiements secrets qui auraient été faits en juin 2010 concernant des contrats de vente d’avion dans plusieurs pays. En juin 2015, Tom Enders, président d’Airbus, charge alors John Harrison, directeur juridique d’Airbus de « l’opération mains propre », pour remettre de l’ordre dans les pratiques commerciales. Mais cela ne suffit pas, car l’enjeu est gigantesque : ces turbulences judiciaires pourraient faire s’écraser tout le marché aéronautique européen et faire décoller Boeing.
Extraterritorialité du droit américain : lutte contre la corruption ou arme de guerre économique ?
L’extraterritorialité du droit américain est le nom donné à l’ensemble des dispositions du droit américain qui peuvent être appliquées à des personnes physiques ou morales d’un pays tiers. Celle-ci vise principalement à lutter contre la corruption et la violation des embargos. C’est-à-dire que des entreprises étrangères peuvent être mises sous la tutelle de la juridiction américaine lorsque le pays est effectivement lié que ce soit par l’usage du dollar, de composants ou de serveurs américains. En l’occurrence, le Département de justice américain (DOJ) est alors directement concerné par les faits de corruption d’Airbus. En principe indépendant de tout pouvoir ou influence politique, comme le rappelle Tom Fox, le DOJ a pour mission de lutter contre la criminalité et la corruption dans le monde.
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Cependant, certaines mesures ou peines abusives font alors penser que cette lutte contre la corruption ne serait qu’une arme de guerre économique. Par le biais de contentieux juridiques comme condamnation et amendes, le DOJ semble servir les intérêts commerciaux américains en déstabilisant les rivaux. La moralité ne serait alors qu’un prétexte pour servir des intérêts commerciaux. Qu’on prenne pour exemple Siemens en 2008, Alstom vendue à General Electric.
Des amendes colossales déstabilisent les entreprises européennes, qui sont alors prises pour cibles par des compagnies américaines rivales. De plus, si l’entreprise en question est effectivement sanctionnée, alors la justice américaine mandate un agent spécial, appelé un moniteur, chargé de vérifier au sein même des services, au détriment des éléments confidentiels, que les pratiques ont bel et bien changé. « Cherchez à qui le crime profite » souligne Alain Juillet, alors haut-responsable chargé de l’intelligence économique en France. Protéger la souveraineté du groupe européen Airbus, et maintenir une rivalité sur le marché mondial de l’aéronautique en échappant à la justice américaine devient la priorité, et pousse John Harrison à réinventer la tradition juridique en Europe.
L’auto-incrimination et la révolution de la tradition du droit en Europe
La justice pénale reposait traditionnellement dans le droit romano-germanique sur un principe vertical et unilatéral. La justice est rendue par un juge, saisie par le procureur de la République et repose sur un débat contradictoire. Le prévenu doit alors utiliser les moyens mis à sa disposition pour exprimer son désaccord (justice inquisitoriale).
Dans le système judiciaire anglo-saxon, la justice repose sur un système horizontal (justice accusatoriale). Le prévenu et le ministère public engagent alors une discussion, afin de trouver un accord qui est ensuite soumis à un juge. D’un système pénal autoritaire, les prévenus deviennent alors acteurs de la décision.
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Le droit international dispose qu’on ne peut pas être incriminé deux fois pour des mêmes faits. La seule piste de salut pour Airbus, si étroite soit-elle, pour éviter d’être condamnées par le DOJ, donc de subir des amendes estimées à plusieurs milliards d’euros et de faire fuiter nombre de documents confidentiels en Amérique, avec le risque de passer sous le joug américain est, dans un premier temps, d’arrêter toute pratique douteuse. Mais la première purge de Harrison ne suffit pas. Il faut alors pour Airbus s’incriminer complètement pour trouver des accords financiers possibles dans un système horizontal de coopération. La France ou l’Allemagne ne possède pas encore ce type de loi qui prévoit de lutter contre la corruption. En 2016, Harison part alors à Londres devant la Serious Fraud Office (SFO) dans une perspective de collaboration.
Réponse européenne
La première conséquence est la loi Sapin 2, votée en 2016, une loi anti-corruption extraterritoriale en réaction à l’extra-territorialité du droit américain. En France, le Parquet National Financier (PNF) est créé en 2013. Désormais, les affaires de corruption peuvent être réglées directement en France, qui retrouve alors sa souveraineté judiciaire. De la même manière, le moniteur américain chargé de surveiller les moindres faits et gestes de l’entreprise est remplacé par un Français, qui rend ses comptes en France. Le DOJ, le PNF, et la SFO enquêtent alors conjointement, et les premiers soupçons soulevés par Ian Foxley se trouvent confirmés. Les risques d’amende pour Airbus, qui avaient été estimés à 18 milliards d’euros, se retrouvent abaissés à “seulement” 3,6 milliards d’euros, payés en France, aux États-Unis et au Royaume-Uni. « La plus grosse affaire de corruption que l’Europe ait connue », montre déjà comment le droit devient petit à petit un enjeu majeur en géopolitique.
Le documentaire réalisé par David Gendreau et Alexandre Leraître retrace le déroulé de cette bataille d’Airbus, les actions menées par les différents acteurs et la façon dont l’entreprise a réussi à éviter le piège américain. Il est à voir le 27 juin sur Arte et en rediffusion sur leur site.
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