Paul Morand et la carrière diplomatique

8 juin 2023

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Paul Morand et la carrière diplomatique

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Il est une tradition française, depuis le XIXe siècle, de l’écrivain-diplomate (Chateaubriand, Claudel, Saint-John Perse, Giraudoux, Gary, Berthet, Ruffin …). Paul Morand a mené de front les deux carrières, celle d’écrivain ayant d’abord pris le dessus. Le tragique de l’Histoire et ses compromissions ont ensuite inversé les ordres. Mais Morand eut après la guerre une troisième carrière, purement littéraire, qui le conduisit à l’Académie française. Presque cinquante ans après sa mort, et au-delà du cliché du grand mondain et du pilote d’Aston Martin, demeure l’œuvre toujours très lue1 d’un auteur dont la précision et la cadence du style2 n’en est pas moins foisonnante, chatoyante et poétique. 

Écrivain du voyage, de l’ailleurs et du partout, à la fois très français et cosmopolite3, Morand incarne l’ambivalence des écrivains grand-bourgeois – et singulièrement de droite – à qui, finalement, on pardonne presque tout … 4 

L’écrivain-diplomate5 se caractérise généralement par une double psycho-sociologie : soit son aura ou son parcours personnel l’a mené tardivement à la dignité d’ambassadeur, soit il appartient au corps consulaire et se met à écrire6. Dans ce dernier cas, l’euphémisation, le voyage et l’ennui consubstantiels à la vie diplomatique le poussent à un exécutoire littéraire. Or Paul Morand (1888-1976) n’appartient à aucune de ces deux catégories. Chez lui, les deux offices ont été simultanés et les deux carrières, jusqu’à un certain point, parallèles. L’homme pressé a dû cependant utiliser ses relations pour occuper des postes sinon fictifs, qui lui laissaient néanmoins la possibilité d’écrire. 

Entre les arts et les lettres

Le futur académicien est né dans une famille à la fois très bourgeoise et artistique. Son père était artiste-peintre mais fils d’un fondeur industriel. Il disposait d’un réseau, comme on dit aujourd’hui, très dense. Ainsi Emile Loubet, élu président en 1899, était un ami de la famille. De même, Giraudoux fut le précepteur du jeune Paul Morand. Quant à son oncle, Abel Combarieu, il a été secrétaire général de la présidence de la République de 1899 à 1906. Cette haute extraction a en outre permis à Morand de côtoyer Proust et Cocteau (il n’est jamais indifférent pour qui veut publier de connaître auteurs et éditeurs). 

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L’écrivain a obtenu non sans difficulté ses deux bachos au Lycée Carnot puis s’est inscrit à la faculté de droit et de sciences politiques. Après son service militaire, il fut reçu en 1912 premier au concours des chancelleries. Il intégra le quai d’Orsay la même année, se trouvant affecté au service du protocole. L’année suivante, il fut envoyé une première fois à Londres en qualité d’attaché d’ambassade. Il échappa au front en 1914 par décision ministérielle, bien qu’il eût rejoint son régiment. De tels traitements de faveur, aux confins du passe-droit, furent légions durant toute sa carrière. Morand retrouva alors au début de la Grande Guerre son affectation britannique. C’est à Londres qu’il fit la connaissance d’Hélène Chrissoveloni, une Roumaine d’origine grecque, sa future épouse, mariée à l’époque à un banquier et diplomate en poste à Paris, le prince Soutzo. Également proche de Philippe Berthelot7, Morand fut rappelé en France pour exercer les fonctions d’attaché de cabinet. Il débuta alors l’écriture. S’ensuivront à partir de 1917 des affectations à Rome puis à Madrid (il ne voulait point trop s’éloigner d’Hélène). Un premier recueil de poésie parut en 1919. Morand rentra à Paris en 1920 où, toujours grâce à son entregent, il fut affecté à un service de promotion de la littérature nationale. Il continua d’écrire et manqua de peu en 1922 le Goncourt pour Ouvert la nuit (prix finalement attribué à Henri Béraud pour Le martyre de l’obèse). 

Intense carrière littéraire

Le Quai d’Orsay ayant appris qu’afin de s’instruire pour son premier roman, Lewis et Irène, Morand avait effectué un stage de six mois dans une banque, on se demanda comment ce dernier, faisant toujours partie des cadres et conservant son traitement, pouvait se permettre une telle immersion documentaire. Morand fut alors mis, à sa demande, en disponibilité du corps diplomatique en 1926. Sa carrière littéraire a alors battu son plein. Ainsi, outre Fermé la nuit et Lewis et Irène, il publia successivement :  La Fleur double (1924), Les Amis nouveaux (1924), Les Plaisirs rhénans (1926), Mr. U (1927), East India and Company (1927), À la Frégate (1930), Les Rois du jour – Flèche d’Orient (1932) et Rococo (1933). Après avoir raté de peu le prix Goncourt en 1922, Paul Morand fut candidat malheureux à l’Académie française en 1936. Morand avait réintégré le corps diplomatique en 1932 afin de préserver son avancement. Mais il parvint à être immédiatement affecté au sous-secrétariat aux Travaux publics chargé du tourisme … 

C’est à cette époque qu’il cultiva sa légendaire nonchalance8, réassurée par son union, en 1927, avec la riche Hélène qui a pu divorcer9. Le couple recevait alors beaucoup, tant dans son hôtel particulier du septième Arrondissement qu’au Château des Mesnuls, près de Rambouillet (propriété du frère d’Hélène Soutzo). Pendant cette même période, le légat pratiqua le journalisme, notamment pour Le Figaro. Il fut également d’éditeur (directeur de collection chez Gallimard) et membre du conseil d’administration de l’association des amis de l’Abbaye de Royaumont. 

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Finalement contraint d’occuper des postes « d’active », Morand fut délégué pour la France, en 1938 et 1939, à la Commission européenne du Danube à Galati. Il s’agissait en réalité d’une sinécure thermale en Europe centrale et orientale, qui lui donna le matériau nécessaire à la publication, à la fin de sa vie, d’un texte dénommé Le Danube10. Puis Morand, pour la seconde fois, fut en poste à Londres. Cette fois-ci durant la drôle de guerre. Il y débuta son Journal de Guerre dans lequel son anglophobie et son antisémitisme s’étalent. Du fait de l’armistice signé par Pétain, les relations diplomatiques furent rompues le 4 juillet 1940 entre Paris et Londres. De Gaulle partit pour Londres. On pressa Morand de s’allier à lui. Il n’en fit rien et préféra rentrer en France après la fermeture de sa représentation. Il écrivit plus tard qu’étant plus âgé que De Gaulle, étant installé depuis plus d’un an et possédant le même grade que lui, c’était au Général de le solliciter de son point de vue11. Le 1er août 1940, Morand prit finalement l’initiative de se rendre à Vichy et aurait dénoncé, dans son dernier rapport, ses collègues anglophiles de l’ambassade. Il fut pourtant accueilli fraichement à Vichy, où son ministre de tutelle lui reprocha son départ, alors qu’il eût pu demeurer en poste de façon non officielle, et servir de relais. On lui notifia sa mise à la retraite d’office12.

Un bref Purgatoire

Le purgatoire fut bref pour Morand – le temps d’écrire et de faire publier un de ses chefs-d’œuvre, L’homme pressé – car il fut désigné membre du cabinet de Pierre Laval en 1942. Ayant prêté serment à Pétain et fait partie d’une commission de censure cinématographique, il fut promu ministre plénipotentiaire de deuxième classe. Il se déclara candidat au poste d’ambassadeur de France à Lisbonne. L’histoire veut que Salazar ait apposé son véto à une telle nomination à raison d’écrits jugés obscènes et insultants à l’égard du Portugal. C’est pourquoi le 20 juillet 1943, Paul Morand fut nommé ambassadeur de France dans la Roumanie fasciste d’Antonescu en 1943 (sans doute incité par sa femme d’origine roumaine13). Au-delà même de sa très problématique fidélité à Vichy, la clairvoyance de Morand interroge. Les Allemands avaient en effet été battus à Stalingrad et, dix jours plutôt, les Alliés avaient débarqué en Sicile. Aussi, lorsque les Russes pénétrèrent en Roumanie en janvier 1944, Morand obtint sa mutation à Berne. Quelques mois plus tard, à la Libération, De Gaulle et Bidault signèrent son décret de révocation du corps diplomatique. 

Paria, mis à l’index par le comité national des écrivains, il fut contraint à un long exil helvétique, sans finalement être plus inquiété que cela. Il s’installa à Vevey, et ne publia de nouveau qu’au mitan des années cinquante, essentiellement grâce à Roger Nimier. Son vichysme lui valut toutefois l’hostilité persistante de De Gaulle qui s’opposa jusqu’en 1968 à son entrée à l’Académie française. Celle-ci advint toutefois le 24 octobre 1968 au fauteuil no 11, celui de Maurice Garçon. L’homme du 18 juin qui était toujours en poste – encore pour quelques mois – ne le reçut pas, à rebours de l’usage (encore qu’il ait semble-t-il levé implicitement le véto). Morand décéda en 1976, ne survivant à Hélène qu’un an seulement. 

1 Sa correspondance avec Chardonne, pourtant en trois volume et plus de 3 000 pages, constitue un succès d’édition pour Gallimard. 

2 Caractérisées par l’absence quasi-systématique de passages de liaison.

3 Au sens le plus neutre (et pas du tout connoté et parfois antisémite du terme).

4 Ce qui aurait fait déclarer à Céline, condamné pour des faits de collaboration : « et Paul Morand donc ! Même pas inculpé ! Qui se balade fort librement en Suisse ! Charmant Jean-foutre deux fois ambassadeur de Pétain ! Grands seigneurs évidemment… auxquels la loi rigoureuse ne s’applique pas comme aux voyous de mon espèce ! », cité par P. Assouline, in L’Épuration des intellectuels, Paris, Complexe/Perrin, 2001. 

5 Nous introduisons le trait d’union afin d’isoler une catégorie. L’écrivain-diplomate se distingue du diplomate qui écrit, de même que l’avocat-écrivain, au demeurant extrêmement rare, ne se confond pas avec l’avocat ayant publié. La qualité d’écrivain ressortit en effet à un ethos, un rapport particulier au monde articulé autour de la recherche du vrai, cette recherche dût-elle passer par la subjectivité ou la fiction. La vérité ne s’oppose en effet pas à la subjectivité, sinon au mensonge.

6 v. Les écrivains diplomates, entre littérature et lettres de créance, in Le Point, https://www.lepoint.fr/culture/les-ecrivains-diplomates-entre-litterature-et-lettres-de-creance-09-05-2011-1328277_3.php

7 (1866-1934). Fils du chimiste et homme politique Marcellin Berthelot et frère du ministre André Berthelot, Philippe Berthelot est un diplomate français, mondain, orientaliste et ami des lettres. Successivement directeur de cabinet du ministre des Affaires étrangères puis secrétaire général du Quai d’Orsay, on lui prête d’être le véritable instigateur de la politique étrangère française de l’époque. Il joua notamment un rôle fondamental dans la signature du pacte Briand-Kellogg.  

8 D’où le célèbre mot, peut-être apocryphe, de l’ambassadeur Paul Cambon à son adresse : « Morand, venez au bureau quand vous voulez mais pas plus tard ! ».

9 Encore qu’une importante partie de ladite fortune se fût évaporée à la suite d’opérations boursières malencontreuses en 1929.

10 Sur la question v. Paul Morand, chantre du Danube, in Danube-culture.org, http://www.danube-culture.org/paul-morand-elegant-chantre-du-voyage-et-admirateur-du-danube/

11 v. P. Morand, Journal inutile, t 2, 1973-1976, Gallimard (Cahiers de la NRF), p. 680.

12 Sur le choix de Vichy par Morand, le regard de Charles de Gaulle est ainsi rapporté par Alain Peyrefitte (in C’était de Gaulle, Fayard, tome I, 1994, p. 148 : « Laval ne lui demandait même pas de rentrer […]. Il est parti par le même bateau que l’ambassade. On ne voulait pas de lui à Vichy et on lui a tenu rigueur de son abandon de poste ».

13 Ce qui, toujours selon Peyrefitte (op. cit.), fit derechef dire à De Gaulle : « [Morand] était victime des richesses de sa femme. Pour les récupérer, il s’est fait nommer ministre de Vichy à Bucarest. Puis, quand les troupes russes se sont approchées, il a chargé un train entier de tableaux et d’objets d’art et l’a envoyé en Suisse. Il s’est fait ensuite nommer à Berne, pour s’occuper du déchargement. […] Les possédants sont possédés par ce qu’ils possèdent ».

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Frédéric Casotti

Frédéric Casotti

Frédéric Casotti est écrivain

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